La Bible, livre inspiré
Publié : sam. 02 juil. 2005 19:45
Je soumets à la sagacité de tous un article que j'ai écrit sans savoir où le publier et qui, pour l'instant, n'ameute pas des foules de rédacteurs en chef - faut dire que j'ai la flemme de les solliciter l'un après l'autre.
Genèse 1 : le Poème de la Création.
Selon les historiens du judaïsme, le Poème de la Création aurait été composé au VIe ou au Ve siècle avant notre ère, à la fin de la déportation à Babylone ou dans les années qui suivirent la reconstruction du Temple. Dans cette perspective, il est difficile de ne pas envisager que le modèle en aurait été le récit babylonien de la Création, l’Enuma Elish que l’on chantait chaque année au début des fêtes de la passion et de la résurrection du dieu Marduk . Les parentés évidentes des deux textes en témoignent. On trouve dans le chant de Babylone des versets dont les résonances bibliques sont indéniables : « En ce temps là aucun roseau n’avait poussé, aucun arbre n’avait été créé… tous les continents n’étaient que mer » – « Il produisit les bêtes des champs et les créatures vivantes des champs, Il créa le Tigre et l’Euphrate et leur assigna leur place . » L’ordre d’apparition des créatures est quasiment le même et suit la taxis hebdomadaire des esprits planétaires : séparation des cieux d’avec la mer et la terre, elles-mêmes distinguées ; création des astres au 4e jour ; arbres et plantes ; animaux et poissons ; enfin formation de l’homme. A partir de ce constat, pour nombre d’exégètes contemporains, la cause est entendue. Le milieu sacerdotal qui apparaît autour du Temple reconstruit par Esdras, ce milieu que l’on nomme « élohiste » pour le distinguer des « yavhistes » rédacteurs de l’époque des rois, aurait plagié sans états d’âme la plus belle pièce liturgique du culte babylonien, n’en retirant que les mythes les plus reconnaissables et la parèdre du dieu, l’Enuma Elish elle-même n’étant d’ailleurs qu’une compilation savante de cantilènes de création utilisées par les médecins depuis l’époque sumérienne. Mais, dans cette perspective tout à fait satisfaisante pour l’historien, que reste-t-il de l’inspiration divine ?
Les ressemblances des deux poèmes toutefois ne doivent pas gommer les différences. Prenons un seul exemple. Dans l’Enuma Elish, le chaos primitif, les eaux amères de l’Abîme qui est comme un océan boueux, sert de résidence à une entité qui le personnifie, Tiamat, mère des monstres ; elle pré-existe à l’action créatrice de Marduk qui devra la vaincre pour laisser place au monde ordonné. A bien des égards, Marduk apparaît comme un démiurge alors que le Dieu biblique est pleinement créateur. Il ne tire le réel que de Lui-même, par ce que le rabbin Josy Eisenberg ose nommer un accouchement. « Dieu », dit-il, « a accouché du monde par une expulsion créatrice » qui pose l’irréductible altérité divine en même temps que son amour pour l’enfant univers. Même si le premier état de la création est encore chaotique, tohu et bohu, il n’est peuplé que de virtualités des formes à venir, gros de promesses mais sans rien d’hostile à la volonté divine. Le Poème biblique affirme à chaque étape la prééminence du projet divin, y compris dans le don de la liberté et de la fécondité. Autant Tiamat et son univers mélangé, ses boues et ses monstres, pourraient suggérer comme dans la théologie platonicienne ou dans certaines écoles hindoues une proto-matière éternelle, plastique, peut-être même indistincte de l’immanence divine, autant le bara biblique, l’affirmation de la création hors de soi interdit toute confusion entre la volonté de Dieu et les puissances internes de la matière.
Toutefois, l’originalité théologique ne suffit pas pour affirmer que Dieu a inspiré le rédacteur de ce texte – même si inspirer ne signifie pas dicter comme le pensent les fondamentalistes. Il reste un doute raisonnable. On pourrait me rétorquer que le doute se franchit par la foi et que la grandeur de l’archange Michel vient de ce qu’il a su accepter l’œuvre divine sans comprendre. Certes, mais Michel acceptait de ne pas comprendre car il touchait et expérimentait les limites de l’intelligence angélique et mesurait la distance entre la pensée de Dieu et la sienne. Et lorsque le doute s’instaure sur l’origine – est-ce de Dieu, est-ce des hommes ? – la Bible elle-même nous montre que Dieu envoie souvent un messager pour lever l’ambiguïté. A notre époque, ce messager pourrait bien être de même nature que ce qui soulève le doute, c’est à dire d’ordre scientifique.
Il faut toujours revenir à Voltaire et à son Dictionnaire philosophique. Son esprit sarcastique autant qu’acéré a su déceler la plupart des contradictions superficielles des textes religieux et c’est le meilleur rempart contre le fondamentalisme imbécile. Il oblige à repenser plus profondément les choses, à se pencher sur la signification véritable d’un écrit : croyance naïve d’une époque révolue, métaphore spirituelle, ou quoi ? C’est par exemple un fort bon bouclier contre l’idolâtrie subreptice quand il affirme que « Dieu a créé l’homme à son image, mais celui-ci le lui a bien rendu ». Lorsqu’une objection de Voltaire se voit elle-même rejetée par le réel, notre vigilance doit être en alerte et la plus mauvaise attitude serait alors de le brandir comme une revanche justifiant une lecture au ras du texte. L’objection qu’un demi-siècle d’astrophysique a balayée avait pourtant du poids. Ces pauvres Hébreux, ironisait en substance Voltaire, ces paysans mal dégrossis étaient si naïfs qu’ils imaginaient que la lumière pouvait exister sans sa source, qu’ils la plaçaient au début de tout et même avant la création des astres. A dire vrai, cette pré-existence avait déjà gêné les rabbins rédacteurs du Midrash et du Talmud, au point qu’ils expliquaient que la lumière du premier jour fut et n’est plus, ontologiquement différente de la lumière des astres, retirée d’un monde qui n’a pu la supporter et promise seulement pour le temps messianique de l’ultime perfection, ce qui permettait d’évacuer la difficulté. Or la cosmologie scientifique, cette archéologie des premiers temps de l’univers, nous apprend que le premier état reconnaissable de ce dernier après le Big Bang fut un gaz de photons en expansion, une lumière extrêmement chaude et qui, en quelque sorte, se condensa en matière en se refroidissant, matière dont l’accrétion alluma les étoiles et prépara les planètes à la vie . Coïncidence ?
On en trouverait d’autres, à dire vrai. Ce n’est pas un hasard si les premiers théoriciens de l’évolution du vivant, d’une évolution dirons-nous pour ne pas entraîner de confusion anachronique avec le darwinisme, furent les pères cappadociens, saint Grégoire de Nysse en particulier dans son commentaire de la Genèse. L’idée d’une fécondité interne à la matière et qui produit la vie de par son propre dynamisme est une idée éminemment moderne, mais qui n’a de sens concret que depuis une cinquantaine d’années, depuis les expériences de Miller en 1953 et les travaux d’Ilya Prigogine sur les systèmes ouverts dans les années 1970. Or elle est explicite dans le Poème, au troisième jour, lorsque « la terre produisit de la verdure » en réponse à la parole divine. Josy Eisenberg et Armand Abecassis n’ont pas manqué de le signaler : « Quand Elohim dit : totse ha’arets (que la terre produise) ou Ychretsou hamayim (que les eaux pullulent), il semble que le Créateur s’adresse à une force naturelle contenue dans la terre ou dans les eaux pour qu’elles produisent la vie végétale ou la vie aquatique . »
Enfin le texte biblique – en Genèse 2 cette fois, dans le grand récit mythique de la création et de la chute d’Adam – reprend la métaphore égyptienne du Dieu potier modelant la vie et particulièrement l’homme dans une argile qu’Il anime ensuite d’un souffle de vie. La force poétique de cette métaphore suffirait à lui donner du sens mais, une fois encore, une confirmation scientifique insolite vient orienter la réflexion dans une toute autre direction que celle du modelage spirituel. Jusqu’à ces toutes dernières années, à partir des expériences de Miller, on pensait que la vie avait pris naissance dans les eaux, dans un océan primitif riche en hydrocarbures et balayé d’orages. Or des découvertes paléontologiques récentes et des expériences de laboratoire, en particulier sur la protection face aux rayons UV, montrent que les premières cellules vivantes se sont très probablement développées dans l’argile et à partir des composants de la glaise elle-même .
Ces trois confirmations scientifiques du texte de la Genèse interviennent sur les passages les plus rebelles à une rationalisation superficielle, les plus proches du mode mythique de pensée et d’expression. Il est évident que les prêtres du second Temple de Jérusalem, à l’époque de Cyrus, n’avaient aucun moyen de connaître rationnellement les étapes de la cosmogenèse, l’existence d’une évolution des espèces et l’origine argileuse du vivant puisque, pour les découvrir, nous avons du inventer des instruments d’observation et des outils mathématiques dont les plus anciens ne remontent qu’au XVIIIe siècle. On ne peut pas non plus invoquer une mémoire consciente transmise d’homme à homme comme on pourrait l’envisager lorsque Hésiode décrit les âges du monde en respectant l’ordre historique d’apparition des métaux, or, argent, bronze et fer. Vers la fin du VIIIe siècle avant notre ère le fer peut paraître une invention d’hier et le bronze celle d’ancêtres que l’on est encore capable de nommer, comme Minos ou Agamemnon. Il faut rajouter un millénaire ou deux pour l’or et l’argent : une transmission orale en serait altérée mais pas au point de ne plus être reconnaissable. A titre de comparaison, Gurdjieff raconte que, dans sa jeunesse en Géorgie, il a entendu chanter une version de l’épopée sumérienne de Gilgamesh dont la trame avait donc franchi, en tradition orale, plus de 5000 ans . Mais aucune mémoire consciente, aucune tradition culturelle ne peut donner accès à des réalités survenues des millions voire des milliards d’années avant l’apparition du premier homme.
Que signifient alors cette adéquation inattendue du texte au réel et cette confirmation donnée par une science qui ne se préoccupe pas d’un vieux poème religieux ? Simple coïncidence ? Répétée trois fois, la coïncidence devient une explication en forme d’œillères, une façon d’évacuer le problème sans l’examiner. Ou faudrait-il prendre au pied de l’image les icônes byzantines montrant Dieu dictant mot à mot les Ecritures, les Evangiles et même les commentaires théologiques à ses secrétaires humains qui tendent l’oreille pour mieux entendre ? Cette fois, c’est Jacques Bergier qui raillerait ce type de naïveté, paraphrasant avec ironie une éventuelle parole divine : « Mon fils, apprends que Pi égale 3,1416 et que le carré de l’hypoténuse… » Soyons sérieux. La Bible est une œuvre d’hommes, en langage d’hommes et s’adressant à des hommes, la somme des efforts d’un peuple sur deux à trois millénaires, une compilation de préceptes rituels, de chants liturgiques, de chroniques et de prophéties avec des temps forts et des manques, et ce serait rabaisser grandement ses rédacteurs que d’en faire de simples sténographes prenant le texte à la dictée. Ce serait affirmer que, seul de tous les peuples de la Terre, le peuple juif se serait interdit ou vu interdire toute créativité littéraire ou spirituelle – ce qui est évidemment absurde.
Mais ces icônes, prises comme des métaphores, éclairent le processus à l’œuvre. Tout se passe comme s’il existait en l’homme une faculté qui s’apparente à l’écoute sensorielle – et met peut-être en jeu les mêmes aires cérébrales – et qui donne accès à des pensées et mémoires non humaines, qui serait le vecteur d’un dialogue conceptuel et parfois émotionnel avec Dieu, avec les anges et sans doute avec les mémoires cosmiques et les esprits de la nature. Ecrire ou parler dans cette écoute permettrait d’écrire ou de parler vrai sans avoir les moyens d’une vérification consciente et rationnelle, aussi vrai du moins que le peut l’interlocuteur invisible. Reste à savoir vers qui l’on tourne son écoute, c’est à dire, étymologiquement, à qui l’on obéit et c’est là que se pose de manière urgente et vitale la question du discernement des esprits.
Genèse 1 : le Poème de la Création.
Selon les historiens du judaïsme, le Poème de la Création aurait été composé au VIe ou au Ve siècle avant notre ère, à la fin de la déportation à Babylone ou dans les années qui suivirent la reconstruction du Temple. Dans cette perspective, il est difficile de ne pas envisager que le modèle en aurait été le récit babylonien de la Création, l’Enuma Elish que l’on chantait chaque année au début des fêtes de la passion et de la résurrection du dieu Marduk . Les parentés évidentes des deux textes en témoignent. On trouve dans le chant de Babylone des versets dont les résonances bibliques sont indéniables : « En ce temps là aucun roseau n’avait poussé, aucun arbre n’avait été créé… tous les continents n’étaient que mer » – « Il produisit les bêtes des champs et les créatures vivantes des champs, Il créa le Tigre et l’Euphrate et leur assigna leur place . » L’ordre d’apparition des créatures est quasiment le même et suit la taxis hebdomadaire des esprits planétaires : séparation des cieux d’avec la mer et la terre, elles-mêmes distinguées ; création des astres au 4e jour ; arbres et plantes ; animaux et poissons ; enfin formation de l’homme. A partir de ce constat, pour nombre d’exégètes contemporains, la cause est entendue. Le milieu sacerdotal qui apparaît autour du Temple reconstruit par Esdras, ce milieu que l’on nomme « élohiste » pour le distinguer des « yavhistes » rédacteurs de l’époque des rois, aurait plagié sans états d’âme la plus belle pièce liturgique du culte babylonien, n’en retirant que les mythes les plus reconnaissables et la parèdre du dieu, l’Enuma Elish elle-même n’étant d’ailleurs qu’une compilation savante de cantilènes de création utilisées par les médecins depuis l’époque sumérienne. Mais, dans cette perspective tout à fait satisfaisante pour l’historien, que reste-t-il de l’inspiration divine ?
Les ressemblances des deux poèmes toutefois ne doivent pas gommer les différences. Prenons un seul exemple. Dans l’Enuma Elish, le chaos primitif, les eaux amères de l’Abîme qui est comme un océan boueux, sert de résidence à une entité qui le personnifie, Tiamat, mère des monstres ; elle pré-existe à l’action créatrice de Marduk qui devra la vaincre pour laisser place au monde ordonné. A bien des égards, Marduk apparaît comme un démiurge alors que le Dieu biblique est pleinement créateur. Il ne tire le réel que de Lui-même, par ce que le rabbin Josy Eisenberg ose nommer un accouchement. « Dieu », dit-il, « a accouché du monde par une expulsion créatrice » qui pose l’irréductible altérité divine en même temps que son amour pour l’enfant univers. Même si le premier état de la création est encore chaotique, tohu et bohu, il n’est peuplé que de virtualités des formes à venir, gros de promesses mais sans rien d’hostile à la volonté divine. Le Poème biblique affirme à chaque étape la prééminence du projet divin, y compris dans le don de la liberté et de la fécondité. Autant Tiamat et son univers mélangé, ses boues et ses monstres, pourraient suggérer comme dans la théologie platonicienne ou dans certaines écoles hindoues une proto-matière éternelle, plastique, peut-être même indistincte de l’immanence divine, autant le bara biblique, l’affirmation de la création hors de soi interdit toute confusion entre la volonté de Dieu et les puissances internes de la matière.
Toutefois, l’originalité théologique ne suffit pas pour affirmer que Dieu a inspiré le rédacteur de ce texte – même si inspirer ne signifie pas dicter comme le pensent les fondamentalistes. Il reste un doute raisonnable. On pourrait me rétorquer que le doute se franchit par la foi et que la grandeur de l’archange Michel vient de ce qu’il a su accepter l’œuvre divine sans comprendre. Certes, mais Michel acceptait de ne pas comprendre car il touchait et expérimentait les limites de l’intelligence angélique et mesurait la distance entre la pensée de Dieu et la sienne. Et lorsque le doute s’instaure sur l’origine – est-ce de Dieu, est-ce des hommes ? – la Bible elle-même nous montre que Dieu envoie souvent un messager pour lever l’ambiguïté. A notre époque, ce messager pourrait bien être de même nature que ce qui soulève le doute, c’est à dire d’ordre scientifique.
Il faut toujours revenir à Voltaire et à son Dictionnaire philosophique. Son esprit sarcastique autant qu’acéré a su déceler la plupart des contradictions superficielles des textes religieux et c’est le meilleur rempart contre le fondamentalisme imbécile. Il oblige à repenser plus profondément les choses, à se pencher sur la signification véritable d’un écrit : croyance naïve d’une époque révolue, métaphore spirituelle, ou quoi ? C’est par exemple un fort bon bouclier contre l’idolâtrie subreptice quand il affirme que « Dieu a créé l’homme à son image, mais celui-ci le lui a bien rendu ». Lorsqu’une objection de Voltaire se voit elle-même rejetée par le réel, notre vigilance doit être en alerte et la plus mauvaise attitude serait alors de le brandir comme une revanche justifiant une lecture au ras du texte. L’objection qu’un demi-siècle d’astrophysique a balayée avait pourtant du poids. Ces pauvres Hébreux, ironisait en substance Voltaire, ces paysans mal dégrossis étaient si naïfs qu’ils imaginaient que la lumière pouvait exister sans sa source, qu’ils la plaçaient au début de tout et même avant la création des astres. A dire vrai, cette pré-existence avait déjà gêné les rabbins rédacteurs du Midrash et du Talmud, au point qu’ils expliquaient que la lumière du premier jour fut et n’est plus, ontologiquement différente de la lumière des astres, retirée d’un monde qui n’a pu la supporter et promise seulement pour le temps messianique de l’ultime perfection, ce qui permettait d’évacuer la difficulté. Or la cosmologie scientifique, cette archéologie des premiers temps de l’univers, nous apprend que le premier état reconnaissable de ce dernier après le Big Bang fut un gaz de photons en expansion, une lumière extrêmement chaude et qui, en quelque sorte, se condensa en matière en se refroidissant, matière dont l’accrétion alluma les étoiles et prépara les planètes à la vie . Coïncidence ?
On en trouverait d’autres, à dire vrai. Ce n’est pas un hasard si les premiers théoriciens de l’évolution du vivant, d’une évolution dirons-nous pour ne pas entraîner de confusion anachronique avec le darwinisme, furent les pères cappadociens, saint Grégoire de Nysse en particulier dans son commentaire de la Genèse. L’idée d’une fécondité interne à la matière et qui produit la vie de par son propre dynamisme est une idée éminemment moderne, mais qui n’a de sens concret que depuis une cinquantaine d’années, depuis les expériences de Miller en 1953 et les travaux d’Ilya Prigogine sur les systèmes ouverts dans les années 1970. Or elle est explicite dans le Poème, au troisième jour, lorsque « la terre produisit de la verdure » en réponse à la parole divine. Josy Eisenberg et Armand Abecassis n’ont pas manqué de le signaler : « Quand Elohim dit : totse ha’arets (que la terre produise) ou Ychretsou hamayim (que les eaux pullulent), il semble que le Créateur s’adresse à une force naturelle contenue dans la terre ou dans les eaux pour qu’elles produisent la vie végétale ou la vie aquatique . »
Enfin le texte biblique – en Genèse 2 cette fois, dans le grand récit mythique de la création et de la chute d’Adam – reprend la métaphore égyptienne du Dieu potier modelant la vie et particulièrement l’homme dans une argile qu’Il anime ensuite d’un souffle de vie. La force poétique de cette métaphore suffirait à lui donner du sens mais, une fois encore, une confirmation scientifique insolite vient orienter la réflexion dans une toute autre direction que celle du modelage spirituel. Jusqu’à ces toutes dernières années, à partir des expériences de Miller, on pensait que la vie avait pris naissance dans les eaux, dans un océan primitif riche en hydrocarbures et balayé d’orages. Or des découvertes paléontologiques récentes et des expériences de laboratoire, en particulier sur la protection face aux rayons UV, montrent que les premières cellules vivantes se sont très probablement développées dans l’argile et à partir des composants de la glaise elle-même .
Ces trois confirmations scientifiques du texte de la Genèse interviennent sur les passages les plus rebelles à une rationalisation superficielle, les plus proches du mode mythique de pensée et d’expression. Il est évident que les prêtres du second Temple de Jérusalem, à l’époque de Cyrus, n’avaient aucun moyen de connaître rationnellement les étapes de la cosmogenèse, l’existence d’une évolution des espèces et l’origine argileuse du vivant puisque, pour les découvrir, nous avons du inventer des instruments d’observation et des outils mathématiques dont les plus anciens ne remontent qu’au XVIIIe siècle. On ne peut pas non plus invoquer une mémoire consciente transmise d’homme à homme comme on pourrait l’envisager lorsque Hésiode décrit les âges du monde en respectant l’ordre historique d’apparition des métaux, or, argent, bronze et fer. Vers la fin du VIIIe siècle avant notre ère le fer peut paraître une invention d’hier et le bronze celle d’ancêtres que l’on est encore capable de nommer, comme Minos ou Agamemnon. Il faut rajouter un millénaire ou deux pour l’or et l’argent : une transmission orale en serait altérée mais pas au point de ne plus être reconnaissable. A titre de comparaison, Gurdjieff raconte que, dans sa jeunesse en Géorgie, il a entendu chanter une version de l’épopée sumérienne de Gilgamesh dont la trame avait donc franchi, en tradition orale, plus de 5000 ans . Mais aucune mémoire consciente, aucune tradition culturelle ne peut donner accès à des réalités survenues des millions voire des milliards d’années avant l’apparition du premier homme.
Que signifient alors cette adéquation inattendue du texte au réel et cette confirmation donnée par une science qui ne se préoccupe pas d’un vieux poème religieux ? Simple coïncidence ? Répétée trois fois, la coïncidence devient une explication en forme d’œillères, une façon d’évacuer le problème sans l’examiner. Ou faudrait-il prendre au pied de l’image les icônes byzantines montrant Dieu dictant mot à mot les Ecritures, les Evangiles et même les commentaires théologiques à ses secrétaires humains qui tendent l’oreille pour mieux entendre ? Cette fois, c’est Jacques Bergier qui raillerait ce type de naïveté, paraphrasant avec ironie une éventuelle parole divine : « Mon fils, apprends que Pi égale 3,1416 et que le carré de l’hypoténuse… » Soyons sérieux. La Bible est une œuvre d’hommes, en langage d’hommes et s’adressant à des hommes, la somme des efforts d’un peuple sur deux à trois millénaires, une compilation de préceptes rituels, de chants liturgiques, de chroniques et de prophéties avec des temps forts et des manques, et ce serait rabaisser grandement ses rédacteurs que d’en faire de simples sténographes prenant le texte à la dictée. Ce serait affirmer que, seul de tous les peuples de la Terre, le peuple juif se serait interdit ou vu interdire toute créativité littéraire ou spirituelle – ce qui est évidemment absurde.
Mais ces icônes, prises comme des métaphores, éclairent le processus à l’œuvre. Tout se passe comme s’il existait en l’homme une faculté qui s’apparente à l’écoute sensorielle – et met peut-être en jeu les mêmes aires cérébrales – et qui donne accès à des pensées et mémoires non humaines, qui serait le vecteur d’un dialogue conceptuel et parfois émotionnel avec Dieu, avec les anges et sans doute avec les mémoires cosmiques et les esprits de la nature. Ecrire ou parler dans cette écoute permettrait d’écrire ou de parler vrai sans avoir les moyens d’une vérification consciente et rationnelle, aussi vrai du moins que le peut l’interlocuteur invisible. Reste à savoir vers qui l’on tourne son écoute, c’est à dire, étymologiquement, à qui l’on obéit et c’est là que se pose de manière urgente et vitale la question du discernement des esprits.