Histoires vécues

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Antoine
Messages : 1782
Inscription : mer. 18 juin 2003 22:05

Une petite offrande à Dieu

Message par Antoine »

Date : 09.06 01h16
auteur : Catherine


Une petite offrande à Dieu

J'avais l'habitude d'entendre mon entourage, dont les
membres étaient
de confessions diverses, critiquer les mœurs des orthodoxes,
en
particulier au sujet de la richesse qui se déploie dans nos
églises, des
vêtements des prêtres etc.
J'avais beau leur expliquer plusieurs fois que c'était de
pauvres
richesses matérielles que l'homme offrait ainsi à Dieu et que
c'était si
peu, comparé à la gloire qui Lui est due, ils n'entendaient pas
de cette
oreille. Cela les scandalisait, c'était pour eux des dépenses
inutiles :
comme Judas, ils pensaient que le Fils de Dieu, le Roi
d'Israël, le
Sauveur du monde ne méritait pas le parfum que Marie avait
répandu à
ses pieds, et qu'il fallait le vendre pour nourrir les pauvres.
Enfin, ce
n'était pas vraiment des Judas, mais de braves républicains,
des
bénévoles du Secours catholique et autres protestants,
puritains à
l'excès.
Une grande partie de ma famille et de nos amis se trouvant
réunis un
jour chez nous, j'en ai profité pour leur faire part enfin de ce
dont il n'était

plus possible de garder le secret : le départ de notre deuxième
fille pour
le monastère.
Je m'attendais à une réaction brusque, mais il n'en était rien.
Un long
silence gêné. Très, très long. Les gens baissent les yeux,
comme de
honte. Comme si je leur avais dit que ma fille se droguait, se
prostituait
ou pire encore : ils semblaient vraiment très gênés, confus.
Puis une amie a rompu timidement le silence disant, comme
pour
l'excuser : — C'est son choix. Il faut l'accepter.
Ma sœur, ne sachant pas trop que dire : — Quelle idée tout de
même !
Elle aurait pu se marier, avoir des enfants et une belle carrière
intellectuelle par dessus le marché !
Ma nièce, "compréhensive" : — Une déception amoureuse,
sans aucun
doute, il faut la comprendre.
Mon autre nièce : — Cela m'étonnerait. Ce n'était pas son
genre. Elle avait
tout pour réussir une vie NORMALE ! Les garçons tournaient
autour d'elle
comme des abeilles autour d'une fleur. Rappelle-toi, en
Hongrie, elle
plaisait même à des hommes mûrs. Mais elle était toujours
distante avec
eux, tout en restant aimable avec tous.
Une de ses amies du lycée : Dites donc ! Elle qui était si drôle,
toujours
prête à chahuter, à faire les quat'cents coups ! C'était la
terreur des profs,
qui n'osaient pourtant jamais rien lui dire, parce qu'elle avait
toujours les
meilleures notes de la classe ! En plus, elle avait un charme et
un sourire
si innocents qu'elle désarmait tout le monde. Tout lui était
permis. Et elle
en usait et abusait pour s'amuser.
Un ami, anxieux : — Pourra-t-elle revenir de temps en temps
vous voir au
moins ? Je ne vous comprends pas. Vous n'auriez pas dû la
laisser partir
pour une vie aussi triste. Elle qui était si gaie…
(Si tu savais, mon pauvre ami, combien elle est joyeuse
toujours ! Si tu
l'avais vue courir, comme moi un jour, avec une bouteille
d'eau bénite à la
main pour empêcher, par jeu, une autre jeune novice de la
prendre. Ou
faire la course avec une autre novice, chacune poussant une
brouette sur
la pente, ayant la "diaconie" d'aller brûler les feuilles mortes
au fond du
jardin du monastère ? Ou si tu avais entendu sa supérieure la
"gronder"
devant moi : "Tu souris et ris tout le temps. Regarde ta mère :
elle est
plus sérieuse que toi".)
Une autre amie : Et si douée pour les langues, la musique, le
dessin !
Elle te jouait de la flûte n'importe quelle mélodie qu'elle avait
entendue
pour la première fois ! Elle avait un sens de l'harmonie des
couleurs
extraordinaire et un goût si sûr, si affirmé pour s'habiller. La
voilà
maintenant tout en noir ! En uniforme ! A-t-on idée… ?!
Mon beau-frère, furieux : — S'enfermer dans un couvent pour
la vie ! À 19
ans ! Une fille si belle, si intelligente, si douée, si pleine de vie
! La voilà

perdue, morte, enterrée. Quel gâchis !
……
Seigneur ! Que dire à ces gens pour qui ta maison ne mérite
pas ce qu'il
y a de plus beau sur terre ?
Pensent-ils aussi peut-être qu'un monastère doit être un
dépotoir de
ratés ? Décidément, ils blasphèment en pensant que pour
devenir
moniale, une jeune fille devrait avoir des tares qui l'empêchent
de réussir
dans le monde, ou être telle qu'aucun homme n'en voudrait.
Ils préféreraient Te donner une fille bonne à rien comme
fiancée, à Toi,
Roi de l'univers ! Kyrie eleison ! Que leur répondre ? Quelle
est leur idée
du don de soi, de l'offrande à Dieu s'ils en ont une ?
— Hélas, aucun de nos enfants n'est assez raté pour être
envoyé au
monastère selon vos idées, alors que voulez-vous, il fallait
bien que celle
qui voulait y aller fasse un "gâchis" de sa vie.
Catherine
Messages : 213
Inscription : jeu. 19 juin 2003 14:03
Localisation : Basse-Marche, France

Message par Catherine »

Haïr le péché et aimer le pécheur

Il m’est arrivé trois fois dans ma vie d’orthodoxe d’être tellement aveuglée par une passion que je ne voyais même pas mon péché.
La première fois, je ne savais même pas intellectuellement que j’avais péché. Mon père spirituel avait beau me citer saint Jean Climaque pour m’éclairer, j’avais l’impression que ces paroles ne me concernaient pas du tout.
La deuxième fois, je le savais intellectuellement et je m’en étais confessée par devoir, presque machinalement, mais sans éprouver aucun repentir.
Dans un premier temps, je résistais même aux remontrances de mon père spirituel, qui parlait brièvement de mon péché dans des termes très sévères. Moi, je trouvais brutal ce qu’il me disait et j’essayais de me justifier, de m’innocenter, ce qui ne faisait qu’ajouter à mon péché initial celui de la désobéissance.
Je savais pourtant que mon père spirituel ne pouvait qu’avoir raison, je le savais théophore, théologue — il parle par Dieu — mais je ne me laissais pas convaincre, et je le trouvais trop sévère.
Lui, voyant que c’était peine perdue d’essayer de me tirer de mon aveuglement, s’était tu et ne répondait en rien à mes arguments.
Souvent quand je suis au Foyer Orthodoxe, parmi les divers travaux à faire, il me donne celui de corriger les fautes dans les textes scannés ou des fautes de frappe ou d’orthographe dans d’autres textes.
Et miraculeusement, la deuxième fois que j’étais ainsi aveuglée, le texte que je devais corriger était un de saint Jean Cassien qui avait rapport avec mon péché et qui le décrivait dans des termes semblables à ceux de mon confesseur, mais plus longuement, de manière à pénétrer ma conscience de la gravité de mon péché.
À la fin du travail de correction, les larmes de repentir coulaient de mes yeux et j’ai demandé pardon très humblement à mon père spirituel, qui a souri aimablement, tout en désignant de sa main l’icône de la Toute-sainte avec l’Enfant, comme pour me dire que c’est à Dieu que je devais demander pardon. Oui… “contre Toi seul j’ai péché”… dit le psaume.
La troisième fois, après une confession par écrit et un sincère mais court repentir, je suis retombée dans le même péché.
Mon père spirituel m’a dit sévèrement : Vous m’aviez promis que c’était fini, que vous n’iriez plus là où vous avez été tentée.
Je ne me souvenais pas de cette promesse : je savais seulement qu'après la Communion, je m’étais cru capable de ne plus y retourner, mais ensuite, c’était plus fort que moi et je n’ai pas résisté.
La passion était devenue si forte que je n’arrivais plus à prier. Alors, abandonnée à moi-même, sans l’Aide de Dieu, je n’avais pas la force de résister à la tentation.
De plus, le désir de pécher m’apparaissait comme un besoin — le Tentateur me l’avait fait apparaître comme tel et je le revendiquais presque comme un droit. J’étais de nouveau complètement aveuglée. Voyant mon état de cécité, mon père spirituel m’a rappelé une phrase de l’évangile pour me rendre consciente de mon péché et m’a convaincue intellectuellement — j’y avais pensé moi-même, à cette phrase, mais en essayant de me dire qu’elle ne concernait pas mon cas.
Cependant, le repentir ne venait pas. J’ai quand-même demandé pardon à mon père spirituel, mais sans beaucoup de conviction, et j’ai vu qu’il était resté triste, et faisait un geste de la main comme pour dire que cette demande de pardon ne valait pas grand-chose, que ce n’était pas la peine de dire des mots en l’air. Cela m’a mise dans un désarroi total. Que faire ?
De nouveau, il m’a donné un texte à corriger; miraculeusement — car il n’avait pas du tout choisi le texte pour moi : c’était simplement le travail en cours qu’il faisait ce jour-là — la lecture de ce texte, de saint Pierre Damascène cette fois-ci, m’a remplie de componction et je me suis mis à pleurer mon péché.
Je me sentais envahie de sentiments humbles et d’amour véritable pour mon Sauveur qui m’a aidée ainsi à voir clairement ma faute et à la regretter.
Le lendemain, c’était la Saint-Élie : il y avait liturgie. En montant à la chapelle, j’ai dit à mon père spirituel :
— Je suppose que vous ne m’avez pas donné l’absolution, Père. Mais sachez que je suis prête à faire n’importe quelle pénitence pour expier mon péché. Que dois-je faire ? J’ai renoncé à fréquenter l’endroit où j’ai péché. Je n’y vais plus une seule fois, c’est promis, c’est sûr. Que dois-je faire encore ?
— Ne pas chercher un autre endroit pour le refaire.
— Oh, que cela ? cela ne risque pas, c’est facile !
Je me promettais de persévérer dans mon propos et de ne plus recommencer jusqu’à ce que je mérite l’absolution, même si je devais attendre de longs mois avant de l’obtenir. J’étais prête à tout pour avoir de nouveau droit à la sainte Communion.
C’était donc la Saint-Élie et je chantais très doucement et avec une grande componction derrière le pupitre. Puis venait la lecture du Synaxaire. Je suis toujours fascinée par la vie de ce saint prophète si aimé de Dieu, qui a eu tant de compassion pour la veuve de Sarepta et qui était si impitoyable avec les prophètes de Baal. Cette fois-ci, les paroles : “pour inciter Élie à la compassion” m’ont touchée à deux reprises. La lecture terminée, j’attendais que le père sorte avec les Saintes Espèces et je m’apprêtais à chanter le chant de communion lorsque je l’entends chuchoter quelque chose depuis les Portes Royales.
Je regarde; il n’a pas la coupe à la main, mais l’Evchologhion et il me chuchote un peu plus fort :
— Venez.
Je ne veux pas croire à mes oreilles ni à mes yeux : mais si, il va me donner l’absolution tout de suite, aujourd’hui même ! À moi qui me sentais mériter une longue pénitence.
Ce nouvel Élie, si sévère avec les “prophètes de Baal” modernes, Dieu l’a incité à la compassion envers moi. Je suis si surprise et émue de cette bonté, elle me remplit de tant de reconnaissance envers Dieu que je Lui demande de me rappeler toujours la miséricorde qu’Il a eue ce jour-là pour moi pécheresse, et de me garder pour toujours dans cet état si doux de repentir, afin que je n’aie plus jamais envie de transgresser ses Commandements.
K.
Catherine
Messages : 213
Inscription : jeu. 19 juin 2003 14:03
Localisation : Basse-Marche, France

Souvenirs

Message par Catherine »

Un jour dans les années 1980, notre prêtre est venu nous rendre visite, accompagné du moine Anthony de l'Église Russe des Catacombes.
Nous avons eu le bonheur d'avoir la présence fortifiante de ces deux moines pendant deux jours à la maison.
Le père Anthony était venu en France pour retrouver les traces de l'archevêque Théophane de Poltava, qu'il connaissait personnellement et dont il écrivait la biographie. L'archevêque Théophane vécut en ermite à Clamart et est mort en 1940 à Amboise.
Le père Anthony était un homme de 70 ans environ, de grande taille, de constitution solide, aux épaules larges. Ses cheveux et sa barbe longs et blancs comme la neige s'étalaient en contraste sur sa soutane noire. Il avait les yeux noirs comme le charbon, sa peau était lisse et très claire, ses rides semblaient être dessinées de la même manière que sur les visages peints des saints. Il se tenait très droit aussi comme les saints des icônes et avait une prestance d'une authentique noblesse.
Le silence et le calme d'une éternité immuable émanait de sa personne : il semblait immobile et entier comme un bloc de pierre quand il se déplaçait : ses gestes, ses mouvements étaient cependant souples et extrêmement harmonieux. Rien ne semblait perturber sa paix sereine.
Il avait passé 35 ans de sa vie au bagne en Union Soviétique, et en est revenu avec un cancer des yeux. Il ne pouvait les ouvrir que dans la pénombre.
Heureusement, notre vieille maison paysanne limousine s'y prêtait : les fenêtres sont petites, il ne fait jamais très clair là-dedans.
Aux heures des offices, la famille réunie devant les icônes, les deux moines se mettaient derrière nous pour prier. Je sentais comme un rempart invisible qui nous entourait : une force de protection qui émanait de la prière de ces deux saints hommes.
Ils n'avaient pas de langue de communication commune, le père Cassien ne sait que quelques rares mots en russe et encore moins en anglais et le père Anthony ne parlait que russe et anglais.
Ils se comprenaient cependant d'un regard ou d'un geste silencieux.
Le père Anthony et moi, nous communiquions en anglais, langue qu'il possédait à la perfection. Je ne ressentais pas le besoin de l'interroger sur sa vie au Goulag; je pouvais imaginer ce qu'il avait souffert.
D'un air aimable et d'un ton très doux, il m'a dit :
— Je connais un peu la Hongrie. J'y ai passé quelques mois en 1944-45. J'étais aumônier dans l'Armée rouge, venue chasser les Allemands de votre pays. J'ai été arrêté à Dunaföldvár (petite ville sur le Danube, à une 60-aine de km au sud de Budapest).
(Il fut arrêté sous prétexte de "complot contre l'état", pour avoir donné la consolation de la foi à des soldats russes abrutis par la propagande soviétique, et fut déporté de Dunaföldvár en Sibérie sans autre forme de procès.)
— Vous devez avoir un bien mauvais souvenir de mon pays — dis-je avec regret.
Sa réponse était prompte, et toujours aussi douce :
— Que nos souvenirs soient bons ou mauvais, cela dépend de ce que nous avons dans le cœur. J'ai de très bons souvenirs de votre pays.
J'ai compris ce qu'il avait dans le cœur : le bonheur d'avoir donné un peu de sa foi à ces malheureux soldats déboussolés et la perspective de pouvoir souffrir pour le Christ.
Cette perspective est douce aux yeux des saints, elle est pleine de grâce.
Catherine
Messages : 213
Inscription : jeu. 19 juin 2003 14:03
Localisation : Basse-Marche, France

Obscurantisme ?

Message par Catherine »

Chez une de nos fidèles, mère de trois enfants, les médecins avaient décelé une maladie insidieuse et incurable et lui ont défendu, sous peine de perdre la vie prématurément, d’avoir d’autres enfants.
Ne voulant pas imposer la contrainte de la continence à son mari, mais sa conscience n’approuvant ni la contraception, ni l’avortement, elle décida de s’en ouvrir à son père spirituel et alla le voir.
Celui-ci, un homme simple et peu instruit dans les sciences du monde, la voyant s’approcher, lui sourit aimablement, ferma les yeux, et, comme attentif à une autre voix, semblait à peine entendre sa confession.
S’étant tue, elle attendit la réponse du père, qui lui dit tout doucement :
— Ne t’inquiète pas, tu ne mourras pas avant d’avoir mis au monde et élevé encore deux enfants. En revanche, ils ne seront pas à toi, mais à Dieu. —
La femme rentra chez elle soulagée, croyant fermement en la véracité de la parole de son confesseur.
Ceci s’est passé dans nos temps modernes de peu de foi. Deux amies très proches, mais non orthodoxes, de cette fidèle, qu’elle avait mises au courant de sa maladie et de son dilemme, se sont empressées de taxer ce père d’obscurantisme, du fait qu’il ne semblait pas accepter le verdict des spécialistes, et la traitaient, elle, qui était une femme instruite et cultivée, de fanatique, d’inconsciente, d’irresponsable et j’en passe.
Les deux enfants prédits par le père sont nés en effet, à quelques années d’intervalle l’un de l’autre, ils ont grandi, et, il y a une douzaine d’années, tous les deux sont entrés au monastère.
À l’heure actuelle, tous les deux sont évêques.
Cette femme est toujours vivante, ainsi que son mari.
“Bienhereux celui (ou celle) qui a le Dieu de Jacob pour son seul secours et qui met son espérance dans le Seigneur son Dieu” (ps 145)
Répondre