Jean-Serge a posé une question à laquelle il n'est jamais aisé de répondre:
Pourquoi la publication de ces documents suscite-t-elle si peu de réactions sur le forum?
Pour ma part, j'ai suivi avec intérêt la publication de ces documents, et je l'en remercie vivement. Mais je ne suis pas entièrement d'accord avec ses regrets. Tout cela me semble bien théorique. Et c'est pourquoi en ce qui me concerne, je ne voyais aucun motif à répondre. Pour dire quoi ?!
J'ai vécu l'Occupation (j'avais 12 ans) jusqu'à la Libération du territoire français (j'en avais 17). J'ai vécu ces années au sein d'une communauté formée au deux tiers de Russes Blancs. Certains de mes camarades d'enfance se sont engagés dans l'armée Vlassov et ont combattu sous l'uniforme nazi "pour aider Hitler à remettre le Tzar sur le trône de la Sainte Russie". Je préfère ne pas dire ce qu'ils ont payé pour cette énorme naïveté.
L'année du suicide de Hitler, qui était celle de l'entrée en masse des armées US en Europe, des molieben ont encore été célébrés pour Hitler dans des églises russes, en France.
Ensuite sont arrivées des délégations soviétiques incitant les Russes émigrés sur la Côte d'Azur à revenir enfin dans la Mère Patrie. Les plus intelligents ont pris le bateau pour les USA - et quelques autres se sont laissés piéger. Je préfère ne pas dire ce qu'ils ont payé pour cette énorme naïveté.
Certains des saints prêtres russes de mon enfance ont célébré ces molieben pour Hitler, et parfois les mêmes en ont célébré ensuite pour Staline. Et ils sont tous, aujourd'hui, là où sont leurs pères...
Mes 17 ans en ont tiré une conclusion dont je ne me suis pas encore entièrement défait : l'idéal, le patriotisme, la fidélité à un régime ou à une terre natale, tout cela est affaire d'enthousiasme et non de sagesse. "Mourir pour la Patrie est le sort le plus beau" a écrit un poète bien de chez nous, mais il s'est bien gardé de le faire en ce qui le concernait.
De toute manière, on peut humainement pleurer les amis de jeunesse trop tôt disparus, bêtement sacrifiés sur l'autel de ces idoles passagères - cela ne change rien à la véritable finalité de la vie. Pour un Chrétien, elle est de rejoindre, à travers le désert de ce monde-ci, le Royaume du Christ. Tout le reste, ce sont finalement des accidents de parcours, et il est trop facile de stigmatiser ceux qui ont fait ce dont nous ne sommes pas tellement certains de ne pas en avoir fait autant - si nous avions été dans les mêmes situations. Comment dit-on pharisiens, en serbe, ou en russe ?
N'étant pas Russe, j'observe avec amitié les efforts du Patriarcat de Moscou pour créer un grand diocèse de tradition russe qui regrouperait toutes les églises (de l'ERHF, du Patrairacat, ou de Constantinople) actuellement éparses. Mais ce n'est pas mon affaire personnelle : je me garde donc de prendre part à ce débat, malgré l'excellent ami qui s'efforce de m'en tenir au courant.
Je conçois pourtant que si cette grande union européenne de l'orthodoxie d'origine russe réussissait, elle pourrait être le germe d'une orthodoxie locale où nous nous retrouverions tous, à terme, sous un seul évêque par diocèse local ! Russe, Sénégalais, Chinois, Français ou Moldo-Valaque, cela ne m'intéresse que peu - il serait le très bienvenu !
Mais je sais aussi que ce "elle pourrait" ne veut rien dire (que le désir que j'en ai), car cela dépendra de bien d 'autres paramètres ; notamment de la quasi claustrophilie nationaliste de bien des paroisses orthodoxes d'origine russe ou grecque ou etc. actuellement répandues sur le petit territoire du petit pays qu'est devenue la France. Je les vois (partout où je suis allé) bien décidées à rester russes, grecques ou etc. Et je me défie de mon espoir de voir cela changer avant ma mort terrestre ! Vanité des vanités, tout n'est que vanité, disait déjà l'Ecclésiaste.
Alors, je trouve bien à côté de la plaque cette jolie remarque de Jean-Serge :
" ...Mais comment peut-on dans un texte consacré à l’attitude de l’Eglise orthodoxe à l’égard des Hétérodoxes , ne trouver aucune indication sur la nécessité de relancer une mission orthodoxe? "
Cher Jean-Serge, je crois depuis de longues années que la première mission orthodoxe serait bien venue pour enseigner la foi orthodoxe aux orthodoxes d'abord - avant de faire entrer les hétérodoxes dans notre pétrin actuel.
Et surtout, je ne trouve aucun passage dans les quatre Évangile qui me permette de penser que le Christ aurait pris pour argent comptant toutes ces discussions diplomatico-doctrinales pour ou contre le Patriarche Serge.
Qui était vraisemblablement un pauvre pécheur comme nous tous. Et pas plus enclin que nous tous à trouver du premier coup la réponse parfaite à cette situation inextricable qui était la sienne et celle de l'Église en Union Soviétique en ces années-là.
Qui sommes-nous donc devenus (de très grands saints ???) pour exiger avec tant d'aplomb que tous les hiérarques qui ont pactisé avec le pouvoir athée fassent pénitence publique ? Que faisons-nous, avec nos pouvoirs actuels ?!
Il y avait au désert d'Égypte un moine qui cachait dans sa cellule une femme. Son père spirituel l'apprit, car tous les autres moines, peut-être jaloux de la sainteté de leur monastère, mais peut-être aussi jaloux tout court, clabaudaient à qui mieux mieux. Derrière le dos de l'accusé, bien sûr.
Alors le vieux moine prit le parti d'y aller voir et de demander à son fils spirituel si c'était vrai. Le jeune moine avoua que oui, et le vieil ascète dit à la femme de sortir de derrière le rideau qui la cachait depuis son entrée dans la cabane. Elle sortit, plus morte que vive, et le vieillard la fit entrer dans une jarre d'eau qui était vide; il remit le couvercle sur la jarre et s'assit dessus. Quand la foule des autres moines en colère entra, elle ne trouva aucune femme et s'en alla comme elle était venue.
Le père fit sortir la femme nuitamment, et lui recommanda de retourner chez elle et de ne plus revenir troubler le monastère. Et il confessa le jeune moine.
Je ne sais plus comment il s'appelait. Peut-être Jean ou Paul ou Jacques - peu importe. Aurait-il fallu qu'au lieu d'agir ainsi, le vieux père spirituel nous transmette son nom sous la forme de jeannisme, de paulisme ou de jacquisme ? Et que nous en fassions une hérésie de plus ?
J'aime beaucoup la vielle formule : Va et ne pèche plus...
Bon. Et si on parlait d'autre chose que des pailles dans l'oeil du voisin ?