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ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : lun. 10 oct. 2005 12:42
par Makcim
En réponse à Antoine sur le fil "Témoignages"

Ces extraits, bien qu'ils puissent paraître "comme un cheveu sur la soupe", ne sont mentionnés que dans la suite logique de ce que j'avais écrit juste avant comme un exemple (des moins graves ?) du manque considérable de repères dû à la perte de la Tradition par l'Eglise romaine qui a bien été soulignée par Jean-Louis.
D'autre part ils s'adressent aux remarques du forum qui ont tendance à répéter un préjugé catholique du XIX° siècle sur le caractère démoniaque du bouddhisme ( dont je ne nie pas non plus qu'il sente parfois le soufre mais il faudrait préciser...), que j'ai qualifiées un peu brutalement d'"imbécillités" et n'ont pas plus d'importance que les incidentes sus citées sur le sujet. Tout ce qui a été écrit sur le forum - du moins ce que j'ai pu lire - n'entre pas forcément non plus dans cette catégorie je tiens à le dire.
Je souhaiterais que la tenue de ce forum qui est d'une grande qualité et auquel je suis attaché soit en tout domaine égal à lui-même c'est tout.

Cependant puisque nous y sommes, je pense en effet comme vous me poussez avec insistance à le faire, que ce sujet mériterait non seulement un fil mais peut-être un nouveau forum si ce n'est un site - dont je rêve... mais je crains de ne guère pouvoir m'y consacrer suffisamment avant un certain temps vu que je vais être bien occupé sous peu. Je souhaiterais cependant en effet que le"dialogue" entre Bouddhisme et Christianisme ne soit monopolisé ni par la diplomatie de l'empire du Vatican, ni par des moines catholiques dont je nie pas la valeur spirituelle mais qui ont des références avant tout occidentales, ni par le syncrétisme du genre de Leloup qui pour être sincère ne nous aide pas.

Bref j'aimerais bien que l'Orthodoxie mette son grain de sel dans cette affaire.
Je suis convaincu, et pas seulement par l'expérience de mon cheminement qui est celui d'autres de ma génération, que le contact avec les Bouddhismes offre non seulement un puissant adjuvant dans ce travail indispensable de libération des schémas occidentaux qui polluent notre Christianisme mais également qu'une connaissance plus approfondie de traditions aussi riches et multiséclaires que les Bouddhismes peut nous montrer encore davantage, par confrontation, cette richesse de la nôtre en retour -dont nous sommes tellement convaincus à juste titre nous tous dans ce forum. Ce regard sur cette autre tradition - au sens authentique de transmission à quoi ne peut malheureusement pas prétendre le Catholicisme - demande évidemment que nous descendions un peu du piédestal où nous place un peu trop aisément ce qui en occident s'est perdu ou déformé. Mais cela vaut la peine de comparer ces deux médecines de l'être (car il s'agit de cela dans mes préoccupations) statut auquel ne peut prétendre que l'Orthodoxie à l'exclusion des "soeurs" occidentales.
Je suis bien aussi navré que Jean Louis que les bouddhismes aient pris la place qu'aurait dû prendre l'Orthodoxie si nos hiérarques s'étaient investis dans la mission au lieu d'un côté de faire des complexes et d'essayer d'avoir leur place dans le concert des puissances (?) de ce monde et d'un autre de se contenter d'assurer une aumônerie pour les ressortissants des pays orthodoxes émigrés... C'est toute une partie de notre population frustrée dans sa quête spirituelle qui a été abandonnée et qui aurait été aussi émerveillée par l'authentique Orthodoxie que par les sagesses extrême-orientales. Au lieu de cela on s'est acharné - et on le fait encore ! - à dire que ce n'est entre Eglises qu'une affaire de détails ( en d'autres lieux on appelerait ça du révisionnisme !...)

Publié : lun. 10 oct. 2005 13:57
par Irène
Il est vrai que la philosophie bouddhiste mériterait d'être approfondie pour ce qu'elle peut nous apporter et les réfléxions auxquelles elle pourrait nous amener.

Car ce que je considère comme primordial dans le bouddhisme est la condition première de la compassion ; aimer l'autre sans condition, l'amer au point de renoncer au nirvana s'il reste une âme en peine dans le samsara.

Tout le monde essaie d'infiltrer les temples bouddhistes, et certaines fois avec la pleine acceptation des responsables des dits temples ; c'est assez catastrophique car les Lamas n'ont certainement pas les informations nécessaires leur permettant de reconnaître, par exemple, les mainmises maçonnes ...

Je ne crois pas à une acculturation possible du bouddhisme en Occident et le Dalai Lama est le premier à conseiller à chacun de brouter là où il vit. A nous, par notre action partout où elle est possible, de montrer la chaleur du foyer à ceux qui en cherchent un et qu'ils ont parfois trouvé - ou plutôt cru trouver - chez les bouddhistes. En ce sens, je suis tout à fait d'accord avec votre conclusion, Makcim.

Orthodoxie et Bouddhismes

Publié : lun. 10 oct. 2005 21:29
par eliazar
Irène écrit à propos de la philosophie bouddhiste :
".../... aimer l'autre sans condition, l'aimer au point de renoncer au nirvana s'il reste une âme en peine dans le samsara.../..."
J'ai connu il y a longtemps un converti (au Christ) qui m'avait confié que dans la période de cette conversion, qui avait évidemment tout bouleversé dans sa vie, il s'était senti irrésistiblement poussé à s'offrir à Dieu pour remplacer un damné et lui permettre ainsi de jouir pleinement du Christ - à sa place. Je n'avais pas osé lui dire que cela me semblait un peu délirant, très proche du dolorisme catholique romain des pays du sud de l'Europe...

Nous nous sommes rencontrés récemment, et je lui ai demandé en souriant s'il était encore dans le même état d'exaltation morbide, après ces décades passées, et ses cheveux blanchissants. Il m'a répondu sans sourire du tout : mais ce n'était pas "morbide"; je l'ai vécu au contraire comme un excès de joie. Pourquoi voudrais-tu que j'aie changé d'avis : c'est Lui qui décidera; cela ne me regarde plus.

Et il a ajouté après un temps de silence : Au fond, qu'est-ce que vous appelez faire l'aumône, vous, les orthodoxes ? Ce n'est tout de même ni triste, ni "morbide" ?

Peut-être est-ce de cela que Macsim veut parler quand il regrette qu'il n'y ait pas davantage d'ouverture dans nos discussions - dans ce cas, vis à vis du bouddhisme ? Je pense du reste qu'il n'a pas tort : nous nous focalisons en ce moment sur le catholicisme romain, qui n'est à tout prendre qu'un abcès, une maladie survenue à une partie du troupeau de l'Église du Christ - maladie que nous ne sommes guère en mesure de guérir si le Médecin ne la guérit pas Lui-même ! Alors qu'en effet il y a dans le bouddhisme réel, profond, des choses qui nous aideraient à mieux comprendre notre trésor.

Comme dans toute sagesse humaine, au fond, quand elle est supérieure, ou quand elle tend vers le haut.

Mais peut-être aussi certains d'entre nous ne seraient-ils pas suffisamment préparés à étudier autre chose que ce qu'ils connaissent déjà ? Ou craindraient-ils de se laisser glisser hors de la Foi - alors qu'il n'y a rien à craindre à connaître la sagesse : la Bible elle-même a emprunté des textes, ou des idées, à la sagesse des Grecs. Le Livre de la Sapience (comme nous disions dans ma jeunesse), l'Ecclésiaste, le Livre des Proverbes en sont imprégnés...

Publié : mar. 11 oct. 2005 22:26
par Makcim
Merci de vos réactions, bien que commencer une telle rubrique m'impressionne - pour le moins - si l'on me laisse un peu de temps, je vais essayer de rebondir sur ce thème de l'amour lancé par Irène et montrer que le dialogue avec le christianisme occidental ne peut qu'être diplomatique alors que nous disposons dans l'Orthodoxie de la possibilité de traverser à la fois les points communs et les irréductibilités.

Publié : mer. 12 oct. 2005 16:22
par Makcim
Non, décidément le cadre d’une simple rubrique me paraît trop exigu pour une telle ambition. Je vais tout de même essayer – pour tenir parole puisque j’ai annoncé que j’allais saisir la balle d’Irène au bond à propos de l’amour, de condenser en souhaitant ne pas être trop réducteur.

L’amour selon le bouddhisme, il vaudrait mieux parler de bienveillance et de compassion, peut être entendu à plusieurs niveaux. Le premier sens correspond assez à ce que nous appelons la « charité » ou la « philanthropie » bien que cela s’élargisse à tous les êtres vivants et pas seulement aux hommes. Là, pas de contradiction entre Bouddhisme et Christianisme. Mais là où tout se défait c’est que pour le Bouddhisme, il y a une bienveillance et une compassion supérieures et qui consiste à enseigner le dharma bouddhiste, or s’il y a bien une chose à enseigner c’est l’impermanence de tout phénomène sur fond de vacuité universelle et donc l’illusion de l’existence d’un individu humain qui n’est qu’un agglomérat provisoire de causes et d’effets lui aussi comme toute chose, ce à quoi il faut s’éveiller faute de rester dans l’ignorance et donc la souffrance et dans l’enfer du cycle des réincarnations. Alors là s’indigne, se récrie et s’éloigne le Chrétien qui tient par dessus tout à la personne. Le Protestant n’a presque rien à dire d’important si ce n’est sur le premier niveau mais le Catholique explique comme Henri De Lubac ou Hans Urs Von Baltasar que s’il n’y a pas cette permanence, cette solidité de la personne, il n’y a rien qui rende possible une relation définitive dans l’amour. Donc chacun chez soi, merci d’être venu !
Or, ce à quoi je voudrais inciter c’est à plus d’apophatisme. Il y aurait lieu sans doute là-dessus d’appeler au plus près de nous Vladimir Lossky et Christos Yannaras. Il y aurait lieu de bien insister sur la distinction entre le psychique et le spirituel, entre l’individu et la personne et peut-être bien que l’on tomberait d’accord pour prendre un peu de distance avec l’individu psychique qui n’est sans doute effectivement que cet agglomérat changeant, en perpétuel devenir ou figé dans la répétition c’est à dire l’homme déchu qui pour nous orthodoxes n’est pas l’homme authentique, mais plutôt comme une couche de poussière déposée par négligence sur un miroir. Il y aurait lieu aussi là de prendre également de la distance avec l’amour naturel ; après tout la tendresse maternelle pour sa progéniture est peut-être bien une des choses les plus partagées par les mammifères par exemple et n’a rien de spécifiquement humain.
L’amour auquel nous sommes appelés est comme le rappelle Christos Yannaras « avant tout un mode d’existence, et non pas un mode de comportement, ni une émotion, ni un sentiment individuel à l’égard des autres. » Ailleurs le penseur grec déclare « Si Dieu, qui est Dieu par son essence, par sa nature, est obligé d’être un dieu, alors il est soumis à une nécessité qui le dépasse. Il n’est donc pas libre par son existence » Il devient alors un dieu selon les bouddhistes c'est-à-dire qu'il est moins et moins bien qu’un bouddha, car ceux que les bouddhistes appellent « dieux » sont eux aussi soumis au cycle des naissances et des morts, de sorte qu'à la fin de leur existence « paradisiaque », ils peuvent tout aussi bien retomber dans de mauvaises destinées, en fonction de leurs actes passés. À tout prendre, la situation des dieux est même plus infernale que celle des enfers, car leur bonheur provisoire les détourne de l'aspiration à l'éveil qui seule leur permettra de s'affranchir de la souffrance universelle. Parenthèse. On ne parle pas forcément des mêmes choses avec les mêmes mots en revanche on peut par ler des mêmes sans le savoir avec des langages différents.

L’amour au sens ecclésial, comme dit Christos Yannaras, c'est à dire orthodoxe, ne se confond pas avec la morale sociale ou la morale dans les autres traditions spirituelles et religieuses. De même il y a une différence entre la théologie de la Personne et le personnalisme ou l’humanisme philosophique. C'est comme la notion de vie quand l'enseignement papal défend la culture de la vie, il a bien sûr raison mais là encore ce que devrait enseigner vraiment l'Eglise c'est cette autre vie plus que naturelle.

Bref, cette rubrique va se clore d'elle-même sur cette invitation réitérée à plus d'apophatisme, car pour citer encore le même auteur :"L'apophatisme n'est pas une méthode au niveau de la théorie des connaissances. L'apophatisme, c'est une attitude dans l'Eglise, il s'agit de garder une distance par rapport à l'expression ,àla formulation de la réalité, de se tenir dans la certitude que l'expression de la réalité est toujours différente de son expression par le langage ou les images."

Publié : mar. 18 oct. 2005 0:35
par Claude le Liseur
Bien, j'espère que nous aurons des contributions nombreuses dans cette rubrique. Je pense qu'il y a en effet beaucoup à retirer d'une comparaison avec le bouddhisme qui représente le stade le plus élevé auquel l'homme peut arriver par ses propres forces (= sans la Révélation).


Il est vrai que, si l'on observe le forum, nous sommes amenés à parler trop souvent du catholicisme romain, et trop peu du bouddhisme par exemple. C'est peut-être parce que nous n'avons cessé de subir les agressions des "V. Soloviev", "Antan" et autres paladins virtuels de la Papauté, si nombreux que la liste complète m'échappe, qui n'ont cessé de nous faire perdre du temps sans se rendre compte qu'ils perdaient surtout le leur. Alors qu'en effet il y a des choses intéressantes à dire sur le bouddhisme. Mais comme les bouddhistes nous laissent en paix, ils ne risquent pas de fixer l'agenda du forum...

Je signale au passage qu'il existe un livre fort intéressant sur la comparaison entre les doctrines bouddhiques et la doctrine orthodoxe, écrit par le doyen de la faculté de théologie orthodoxe de Jassy: Nicolas Achimescu, Budism si crestinism (ma traduction: Bouddhisme et christianisme), Editions Junimea, Jassy, 1999 , 302 pp. C'est en fait l'adaptation roumaine de la thèse de doctorat soutenue en 1993 à Tubingue par le professeur Achimescu, Die Vollendung des Menschen in Buddhismus. Bewertung aus orthodoxer Sicht (ma traduction: L'accomplissement de l'homme dans le bouddhisme. Evaluation d'un point de vue orthodoxe), l'original allemand n'ayant curieusement jamais été publié.

Petit bémol

Publié : sam. 22 oct. 2005 18:48
par Anne Geneviève
Puis-je introduire un bémol dans cette symphonie ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que j’ai d’excellents amis bouddhistes, pratiquants, et que ce sont eux qui m’ont posé les questions les plus pointues sur la théologie orthodoxe et forcée à aller au bout de mon credo, ce dont je les remercie de tout cœur.
Mais il me semble difficile de parler « du » bouddhisme, alors que les différentes écoles (petit véhicule, grand véhicule, diamant, ch’an, zen, etc.) débattent et parfois de manière assez vive de l’enseignement du Bouddha. En particulier, la permanence ou non de la personne unique telle que nous l’envisageons en orthodoxie, et qu’il n’a jamais été question de confondre avec les mouvements de l’âme, ne fait pas l’unanimité chez les lamas tibétains. C’est l’un des points en discussion entre Bonnets Jaunes, Bonnets Rouges et Diamant à l’heure où j’écris.
Il reste que la plus grande divergence entre les écoles bouddhistes en général et l’Eglise du Christ porte sur la théologie au sens le plus précis du terme puisque aucune école bouddhiste à ma connaissance ne reconnaît la transcendance de Dieu ni son caractère créateur, ni les relations trinitaires, hypostatiques. Il est impossible à un bouddhiste cohérent avec sa doctrine de réciter ne serait-ce que la première phrase du credo de Nicée-Constantinople : « Je crois en seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre et de toutes choses visibles et invisibles. » Soit ils refusent toute notion d’un Dieu au sens théologique, soit ce Dieu est purement immanent, impersonnel et se confond avec le substrat énergétique du cosmos, doté ou non d’un ou plusieurs noyaux conscientiels.
Les « dieux » du Bardo Thödol ne sont reconnus que par le Grand Véhicule tibétain et mongol et ressemblent plutôt à une forme d’angélologie ou aux neter égyptiens – le Diamant, à ma connaissance, considère plutôt qu’il s’agit d’entités créées par… leurs dévots (mais agissantes et opératives). Pas confondre avec Dieu, c’est pas le même étage.
Une autre divergence, mais très complexe car il n’y a pas dans le bouddhisme de réponse unanime, touche à la question du désir. En d’autres termes, les pratiques ascétiques qui sont toujours plus ou moins les mêmes dans toutes les religions (jeûnes, abstinence sexuelle et diminution du sommeil + maîtrise du souffle) ont-elles pour but et conséquence d’éteindre le désir à la racine ou de le réorienter et en ce cas, vers quoi ou qui ? L’ascèse chrétienne a toujours soutenu qu’il s’agissait d’une réorientation du désir vers Dieu.
Autant une fraction importante de l’hindouisme a lu et intégré les Evangiles, autant les bouddhistes n’y voient en général (donc il existe des exceptions) qu’un ensemble de rites et de dogmes purement symboliques qui pourraient, à tout prendre, servir aussi bien que les cérémonies du Grand Véhicule à provoquer des éveils de conscience (conscience étant à la fois intelligence noétique et cœur), une voie dévotionnelle comme une autre. D’où le conseil du Dalaï Lama de ne pas exciter désir ou curiosité, bref ce qu’il s’agit d’éteindre, par un recours à l’exotisme rituel.
Je ne suis pas sûre non plus que les termes compassion (bouddhisme) et charité ou agapè (christianisme) s’équivalent. Dans les deux cas, cela commence par l’ouverture du cœur mais le but visé n’est pas le même. Au bout du bout, la compassion bouddhiste cherche à délivrer l’autre, homme ou animal, plante ou caillou, étoile ou atome, de l’illusion de l’existence permanente séparée, de l’identification à la conscience identitaire source de souffrance, alors que la charité chrétienne vise à la vie hypostatique, l’intériorité réciproque des personnes décrite dans les chapitres 16 et 17 de l’Evangile de Jean.
Enfin, ce qui a motivé l’assimilation idiote du bouddhisme à une religion démoniaque tient à deux points précis, tous deux dans la sphère du grand véhicule tibéto-mongol. Le premier, c’est l’imagerie « angélologique » avec emploi du bleu sombre et du vert pour les corps des entités, voire des colliers de crânes et d’os humains. Divergence culturelle : cela correspondait assez bien aux enluminures médiévales représentant l’enfer dans le monde chrétien comme en islam. Le second, c’est la pénétration dans certaines lamaseries de pratiques magiques bön qui n’ont rien de particulièrement bienveillant. Alexandra David-Neel a écrit un bouquin très révélateur sur la magie noire au Tibet. Les « noueurs d’aiguillette » de nos campagnes berrichonnes ou autres sont des enfants de chœur face à ce qu’elle raconte et là, sans discussion, on est bien en face d’une inspiration démoniaque. Mais ce n’est plus du bouddhisme. C’est un vieux chamanisme dans sa version déviée et noir d’encre.
Attention tout de même à l’apophatisme dans le dialogue inter-religieux, il sert trop souvent de cache pot à l’a-dogmatisme et au syncrétisme minimal qui ne sont féconds pour personne.

Publié : lun. 24 oct. 2005 14:02
par Makcim
Anne Geneviève,

Comme on ne doit pas accorder à l’irritation plus que ce qu’elle mérite, je dirai seulement : - « Pourquoi se contenter de si peu ?

Le désir de Dieu, qui existe sans le moindre doute en chacun de nous de par l’image qui nous a été donnée depuis l’origine, prend les formes les plus subtiles, les plus incroyables comme les plus banales ou les plus grossières et les plus variées, mais toujours est insatiable, surtout que se laissant prendre à tous les leurres, il ne peut être jamais satisfait.
Chez certains c’est un désir de beauté qui se fossilise dans la collectionnite, chez d’autres c’est un désir de vérité qui croit s’alimenter dans un esprit de polémique qui finit par se mordre la queue, chez d’autres encore, très nombreux, c’est l’amour qui se perd dans la drague ou se fige sur un objet unique, chez d’autres c’est un désir de justice qui tourne à la révolte permanente jusqu’au terrorisme, et puis il y a ceux qui veulent nourrir, ceux qui veulent secourir, ceux qui veulent instruire, ceux qui veulent soigner, ceux qui veulent aider, conseiller…( ce que je suis en train de faire je le reconnais humblement, égaré moi-même que je suis). Je vous laisserai le soin de compléter la liste qui est fort longue. Chez certains enfin, c’est un désir de connaissance sans fin qui s’obnubile dans la spécialisation ou se disperse dans l’éclectisme le plus « enthousiaste » voulant embrasser le plus de domaines possibles afin que rien n’échappe à sa saisie… on peut facilement remarquer qu’à chaque forme de désir correspond un métier et/ou un vice…

Pourtant le Saint Apôtre n’a-t-il pas dit :
« 29 Voici ce que je dis, frères, c’est que le temps est court; que désormais ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, 30 ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, ceux qui achètent comme ne possédant pas, 31 et ceux qui usent du monde comme n’en usant pas, car la figure de ce monde passe. 32 Or, je voudrais que vous fussiez sans inquiétude. » (1Cor.29)
Invitation non pas au rejet, à l’abstention, et encore moins à l’autocastration ni même à l’indifférence, mais au simple détachement, à la non saisie, comme on dirait dans le Zen (ou aussi bien l’Advaïta d'ailleurs), autrement dit à l’acceptation de la frustration, du manque éventuels et inévitables.

Pour revenir au Bouddhisme que j’écrirai cette fois au singulier (contrairement à mon titre), je ne me perdrai pas dans des exposés sur écoles et doctrines, que je connais bien, même si mon choix s’est finalement arrêté, après avoir expérimenté trois écoles (Nichiren, Vajrayana tibétain karma kagyu et Dzogchen indépendant du tantrisme nyingmapa), sur le Zen Soto dans lequel s’est faite ma pratique pendant des années et qu’un Sensei (un instructeur) américano-japonais, humoriste et ancien musicien de rock, condense dans cette injonction : « Assieds-toi et ferme-là ! » ; ce n’est pas le lieu d’un forum orthodoxe.

En revanche ce que le Bouddhisme peut nous rappeler de manière intéressante - à mon humble avis - dans le contexte occidental où nous vivons, c’est simplement qu’il y a lieu de ne pas se payer de mots, et encore moins de ceux des autres mais d'expérimenter soi-même, corps et âme. Ce n’est en rien ici de l’adogmatisme. Oui, cette exigence de l’expérience est commune au Bouddhisme et à l’Orthodoxie et c’est là seulement qu’est la vérité, mais attention, ce qui est aussi commun aux deux voies c’est que cette expérience se fait dans le cadre d’une Tradition authentique, une transmission ininterrompue. C’est bien pour cela que la prière du cœur ne prend de sens que pratiquée à l’intérieur de l’Eglise orthodoxe. Voilà pourquoi la préférence culturelle (celtique, byzantine, copte, éthiopienne, arménienne, slave…) importe moins que la certitude du caractère ininterrompu de la Tradition, enseignée ici ou là, qui est l’unique nécessaire. Dommage que nos évêques prennent si peu souvent leur travail au sérieux non seulement de gardien mais également de transmetteur (mission, enseignement, mystères et guidance spirituelle) de la foi.

Quant à savoir si le zazen débouche sur rien tandis que la prière chrétienne nous ferait automatiquement entrer dans la communion avec Dieu, fût-elle solidement étayée par une doctrine sans faille, je n’en serais pas aussi sûr, d’autant qu’il faudrait un peu savoir de quoi l’on parle quand on utilise le mot de Vacuité. Zazen est une terrible ascèse, très simple, très profonde, mais elle n’est en aucun cas dans le Zen lui-même la voie automatique du Satori ni le garant d’une quelconque Illumination si bien que pratiquer pour obtenir des résultats est le plus sûr moyen de s’égarer. Deux choses importantes à retenir : non seulement il ne faut pas confondre la fin et les moyens mais en outre il n’y a pas forcément de lien entre les moyens et la fin ; d'ailleurs, comble du comble, la fin n’est rien d’autre que le moyen lui-même, quant au reste….

Je fais mention de cela parce s’il y a une préoccupation typiquement orthodoxe c’est celle de l’ascèse qui prend toute sa place dans le processus de déification, ce qui n’existe pas dans les autres « églises » où la morale personnelle ou sociale prend le pas. Je dirai en langage chrétien que la grâce ne s’obtient par aucun moyen sûr mais qu’elle est don gratuit de Dieu selon son bon vouloir et que la synergie de notre ascèse et de la grâce reste du domaine du mystère devant lequel il n’y a qu’à faire silence, c’est aussi cela l’apophatisme. L’ascèse et la prière ne servent qu’à nous préparer du mieux que nous sachons le faire à recevoir une grâce à laquelle il faut aspirer mais - et c’est là le paradoxe- qu’il vaut mieux ne pas attendre et encore moins croire avoir obtenu sous peine de tomber dans l’illusion spirituelle et se croire investi d’une mission divine nourrie par toutes sortes d’apparitions. Voilà encore un point commun entre Bouddhisme (du moins Zen) et Orthodoxie : on dit dans le Zen « Si tu rencontres le Bouddha tue-le ! » : tout le contraire de tant de mystiques catholiques qui font constamment part de leurs « expériences » mystiques pour faire généreusement partager au monde entier les « grâces » qu’ils ont reçues, car le catholicisme n’est pas une Tradition mais seulement un ensemble de coutumes mal conservées d’ailleurs ce qui fait qu’on peut désormais à peine employer ce mot de tradition même au sens de perpétuation des coutumes, bref ce n’est qu’une religion. Dans l’Orthodoxie, quand un saint a des apparitions, il ne se croit sûrement pas béni mais il les rejette illico les considérant à priori comme manifestations diaboliques, projections psychiques et en tout cas comme dans le Bouddhisme, pures illusions.
Saints baisers.

Bouddhismes

Publié : lun. 24 oct. 2005 14:59
par eliazar
Makcim a écrit:
"Dans l’Orthodoxie, quand un saint a des apparitions, il ne se croit sûrement pas béni mais il les rejette illico les considérant à priori comme manifestations diaboliques, projections psychiques et en tout cas comme dans le Bouddhisme, pures illusions. "
Il ne faudrait pas en arriver à multiplier les oeillères dans tous les sens à la fois : on arriverait à faire du cheval pur-sang qu'est l'Orthodoxie une vieille Rossinante essouflée !

Juste une petite mise au point : ce que tu dis de l'Orthodoxie est exactement ce que les grands mystiques du catholicisme romain (même après le schisme, puis les premières hérésies) ont continué à enseigner textuellement. Cf. Jean de la Croix et quelques autres.

Ce n'est que dans sa dernière décadence, et pour des raisons souvent politiques (cf. le Sacré-Coeur Alacoque ou Fatima) ou dogmatiques (cf. Lourdes) que le milieu "latin", càd Vaticanesque, a commencé à populariser à tour de planète ses "apparitions brevetées s.g.d.g.".

Ce qui a naturellement soulevé d'autres lièvres lorsque les mêmes phénomènes, mais pas dans la ligne du moment, ont été ostracisés par le même Vatican (cf. La Salette, Medjugorje et j'en passe...).

Du coup, le pauvre KTO de base qu'on avait chauffé à blanc pour l'Immaculée Conception de Marie et pour l'Adoration du sacré viscère n'a plus retrouvé ses billes et s'est jeté dans tout et n'importe quoi. Du charismatisme pur beurre au New Age, pourtant officiellement combattu.

Comme nous le constatons en effet aujourd'hui.

Mais çà, Makcim, c'est un phénomène de la fin des temps. Le Christ l'a clairement annoncé. Et malheureusement, cela touche AUSSI l'orthodoxe de base !

Chassez le surnaturel, il revient au galop...

Dialogue entre bouddhisme et chrétienté orthodoxe.

Publié : mer. 26 oct. 2005 16:17
par theodore
Je ne sais pas s 'il existe un dialogue entre bouddhisme et chrétienté orthodoxe en particulier(comme c'est le cas pour des chrétiens catholiques ou anglicans qui vécurent en Inde ou en Chine), mais il a bien dû exister des échanges un peu quelque part en Iakoutie ou en Bouriatie entre les missionnaires russes et les guides de ces peuples plus ou moins de culture bouddhiste(mon voisin me souffle qu'il devaient plutôt être shamanistes que bouddhistes comme les peuples de Mongolie).
En Chine la stèle de Sin An Fou ou Xian , stèle chrétienne rédigée en chinois et en araméen -syriaque montre qu'il existait par exemple des influences et un dialogue entre missionnaires chrétiens (ceux ci étaient nestoriens ) et autochtones taoïstes, bouddhistes ou confucianistes.

En revanche , là où les échanges pourraient être intéressants c'est au niveau des expériences des vies spirituelles et intérieures(expériences mystiques) de ceux qui chez nous pratiquent l'hésychia ou Prière du coeur et ceux qui chez nos interlocuteurs bouddhistes pratiquent des méditations spirituelles similaires comme le nembutsu.

Certains chrétiens qui ont engagé un dialogue avec ces traditions ont souvent fini par mieux apprécier et retrouver la valeur(ô combien incomparable) du véritable christianisme.
Le Dalaî Lama lui -même ne s'étonnait -il pas de voir tant de chrétiens vouloir devenir bouddhistes alors qu'ils ont déjà tout dans leur propre tradition?

Tout n'est peut-être souvent qu'une question de présentation et je pense qu'une nouvelle aube est toujours possible pour le christianisme , surtout venant de la plus pure des traditions chrétiennes, la tradition orthodoxe.

Publié : lun. 26 févr. 2007 21:44
par Claude le Liseur
Anne-Geneviève a écrit :Le second, c’est la pénétration dans certaines lamaseries de pratiques magiques bön qui n’ont rien de particulièrement bienveillant. Alexandra David-Neel a écrit un bouquin très révélateur sur la magie noire au Tibet. Les « noueurs d’aiguillette » de nos campagnes berrichonnes ou autres sont des enfants de chœur face à ce qu’elle raconte et là, sans discussion, on est bien en face d’une inspiration démoniaque. Mais ce n’est plus du bouddhisme. C’est un vieux chamanisme dans sa version déviée et noir d’encre.
Ma chère Anne-Geneviève,

Cela fait longtemps que je désirais faire quelques remarques en réponse à ce passage de votre message du 22 octobre 2005 à 17h48.

J'ai conscience que le message que j'écris maintenant nous éloigne quelque peu des sujets ordinaires de ce forum, mais il est dicté par un souci de justice. En effet, je me suis toujours battu pour que le forum orthodoxe francophone garde une certaine tenue et évite de tomber dans les excès de certains forums catholiques romains ou « réformés confessants » où l'on parle avec une sotte suffisance de choses que l'on ne connaît pas (j'en donnerai bientôt un exemple cocasse où un polémiste anti-orthodoxe, dans le but de sa démonstration, a retardé de neuf jours la date de la Pentecôte en 1453), quand on ne plagie pas. J'estime qu'il y a d'autres que nous qui se sont depuis un millénaire spécialisés dans la chasse aux sorcières, la forgerie de faux documents, l'intolérance haineuse, et que nous pouvons leur laisser le monopole du mensonge et de la calomnie dans lesquels ils excellent.

Vous n'êtes bien sûr ni sotte, ni suffisante, mais, en l'occurrence, vous êtes victime d'une désinformation qui remonte aux récits d'Alexandra David-Neel, elle-même désinformée par certains bouddhistes.

Car, quels que soient les innombrables mérites du bouddhisme tibétain, beaucoup de ses adeptes n'ont pas échappé au travers de la calomnie à l'égard de l'autre religion du Tibet, le Bœun (tibétain བོན་), qui comptait pour environ 10% de la population tibétaine avant le déferlement des communistes chinois en 1959 et l'exil précipité de Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Il faut signaler au passage que le Bœun, minoritaire au Tibet lui-même malgré quelques zones de force dans le Kham, l’Amdo et la région du mont Kaïlash, s’était aussi implanté, sous une forme plus ou moins affadie, parmi les Mosso du Yunnan et les Mon des confins tibéto-birmans.

Je reprends la graphie Bœun qui est celle utilisée par les éditions Claire Lumière, spécialisées dans les livres sur le bouddhisme tibétain. En effet, la graphie Bön, que l'on utilise souvent en français à l'exemple des textes anglais, s'inspire des conventions de l'allemand et n'est plus guère compréhensible pour les francophones d'aujourd'hui: vu le déclin culturel et scientifique des pays francophones, combien de francophones, en dehors de la Romandie, de l'Alsace, de la Moselle, du Luxembourg et du pays d'Arlon, savent encore prononcer le ö allemand? Autant donc utiliser une graphie qui respecte les conventions de la langue française. Par conséquent, dans la suite du texte, j'utiliserai les termes Bœun et bœunpo, tout en reconnaissant que d’autres transcriptions seraient possibles. Par exemple, M. Gilbert Buéso, dans son savant ouvrage Parlons tibétain, L’Harmattan, Paris 1998, p. 35, utilise une transcription « Beun ». Quant à Mme Anne-Marie Blondeau, dans « Religions du Tibet », in Histoire des Religions, tome III, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, Paris 1976, pp. 233-329, elle transcrit tout simplement « Bon ». Rappelons qu'à l'heure actuelle, il n'existe pas encore de système scientifique de transcription du tibétain, quoique Lama Namkhai Norbu Rimpoché, qui a été pendant des décennies professeur à l' Istituto orientale de l'Université de Naples où l'avait fait entrer le célèbre professeur Giuseppe Tucci, se soit efforcé de créer un système de transcription du tibétain proche du système pinyin imposé pour le chinois par la République populaire de Chine.

Revenons au vif du sujet. Quand le bouddhisme est devenu dominant au Tibet, il a succombé au travers naturel qui consiste à diaboliser la religion qui était présente avant lui. Cette tendance a encore été accentuée par le triomphe des Gelugpa qui ont d'ailleurs aussi quelque peu diabolisé les écoles anciennes. Il s'en est suivi un déferlement de calomnies à propos du Bœun, auquel on abusivement rattaché tout ce qui avait existé au Tibet en dehors du bouddhisme: le chamanisme, la magie noire, et surtout «la religion sans nom».

Puisqu'on présentait comme des bœunpo tous les adeptes de pratiques hétérodoxes aux yeux de l'école gelugpa abusivement présentée comme la seule école légitime du bouddhisme tibétain, il était facile de faire croire que les adeptes de la magie noire au Tibet étaient, comme l'a écrit Alexandra David-Neel et comme vous le reprenez, des adeptes de «pratiques magiques bön qui n'ont rien de particulièrement bienveillant».

Depuis le départ vers l'Inde de réfugiés bœunpo fuyant le communisme et porteurs de leur tradition, depuis la publication par David Snellgrove de The Nine Ways of Bön en 1967 déjà et depuis la traduction en français de nombreux textes de la tradition Bœun, de telles équivoques ne devraient plus être possibles.

Qu'il y ait des traces de magie noire ou de chamanisme chez les bœunpo tibétains, c'est un fait que je ne nie pas: comme il y a des traces de chamanisme chez les bouddhistes tibétains ou les orthodoxes zyriènes, mais cela n'en fait ni l'essence du Bœun, ni l'essence du bouddhisme tibétain, ni l'essence de l'Orthodoxie en République des Komis.

Pas plus que, contrairement à ce qu'écrivent souvent les auteurs bouddhistes, le Bœun n'était la religion autochtone du Tibet ni même sa religion dominante contre laquelle Gourou Rimpoché (Padmasambavha, Né-du-Lotus) aurait eu à lutter. Quand les auteurs bouddhistes racontent que le roi Langdharma (838-842) persécuta le bouddhisme pour rétablir le Bœun, c'est par abus de langage, parce que ces auteurs bouddhistes ont pris le pli de qualifier de Bœun tout ce qui a été présent dans le domaine religieux au Tibet avant la mission de Gourou Rimpoché. Or, la religion de la cour royale au temps de l'Empire tibétain, ce n'était pas le Bœun, pas plus que le chamanisme n'est du Bœun.

Les bœunpo ont toujours affirmé que leur religion n'est pas autochtone au Tibet, mais qu'elle serait originaire du TagZig (ou Stag-zig), région évidemment identifiée au Tadjikistan, voire à la Perse. Même si la localisation est difficile, il n'y a aucun doute que le Bœun est originaire du monde iranien. Il est même probable que l'antagonisme entre les bouddhistes et les bœunpo reprenne en partie le vieil antagonisme qui a abouti à la séparation entre les Indo-Aryens et les Irano-Aryens, ce schisme religieux d'une ampleur considérable. Citons le professeur Lebedynsky de l’INALCO de Paris : « En marge de cette question se pose celle de la « révolution religieuse » qui aurait accompagné la rupture de l’unité indo-iranienne, voire l’aurait provoquée. En effet, le terme indo-iranien commun *daiva- « dieu, divinité », qui a conservé son sens premier en sanscrit (deva-), a pris celui de « démon » en avestique (daēva-). Ce renversement serait révélateur d’une opposition religieuse majeure entre les ancêtres des Indo-Aryens et ceux des peuples iraniens. Mais il est impossible à dater, et il n’est même pas sûr qu’il ait concerné la totalité des parlers proto-iraniens (d’après Georges Dumézil, par exemple, il ne se serait pas produit dans une partie au moins des langues « scythiques » de la steppe, comme en témoigneraient les données de la religion populaire ossète). L’opposition est d’ailleurs moins nette dans le cas de l’autre catégorie de personnages divins, les *Asura- indo-iraniens : du côté iranien, Ahura est devenu le nom du dieu unique du zoroastrisme, Ahura Mazdā, le « Seigneur sage » ou le « Seigneur sagesse » ; mais du côté indien, les Asura védiques sont moins « démoniaques » qu’on ne l’a dit. Dans des textes anciens, ce nom est donné à de grands dieux comme Varuna ou Bhaga. » (Iaroslav Lebedynsky, Les Indo-Européens, Editions Errance, Paris 2006, p. 167.) Il est vrai que, dans le bouddhisme, les asura sont des Titans plutôt que des démons.
On sait qu'un certain nombre d'Indo-Aryens prirent la direction du Moyen-Orient plutôt que celle du sous-continent indien et qu'ils formèrent par exemple l'aristocratie du royaume du Mitanni; des générations plus tard, l’antagonisme entre religion irano-aryenne et religion indo-aryenne n’avait pas diminué : « Un groupe probablement plus important a marché plus au nord en direction de l’ouest à travers le plateau septentrional de l’Iran et a sans doute laissé des arrière-garde s’installer à demeure dans les provinces bordant la mer Caspienne (Mazandéran, Ghilan) où des « adorateurs des devas », descendants de ces Ârya, seront persécutés bien des siècles plus tard par les rois achéménides fidèles d’Ahura Mazda. » (Jacques Freu, Histoire du Mitanni, L’Harmattan, Paris 2003, p. 30.)
Il n’est donc pas impossible que l’opposition entre Bœun et bouddhisme au Tibet ne soit qu’une nouvelle figure de ce vieil antagonisme entre Iraniens et Indiens.

Toujours loin de se vouloir la religion autochtone du Tibet, le Bœun affirme sans équivoque qu'il eut pour fondateur, dans ce mystérieux TagZig, le Seigneur Shenrab Miwo (Gçen-rab mi-bo dans la graphie de Madame Blondeau), vers 1'500 avant Jésus-Christ (c'est-à-dire à l'époque où les Irano-Aryens étaient précisément installés en Asie centrale). Du TagZig, il était devenu la religion majoritaire du royaume de ShangShoung (Žan-žun dans la graphie de Madame Blondeau), correspondant à la partie la plus occidentale de l'actuel Tibet autour du mont Kaïlash où les shivaïtes, de leur côté, voient la demeure de Siva. C'est le premier roi bouddhiste du Tibet Songtsèn Gampo (617-650) qui a annexé au Tibet le royaume de ShangShoung et c'est seulement à cette occasion que le Bœun s'est vraiment installé au Tibet historique. Par conséquent, dans la majeure partie du Tibet, le Bœun n'est pas antérieur au bouddhisme.

Il est à noter que tous les récits relatifs aux origines du Bœun étaient considérés comme légendaires jusqu'aux progrès récents de l'archéologie en Asie centrale et dans l'Himalaya. Or, toutes les découvertes archéologiques récentes confirment les récits de la tradition Bœun. En particulier, plus personne ne considère comme légendaire l'existence du royaume perdu de ShangShoung ni de son écriture, qui est encore utilisée aujourd'hui dans certaines pratiques du Dzogchen. Par exemple, Namkhai Norbu Rimpoché, dans son ouvrage Dzogchen et Tantra, traduit de l’anglais par Bruno Espaze, Albin Michel, Paris 1995, p. 96, donne un schéma de Thiglé tchenpo, symbole du Dzogchen où sont inscrits six lettres dans les caractères de l’ancienne écriture de ShangShoung.

Je l'ai écrit, dans la majeure partie du Tibet, le Bœun n'est pas antérieur au bouddhisme. Alors, quelle était la véritable religion de l'Empire tibétain avant la conversion de Songtsèn Gampo, cette religion diabolisée par les textes bouddhistes, cette religion dont on a voulu effacer le souvenir au point que nous ne connaissons pas son véritable nom et qu'on l'a abusivement appelée Bœun, de manière à compromettre celui-ci en l'assimilant à celle-là? Car tout a été fait pour faire disparaître jusqu’au souvenir de la religion ancienne, et pour emporter le Bœun dans le même corbillard : « (…) le bouddhisme s’est trouvé confronté au Tibet avec une religion organisée dont les concepts et les pratiques étaient totalement irréconciliables avec les siens. De toute évidence, il ne pouvait admettre les sacrifices animaux, a fortiori humains. Mais surtout, la conception d’un roi-dieu qui maintient l’ordre de l’univers, la croyance en l’immortalité, en une vie bienheureuse après la mort conçue à l’image de la vie terrestre et valorisant donc cette dernière, ne laissaient aucune place aux concepts fondamentaux du bouddhisme : l’impermanence de toute existence, y compris celle de l’univers, la souffrance liée à l’existence, la transmigration (samsāra), la rétribution inéluctable des actes, en cette vie ou dans une autre vie (karman). » (Blondeau, op. cit., p. 245.)


Un seul exemple suffira à prouver la fausseté de cette assimilation. Les bouddhistes eux-mêmes reconnaissent que ce sont les bœunpo qui leur ont appris à faire des offrandes de tormas (statuettes de beurre) (cf. Fabrice Midal, Mythes et dieux tibétains, Le Seuil, Paris 2000, pp. 116-117) et les bœunpo se glorifient que Tonpa Shenrab Miwo ait appris à leurs lointains ancêtres à remplacer les sacrifices sanglants par les offrandes de torma. On voit ainsi que le Bœun partage la répugnance du bouddhisme à l'égard des sacrifices d'êtres animés. Or, parmi peu que nous savons à propos de la « religion sans nom » du Tibet avant la prédication du Dharma, c'est que cette religion connaissait la pratique des «morts d'accompagnement», attestée dans un grand nombre de peuples (Sumériens, Scythes, Vikings –cf. le célèbre récit d'Ibn Fadlan , Indiens de la côte nord-ouest de l'Amérique du Nord, Balinais, Mongols, Chinois, etc., etc.) pratique que le christianisme et le bouddhisme ont éradiquée partout où ils ont triomphé. Citons le sociologue français Alain Testart, le meilleur spécialiste mondial de la pratique des morts d’accompagnement : « Bien que toute cette période soit entourée d’une grande obscurité et malgré l’insignifiance des fouilles archéologiques en pays tibétain, l’exemple comporte un enseignement important sur la sociologie de l’accompagnement : c’est, pour employer un terme issu de notre féodalité, celle de l’amitié jurée. […] Les sources chinoises indiquent que "le souverain et des sujets concluent un pacte d’amitié englobant cinq ou six personnes appelées « destin commun » (à la vie à la mort). Quand le souverain mort, elles se suicident pour le suivre dans la tombe. " Selon ces mêmes sources, beaucoup de parents et de fidèles seraient enterrés avec le roi. » (Alain Testart, Les morts d’accompagnement, Editions Errance, Paris 2004, p. 103.) On voit donc mal comment le Bœun, avec sa répugnance pour tout ce qui se rapprocherait d’un sacrifice d’êtres animés, aurait dès lors pu être la religion de la cour impériale tibétaine!

La calomnie qui fait du Bœun l'ancienne religion de la cour tibétaine, sur fond de chamanisme et de magie noire, ce qui est d’ailleurs aussi une calomnie à l’égard de ce qu’était la « religion sans nom », finit par bien embarrasser les adversaires les plus acharnés du Bœun, c'est-à-dire les Gelugpa exclusivistes du type de ceux de la New Kadampa Tradition (NKT). A force d'avoir qualifié tout et n'importe quoi de Bœun, ils finissent par faire des distinctions spécieuses entre le Bœun naturel, magique et chamanique, le Bœun introduit, qui aurait été la religion, basée sur l’observance stricte des rites, de la cour tibétaine, et le Bœun actuel, qui se serait réformé sous l'influence du bouddhisme et l'aurait plagié. Faut-il préciser que ces assertions tiennent de plus en plus difficilement la route face aux recherches des archéologues et des philologues européens et nord-américains, qui tendent à montrer que le Bœun présentait les caractères qui sont aujourd'hui les siens bien longtemps avant l'arrivée du bouddhisme au Tibet ?

Il est vrai que les véritables origines du Bœun restent contestées. Se pose en particulier le problème des incontestables affinités avec le bouddhisme, alors qu'on tend de plus en plus à accepter l'idée que le Bœun n'a pas plagié le bouddhisme. En effet, ici comme en beaucoup d’autres lieux, l’archéologie vient au secours de ce qui passait pour de vieilles légendes : « Une de ces sculptures datant du Karakoram, et datée du 1er siècle de l’ère chrétienne, montre clairement le style caractéristique d’un stûpa Bönpo comportant une ouverture à la base et le symbole du trident, de même que le symbole de la svastika du Yungdrung Bön, ce qui donne à réfléchir sur ces similitudes de style avec la culture bouddhiste indienne arrivée au Tibet seulement six siècles plus tard. De même, les sculptures du Ladakh, bien que gravées par des soldats à l’époque de l’expansion de l’influence tibétaine coïncidant avec l’arrivée du bouddhisme indien, expriment toutes le style des stûpas Bönpos, accompagné d’inscriptions en langage archaïque du Tibet occidental, le ZhangZhung, que le Tibétain a supplanté. L’idée généralement admise que le langage écrit coïncide au Tibet avec le Bouddhisme indien, paraît bien faible. » (Richard Dixey, préface à Shardza Tashi Gyaltsen, Les sphères du cœur, Les Deux Océans, Paris 1998, p. 9.) Depuis, les progrès ont été considérables, et l’archéologue John Bellezza a trouvé, dans le Tibet occidental et ses confins indiens, de nombreux vestiges archéologiques de ce royaume qui était considéré comme un conte bœunpo voici encore peu de décennies.

Alors, puisqu’il n’y a pas de plagiat, comment expliquer les similitudes entre le Bœun et le bouddhisme ?



Pour certains, il s'agit tout simplement d'une autre forme du bouddhisme, dont la présence au Tibet est antérieure à la prédication du Précieux Maître, et qui serait arrivée au Tibet par l'Asie centrale alors que les autres écoles sont arrivées par le nord de l'actuel Pakistan. Dans cette optique, le Bœun serait une école bouddhique antérieure, qui se serait développée dans un milieu iranophone avant d'arriver au ShangShoung, et qui n'aurait pas le lien avec l'université de Nalanda qui caractérise plusieurs autres écoles du bouddhisme tibétain. Après tout, il y a encore au Népal, à côté des adeptes du bouddhisme tibétain, des populations newar qui sont les dernières à pratiquer une forme du Vajrayana purement indienne et n'ayant pas transité par le Tibet (cf. Pascal et Evelyne Chazot, Parlons népali, L'Harmattan, Paris 1996, p. 206). Par conséquent, il serait tentant de voir dans les bœunpo les derniers adeptes d'une forme du bouddhisme qui serait passée par le milieu iranophone d'Asie centrale (les Sogdiens?). Dans cette optique, certains n'hésitent pas à envisager que le Bœun ait été la forme de bouddhisme pratiqué dans un des centres bouddhistes du monde persan au début de l'ère chrétienne et le TagZig s'identifierait, par exemple, avec le grand centre bouddhique de Balkh dans l'actuel Afghanistan, dont on sait que les desservants, plus tard convertis à l'Islam, appartenaient à la famille des Barmécides dont le membre le plus illustre fut Djaffar, le grand vizir du calife abbasside de Bagdad Haroun-al-Rachid.

Cette thèse ne serait pas très différente d’une opinion citée par Madame Blondeau (op. cit., pp. 314 s.), pour qui non seulement le Bœun, mais aussi l’école des Nyingmapa (qu’elle transcrit Rñin-ma-pa) seraient deux expressions du bouddhisme ancien au Tibet, bouddhisme qui se serait chargé de tout un lot de croyances étrangères au bouddhisme. Face aux réformes introduites par les nouvelles écoles bouddhiques au XIe siècle, les Nyingmapa se seraient adaptés, tandis que les bœunpo auraient au contraire tout fait pour se différencier (circumambulation dans le sens inverse de celui pratiqué par les bouddhistes, svastika dont les branches tournent à gauche), poussant le raidissement dans leur opposition jusqu’à se constituer en religion séparée. Cette opinion cadre pourtant mal avec les récentes découvertes archéologiques qui montrent que bien des éléments caractéristiques du Bœun actuel existaient mille ans avant la date généralement reconnue pour leur apparition.

Toutefois, si l'on accepte le point de vue des adeptes du Bœun qui placent la vie de leur fondateur des siècles avant celle du Bouddha historique Gautama Sakyamuni (celui que le christianisme a canonisé sous le nom de saint Josaphat), les choses deviennent plus compliquées. Les bouddhistes résolvent la question en émettant l'idée que Shenrab Miwo aurait pu être une manifestation antérieure du Bouddha historique. L’observateur non bouddhiste pourra quant à lui penser que le Bœun correspond à de très vieilles croyances qui étaient répandues en milieu indo-iranien avant la séparation des deux ethnies, et cela expliquerait les affinités avec le shivaïsme, et l'affirmation commune, partagée avec le shivaïsme, d'être une religion « éternelle », sans commencement, sans révélation, sans dogme : le Yungdrung Bön, le « Bœun éternel ». Le shivaïsme ne se veut-il pas, quant à lui, sanâtana dharma, lex perennis (cf. Bernard Dubant, B.-A. -BA Shivaïsme, Pardès, Grez-sur-Loing 2006, p. 9)?
Les affinités avec le bouddhisme proviendraient dès lors de ce très vieux fonds indo-européen, commun au shivaïsme, au bouddhisme et au Bœun, le Bouddha Gautama n'ayant fait que réanimer une tradition ancienne, perdue de vue de son temps.

Comme on le voit, bien des points restent à éclaircir à propos du Bœun. Toutefois, un certain nombre de choses devraient être claires pour tout le monde:

1. Le Bœun n'est pas la religion autochtone du Tibet antérieure à l'arrivée du bouddhisme. Il n'y a donc pas de « pratiques magiques bön » qui auraient pénétré certaines lamaseries après l'implantation du bouddhisme. Il peut certes y avoir des pratiques magiques qui se sont infiltrées dans certains monastères bœunpo ou bouddhistes, mais elles ne viennent pas du Bœun lui-même, et surtout elles ne sont pas l’essence du Bœun. Quand un prêtre orthodoxe phylétiste, comme il en existe malheureusement quelques-uns, du genre de ces brillants personnages qui n'ont qu'un mépris haineux pour les peuples et les cultures de l'Europe occidentale tout en ne refusant jamais une bonne subvention de l'Union européenne ou de la Suisse, lit mécaniquement des paroles auxquelles il ne croit pas dans le seul but de satisfaire une clientèle d’émigrés nostalgiques des chants de leur pays, tandis qu’il s’abstient de toute pastorale et fait même obstacle à la vie spirituelle de ses fidèles parce que tout souci spirituel lui paraît éminemment suspect, il pratique aussi une certaine forme de magie. Mais qui oserait prétendre qu’il est représentatif du christianisme orthodoxe ?

2. Le Bœun n'est donc pas l'ensemble de pratiques magiques et chamaniques auxquelles les Gelugpa exclusivistes aimeraient bien le réduire. Il s'agit d'une philosophie qui vaut bien celle du bouddhisme. La plus ancienne école du bouddhisme tibétain, les Nyingmapa, ne nie pas ses relations avec le Bœun. Le Dzogchen, qui était très mal vu des Gelugpa et que le Ve Dalaï-Lama Gyalchok Nawa (1617-1682) devait pratiquer en secret, est commun au Bœun et à l’école des Nyingmapa.

3. Enfin, à l'heure actuelle, il faut absolument cesser de colporter les malveillances des informateurs d'Alexandra David-Neel à l'égard du Bœun. Il y a maintenant des groupes peu nombreux de bœunpo francophones, anglophones, russophones. Il ne s'agit assurément pas de Français, d'Etasuniens ou de Russes devenus adeptes du chamanisme ou de la magie noire! Bien des ouvrages bœunpo ont maintenant été traduits en français, en particulier ceux de Tenzin Wangyal Rimpoché, lama bœunpo qui présente la particularité d'être né en exil en Inde et d'enseigner aux Etats-Unis. Il est professeur à l'université de Charlottesville et dirige le centre Ligmincha (du nom du dernier roi du ZhangZhung assassiné sur l'ordre de Songtsen Gampo). Les éditions Claire Lumière ont publié deux de ses livres (Yogas tibétains du rêve et du sommeil et Guérir par les formes, l'énergie et la lumière), tandis qu'un autre, Les prodiges de l'esprit naturel, est disponible en édition de poche (Collection Points Sagesse) aux éditions du Seuil. Tout ceci a beaucoup à voir avec de la haute spéculation philosophique, et fort peu avec de la magie noire.

4. Je pense que l'attitude de l'actuel Dalaï-Lama en exil en Inde devrait être éclairante à ce propos. Celui-ci reste certes le chef de l'école des Gelugpa, mais il n'oublie pas ses responsabilités de chef d'Etat en exil à l'égard de toutes les composantes de la culture tibétaine. Par conséquent, il fait aussi son possible pour raffermir les autres écoles tibétaines, y compris le Bœun. Il a ainsi préfacé Les prodiges de l'esprit naturel de Tenzin Wangyal Rimpoché, et n'a pas hésité à apparaître dans certaines occasions en portant une coiffe bœunpo. On dit souvent qu'il a reconnu le Bœun comme la « cinquième des quatre écoles du bouddhisme tibétain ». Cette attitude lui vaut l'hostilité des intégristes de son école, et les groupes liés à la NKT ont rompu tout contact avec lui et mènent de violentes campagnes contre lui. Mais, soyons sérieux: si le Bœun était cet ensemble de pratiques de magie noire auxquels on le ramène en Occident depuis le livre d'Alexandra David-Neel, publié des décennies avant que commence l'étude scientifique de cette tradition, l'actuel Dalaï-Lama accepterait-il de le considérer comme une école bouddhique, au risque de voir l'anathème jeté sur lui depuis les hauteurs du Mont-Pèlerin, au-dessus de Vevey, où se trouve un des monastères les plus liés aux Gelugpa purs et durs?

Il va de soi que le sujet que je viens de traiter est marginal par rapport aux centres d'intérêt du présent forum. De toute façon, le Bœun a si peu d'adeptes sous nos latitudes que je n'en ai jamais rencontrés et que je n'en rencontrerai sans doute jamais. Mais c'est précisément parce que cette tradition est faible sur le plan numérique, lointaine, pauvre, persécutée de toutes parts, exilée et calomniée, que nous nous devons de dire la vérité à son égard, et que je n'ai pas voulu que le présent forum laisse entendre à son égard des choses qui ne sont pas vraies. Même si je sais qu'Anne-Geneviève, elle, était de bonne foi quand elle a écrit les propos qui sont le point de départ de ces lignes, il n'en reste pas moins que nous, chrétiens orthodoxes, nous devons nous souvenir en toutes circonstances que nous sommes les serviteurs de Celui qui a dit « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie » (Jn 14,16) et qui nous a dit une bonne fois pour toutes que « la Vérité [nous] rendra libres » (Jn 8,32). La calomnie et le mensonge, nous pouvons les laisser aux forgeurs de fausses décrétales, aux falsificateurs du Credo, aux défenseurs de Stepinac, à ceux qui déplacent la date de Pâques 1453 de neuf jours pour faire accroire, comme pauvre argument en faveur de leurs thèses, que la ville bénie de Dieu était tombée le jour de la Pentecôte et se glorifient sur Internet que les musulmans aient ainsi été des défenseurs du Filioque. Le Christ nous a un jour fait entrevoir la Vérité et il nous a libérés de siècles de conditionnement mental; nous devons d'autant plus abhorrer le mensonge. Laissons-leur l'intolérance, la calomnie et le désir de conquête; mais souvenons-nous que nous, en revanche, nous n'avons pas le droit de propager des idées fausses, fussent-elles partagées par le plus grand nombre.

Notre premier devoir, nous l'avons envers la Vérité, et la vérité, nous la devons encore plus à l'égard du Bœun, faible selon le monde, méconnu, persécuté, méprisé, qu'à l'égard de ceux qui ont les moyens de répliquer.


Alors, je peux m’être trompé, par ignorance et par méconnaissance, mais j’ai ici essayé de payer au Bœun le tribut de la vérité.

Publié : ven. 02 mars 2007 19:03
par Pascal-Yannick
lecteur Claude a écrit :... nous devons nous souvenir en toutes circonstances que nous sommes les serviteurs de Celui qui a dit « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie » (Jn 14,16) et qui nous a dit une bonne fois pour toutes que « la Vérité [nous] rendra libres » (Jn 8,32)...Le Christ nous a un jour fait entrevoir la Vérité et il nous a libérés de siècles de conditionnement mental; nous devons d'autant plus abhorrer le mensonge. Laissons-leur l'intolérance, la calomnie et le désir de conquête; mais souvenons-nous que nous, en revanche, nous n'avons pas le droit de propager des idées fausses, fussent-elles partagées par le plus grand nombre.

Notre premier devoir, nous l'avons envers la Vérité, et la vérité, nous la devons encore plus à l'égard du Bœun, faible selon le monde, méconnu, persécuté, méprisé, qu'à l'égard de ceux qui ont les moyens de répliquer.


Alors, je peux m’être trompé, par ignorance et par méconnaissance, mais j’ai ici essayé de payer au Bœun le tribut de la vérité.
Intervention très pertinente qui bien que n'abordant pas directement l'Orthodoxie peut être considérée à juste titre comme une homélie.

Publié : dim. 04 mars 2007 8:03
par Anne Geneviève
Je reconnais d'autant plus volontiers mon erreur que, entre temps, j'ai lu des travaux de recherche sur le bön qui rejpoignent tout à fait ce que vous dites.

Publié : lun. 05 mars 2007 20:44
par Jean-Louis Palierne
La “remontée” d’un fil un peu ancien m’a permis de relire l’intervention de Makcim, que je n’avais pas suffisamment lue en son temps (celle du 24 octobre 2005 !!!) :
En revanche ce que le Bouddhisme peut nous rappeler de manière intéressante — à mon humble avis — dans le contexte occidental où nous vivons, c’est simplement qu’il y a lieu de ne pas se payer de mots, et encore moins de ceux des autres mais d'expérimenter soi-même, corps et âme. Ce n’est en rien ici de l’adogmatisme. Oui, cette exigence de l’expérience est commune au Bouddhisme et à l’Orthodoxie et c’est là seulement qu’est la vérité, mais attention, ce qui est aussi commun aux deux voies c’est que cette expérience se fait dans le cadre d’une Tradition authentique, une transmission ininterrompue. C’est bien pour cela que la prière du cœur ne prend de sens que pratiquée à l’intérieur de l’Eglise orthodoxe. Voilà pourquoi la préférence culturelle (celtique, byzantine, copte, éthiopienne, arménienne, slave…) importe moins que la certitude du caractère ininterrompu de la Tradition, enseignée ici ou là, qui est l’unique nécessaire. Dommage que nos évêques prennent si peu souvent leur travail au sérieux non seulement de gardien mais également de transmetteur (mission, enseignement, mystères et guidance spirituelle) de la foi.
Je crois qu’il soulève ici un point fondamental. C’est que nous avons l’expérience de la vérité avant d’en avoi le connaissance analytique et raisonnée. qui nous est, mais seulement par après, indispensable. Or cette connaissance, bien qu’expérimentale, n’est pas une intuition individuelle subjective et intransmissible, mais elle est je fruit d’une Révélation reçue dans une rencontre entre Dieu personnes ; Dieu et l’homme. Or Dieu — qui n’est pas Lui-même une Personne, mais trois Personnes consubstantielles, s’adresse à un homme, mais au delà de cethomme, à tous les hommes, parce que cet homme doit transmettre cette Révélation dans la Communion d’une Église.

La Communion d’une Église ne doit pas être réduite à une réception passive de la Grâce divine des mains d’un prêtre qui a les “pouvoirs sacramentels”. La communion commence par uertain nombre de gestes concrets du fidèle, qui est immergé dans l’eau, qui reçoit une onction, qui offre puis qui mange et boit du pain et du vin, qui allume des lumières devant les icônes, qui vénère les reliques, qui célèbre un certain nombre d’offices de prières etc.

Ce sont des gestes concrets qui anticipent la Résurrection finale eu Jour où le Seigneur viendra en gloire et où tous nous ressusciterons, corps et âmes, donc dans notre être intégral, pour participer au culte véritable rendu au Dieu trinitaire.

C’est en quoi, autant j’ai aimé le début de la contribution de Makcim, autant j’ai regretté son dernier paragraphe, qui me praît juste, mais un peu réducteur.

Publié : mar. 06 mars 2007 12:58
par hilaire
C’est que nous avons l’expérience de la vérité avant d’en avoir la connaissance analytique et raisonnée qui nous est, mais seulement par après, indispensable

pardonnez moi Jean Louis, mais je ne suis pas votre phrase... en quoi si nous faisons l'expérience de la vérité avons nous par la suite besoin d'une connaissance analytique et raisonnée, qui plus est de manière indispensable ? La vérité ne se suffit elle pas en elle même si j'ose dire?
à moins que vous évoquiez une capacité à retranscrire cette expérience de manière analytique et raisonnée dans un souci de témoignage à autrui?