les missions orthodoxes

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christian
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les missions orthodoxes

Message par christian »

Lors des agapes suivant la lumineuse résurrection, une paroissienne a demandé quelle a été l'attitude de l'église orthodoxe missionnaire.
Elle espérait que l'église orthodoxe n'ait pas eu une attitude de prosélitisme et de conversion forcée. Est-ce juste? Que sait-on à ce sujet?
Comment comprendre les missions et quelle doit être l'attitude des missionnaires?
Y a-t-il eu déjà un fil concernant ce sujet?
Il semble également qu'un livre soit sorti concernant l'attitude des missionnaires orthodoxes chez les Inuit. Ce livre partirait du point de vue des Inuits. Est-ce que l'un ou l'autre en aurait connaissance et l'aurait déjà lu?
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

La référence aux Inuits est certainement une référence aux missions russes. Les missions de l’Église russe en direction principalement du Nord et de l’Est sont certainement un de ses plus grands titres de gloire. Elles se sont déployées dans le bassin de la Volga, dans l’Oural, en Sibérie puis jusque dans l’Extrême-Orient et ont atteint les îles Aléoutiennes et l’Alaske, tant les peuples indiens que les Inuits du Grand Nord. Aux missions de l’Alaska est attaché en particulier le nom de saint Innocent Venjaminov, plus tard métropolite de Moscou. Lorsque le gouvernement impérial russe vendit l’Alaska aux États-Unis, une clause fut insérée dane le traité de cession stipulant que les USA reconnaîtraient la responsabilité de l’Église russe à l’égard de ses fidèles sur le territoire de l’Union. Plus tard l’Église russe transféra son évêché de l’Alaska à San-Francisco, puis à New-York. C’est l’origine de l’Orthodoxie aux USA. Je ne connais pas la livre dont vous parlez, mais il y en a certainement plusieurs en anglais.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

XB!

Archimandrite Spiridon

Mission parmi les indigènes

J’avais fait la connaissance des indigènes au moment où j’étais lecteur au centre missionnaire d’Irguen. Je parcourais à pied les villages les plus proches. Quand j'avais à me rendre dans ceux qui étaient plus éloignés, je prenais, comme font d'ordinaire les missionnaires, cinquante ou soixante kilogs de biscuits que je mettais sur le dos du cheval, je montais par-dessus, et je partais pour les. oulous ». Je visitai de cette façon les Bouriates, les Toungouz, les Orotchènes. J'emmenais d'habitude un interprète avec moi. Au début de mon existence de missionnaire, je voulais avant tout baptiser le plus de gens possible, et je me chagrinais fort si dans un village je n'avais personne à baptiser. Mais dans la suite il se fit en moi un grand changement. Voici comment.
J'étais allé une fois chez un Bouriate pour coucher dans sa hutte. Que vois-je dans cette hutte ? Entre de nombreuses idoles, était pendue une image de la Sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sur les bras.. Tu es baptisé ? lui demandai-je. — Oui, répondit-il ». — « roui nyre khymda ? » lui demandai-je encore. — « Jean, ». me répond le Bomiate. — « Pourquoi alors as-tu dans ta hutte des idoles ? Tu ne devrais avoir que des images chrétiennes, tu devrais pria le vrai Dieu Jésus-Christ.. »
Mon père, c'est ainsi que je faisais avant, et je priais seulement votre Dieu russe. Mais ensuite ma femme est morte, puis mon fils. J'ai perdu beaucoup de chevaux. On m'a dit que c'était notre vieux Dieu bouriate qui était grandement courroucé contre moi, et qui avait fait mourir ma femme et mon fils et chassé mes chevaux. Alors adresse maintenant mes prières à lui et à votre Dieu russe... Tu sais, père, cela m'est bien pénible et bien douloureux maintenant, d'avoir changé mon Dieu contre le vôtre, un nouveau Dieu. »
A ces mots, le Bouriate se mit à pleurer. J'eus grand pitié de lui, jusqu'à en souffrir moi-même, et en même temps de tous ceux qui lui ressemblaient. Je compris alors tout d'un coup ce que c'est que de voler à quelqu'un son âme, de le priver de son bien le plus précieux, de lui arracher et de lui ravir son saint des saints, sa religion et sa philosophie naturelles, pour ne rien lui donner en échange qu'un nouveau nom et une croix sur la poitrine. Le Bouriate dont je parle m'apparut comme l'homme du monde le plus pitoyable et le plus malheureux, privé de son ancienne religion et jeté au hasard de la destinée. Depuis lors, je me promis de ne pas baptiser les indigènes, mais de leur prêcher seulement le Christ et l'Évangile. C'est ma conviction que convertir les gens au Christ, comme ont fait nos missionnaires avec ce Bouriate, ce serait agir avant tout en vrai bourreau des âmes, et non en apôtre du Christ. Je ne sais si j’ai eu raison ou tort, mais depuis ce moment je n'ai fait que prêcher la parole de Dieu, laissant à d'autres le soin de baptiser.
Je rencontrai aussi de grandes difficultés quand il s'agit de prêcher l'Évangile aux bouddhistes. Un jour par exemple, j'allai dans un de leurs monastères. Le « chérétoui » me reçut très aimablement. Mais, comme il était déjà tard, il remit notre entretien au lendemain matin. Le jour suivant, accompagné de ce même « chérétoui », je me rendis dans leur pagode. Les moines-lamas étaient déjà assis à leurs places. Le « chérétoui ». s'assit à mon côté. Je commençai ma prédication en racontant comment Dieu créa le monde, comment il envoya son Fils unique sur la terre pour le salut des hommes, comment Notre-Seigneur s'humilia, obéissant à la volonté de son Père céleste, comment il souffrit, ressuscita, monta au ciel, d'où il viendra de nouveau juger les vivants et les morts. Ensuite je passai à sa sainte doctrine, m'arrêtant surtout au Sermon sur la Montagne. Il me sembla que les lamas retenaient leur souffle pour mieux m'écouter.
Quand j'eus terminé, après une courte pause, je pensais m'en aller, quand je vis se lever un de ces lamas qui me fit un salut, se plaça au milieu de ses coreligionnaires et se mit à prononcer tout un discours, dénotant des connaissances beaucoup plus étendues que je ne pouvais supposer. Je ne puis rapporter en toute exactitude ses paroles, car il parla longtemps, et moi j'étais très ému et troublé. Mais voici à peu près ce qu'il dit :
« Monsieur le missionnaire, vous nous avez exposé votre religion chrétienne, et c'est avec beaucoup d'affection que nous vous avons écouté et avons entendu chacune de vos paroles. Maintenant, nous vous prions de nous entendre à notre tour, quoique pareils et sans culture. Oui, monsieur le missionnaire, la religion chrétienne est certainement la plus haute, la plus universelle. S'il y avait dans les autres planètes des créatures raisonnables semblables à nous, elles ne pourraient pas avoir de meilleure religion que la religion chrétienne. C'est qu'elle ne vient pas des hommes, mais de la révélation divine. La religion chrétienne n'a rien d'humain ni de créé ; elle est pure comme une larme ou comme un cristal, pure comme la pensée de Dieu. Cette pensée est le Logos dont Jean l'Évangéliste dit qu'Il s'est fait chair, qu'il est devenu le Dieu fait homme. Le Christ est le Logos incarné. Sa doctrine a montré au monde de nouvelles voies d'existence pour l'homme, elle lui a révélé la volonté divine. Or cette volonté consiste en ce que les chrétiens vivent comme a vécu le Christ. Et la doctrine du Christ était un écho de sa vie.
Mais voyez vous-même, Monsieur le missionnaire, regardez sans parti-pris : le monde vit-il comme l'a enseigné le Christ ? Le Christ prêchait l'amour de Dieu et du prochain, la paix, la douceur, l'humilité, le pardon universel. II a ordonné de rendre le bien pour le mal, de ne pas amasser de richesses, non seulement de ne pas tuer, mais de ne pas se mettre en colère, de garder la sainteté du mariage, d'aimer Dieu plus que son père, sa mère, son fils, sa fille, sa femme, et même plus que soi-même. Tel était le Christ, mais tels vous n'êtes pas, vous chrétiens. Vous vivez entre vous comme des bêtes féroces. Vous devriez avoir honte de parler du Christ, quand votre bouche dégoutte de sang. Parmi nous, je ne vois personne qui vive plus méchamment que les chrétiens. Qui donc vole, débauche, pille, ment, guerroie et tue le plus ? Les chrétiens sont les premiers renégats de leur Dieu. Vous venez nous prêcher le Christ et vous nous apportez l'horreur et le chagrin. Je ne rappellerai pas l'inquisition, je ne dirai pas ce que les chrétiens ont fait subir aux sauvages. Je ne rappellerai que des événements récents.
C'était au moment où on entreprenait la construction du Transsibérien. Comme vous le savez, il passe près de nous. Et nous nous réjouissions, nous pensions que les Russes introduiraient dans notre existence barbare la lumière et l'amour de la doctrine chrétienne. Nous attendions avec impatience que la voie ferrée approchât de nous. Et ce moment arriva enfin,.. pour notre effroi et notre malheur. Vos ouvriers entraient dans nos huttes déjà ivres, enivraient les Bouriates, débauchaient nos femmes, et nous vîmes naître chez nous l'ivrognerie, les pillages, les meurtres, les querelles, les rixes, les maladies. Jusqu'alors nous ne connaissions pas l'usage de la serrure, nous n'avions pas de voleurs, encore moins d'assassins. Et maintenant que nos Bouriates ont goûté à votre civilisation et connaissent ce qu'est, à votre idée, la vraie vie, nous ne savons plus comment en venir à bout. Que Abbida et Moidari nous gardent de pareils chrétiens !
Vos missionnaires sont comme les autres. Ils ne croient pas eux-mêmes ce qu'as enseignent. S'ils y croyaient, s'ils vivaient comme le Christ le veut, ils n'auraient pas besoin de prêcher ; nous nous ferions chrétiens de nous-mêmes. Car l'exemple est plus puissant que la parole. Comment en effet resterions-nous dans les ténèbres, si nous voyions près de nous la lumière ? Vous avez tort de croire, Monsieur le missionnaire, que nous sommes ignorants au point de ne pas savoir distinguer le bien et le mal. Mais nous craignons que votre christianisme ne nous rende encore plus mauvais, et ne nous fasse complètement sauvages. Nous en avons vu, de vos missionnaires, qui aiment l'argent, fument, boivent, et se débauchent comme les pires de nos Bouriates. Mais des missionnaires qui aiment réellement le Christ plus qu'eux-mêmes, nous n'en avons point vu.
Vos prêtres disent qu'ils ont reçu de Dieu même le pouvoir de pardonner les péchés et de purifier les âmes, de chasser les démons, de guérir toute maladie parmi les hommes. Et vous, chrétiens, non seulement vous ne nous montrez pas ce pouvoir de supprimer, de purifier et de guérir tout ce qui est mal, impur, difforme, mais vous ne faites que contaminer par votre exemple les païens. Non, Monsieur le missionnaire, que les chrétiens commencent de croire en leur Dieu, et qu'ils nous montrent de quelle façon ils l'aiment. Alors peut-être vous accueillerons-nous, vous autres missionnaires, comme les anges de Dieu, et recevrons-nous le christianisme ».
Sur ce, le lama s'assit, et moi je restai à ma place, comme étranger à tout, comme frappé de la foudre. Si le « chérétoui » ne m'avait invité à me lever, il me semble que je n'aurais pas bougé. Je n'ai jamais de ma vie ressenti de honte ni d'outrage aussi cuisant pour le christianisme que pendant cet entretien et après lui. Je pris congé, montai à cheval et m'en fus droit devant moi. J'étais encore laïc à cette époque. Je remportai de cette tournée la plus triste opinion de moi, de mon existence, et des chrétiens de notre temps en général. Malgré ma douleur et mon dépit, je convenais que sur beaucoup de points le lama avait raison, et je ne pouvais lui en vouloir personnellement. . Que signifie cela; pensais-je ? Les vrais ennemis de la prédication chrétienne ne seraient-ils en effet autres que nous-mêmes, les chrétiens ? Est-il possible que notre vie couvre de honte le christianisme dans le monde ? » Et je sentais avec acuité que c'était bien cela, que ma vie allait à l'encontre de l'Évangile. J'avais fait environ 8 kilo-mètres, et un terrible mal de tête m'empêchait d'aller plus loin. Je m'arrêtai, entravai mon cheval, étendis ma couverture de feutre, et me couchai face contre terre : les larmes jaillirent à flots de mes yeux. Je m'endormis là. Sur le soir je me réveillai ; le mal de tête avait passé, mais je me sentais toujours sur le cœur un poids mortellement pesant. J'avais envie de pleurer, de sangloter.. « Mon Dieu, mon Dieu ! répétais-je. Les païens nous craignent, nous chrétiens, comme une peste. Ils craignent pour eux la contagion de notre vie méchante, immorale. » Et, comme un égaré, je criai : « Seigneur, Seigneur ! Faites de moi ce que vous voulez, permettez seulement que je vous aime de tout mon être. Que je devienne n'importe quel animal, chien, loup, serpent, tout ce que vous voudrez, pourvu que je vous aime de tout mon être ! Ce n'est pas assez de croire en vous. Je veux vous aimer tellement, que je sois tout entier Amour pour vous ! Entendez-vous, Seigneur, mon ardente prière, que je vous adresse ? ». Et je poussais de tontes mes forces ces cris déchirants...
J'allai voir les villages bouriates des environs. Dans l’un d'eux, proche du monastère, j'arrivai le lendemain matin. J'entrai dans une hutte. On me reçut aimablement. Le maître de céans était un homme fort sympathique. A peine avais-je eu le temps de boire un verre de thé, que la hutte était pleine de Bouriates, hommes et femmes. Ils me regardaient tous avec affabilité, et je songeais que ces simples sauvages avaient plus de bonté humaine native que nous, chrétiens civilisés. Je causai avec eux, de choses et d'autres, les interrogeai et leur proposai finalement de leur parler de Dieu: Pendant cet entretien, quelques-uns fumaient, d'autres chiquaient, mais tous m'écoutaient avec attention. Quand j'eus terminé, un vieux Bouriate nommé Zaskhoi me regarda d'un air aimable,sourit d'un sourire discret et presque enfantin, et me dit : « Les religions sont multiples, mais il n'y a qu'un Dieu » . — « Zaskhoi, lui dis-je, si vous vous faisiez baptiser ! » — « Je n'ai pas encore volé de cheval, me répondit-il, pourquoi me faire baptiser ? ». Je reçus de nouveau un choc violent, et de nouveau justifié. Le vieux avait raison à sa façon, car sous l'évêque Mélèce on baptisait tous les coquins, larrons et voleurs de chevaux. Ils demandaient le baptême afin d'échapper, comme chrétiens, au châtiment de leurs crimes...
Je passai la nuit chez le bon Zaskhoi, et partis plus avant. J'allais de village en village, prêchant le Christ et recueillant partout des marques de bonté des Bouriates à mon égard. Une fois, je m'étais rendu sur les bords du Vitim, où je trouvai, outre les Bouriates, des Orotchènes. Les Orotchènes sont encore moins civilisés que les Bouriates. En dehors de la chasse, ils ont l'air de ne connaître aucun autre moyen d'existence. Ils mènent la vie nomade. Auparavant ils avaient encore des rennes, mais de mon temps les rennes avaient déjà disparu. Les Orotchènes n'ont pas même de huttes, mais des espèces de sacs de peaux de bêtes cousues ensemble, le poil en dehors, et cousues non pas avec du fil, mais avec les veines de ces mêmes bêtes. Autrefois, ils n'avaient que des fusils à pierre, maintenant ils possèdent le plus souvent des carabines. On dit qu'ils les ont obtenues après avoir abandonné leur vieille foi chamanique pour passer au christianisme. Tous ceux que j'ai pu rencontrer étaient baptisés, et la plupart l'avaient été sous l'évêque Mélèce. Je me suis laissé dire que la prédication n'avait pas été, tant s'en fallait, le seul moyen d'attirer ces enfants de la nature à l'Église, et que les tentations terrestres y avaient aussi contribué.
Quand je fis personnellement la connaissance des Orotchènes, je pus me convaincre que païens ils étaient avant leur baptême, et païens ils étaient demeurés jusqu'à ce jour. La faute, à mon avis, retombe avant tout sur nos missionnaires. Leur but principal n'est pas d'éclairer ces pauvres gens privés de la lumière du Christ, ni de les confirmer dans la vie chrétienne par l'exemple de leurs vertus, mais de baptiser le plus grand nombre possible d'individus, et de se faire un mérite du nombre des baptêmes auprès des autorités diocésaines, pour s'attirer leur faveur.
J'étais très curieux de connaître les docteurs du bouddhisme dans nos provinces du Nord. Après l'incident que j'ai raconté, j'eus plusieurs fois l'occasion de rencontrer des lamas, et ils m'étonnaient souvent par l'originalité de leurs conceptions religieuses et l'étendue de leurs connaissances. Quelques-uns avaient étudié dans nos universités. Je me souviens d'une conversation que j'eus ainsi avec un savant lama. Nous avions lié connaissance dans la troisième année de mon sacerdoce. Une fois, il me demanda : « Pourquoi tous les génies de l'humanité sont-ils panthéistes, et partant, plus près de nous autres bouddhistes que de la religion chrétienne, théiste ? Ainsi les philosophes de l'antiquité grecque, et les modernes philosophes allemands. » .
Je répondis à cette question que, selon moi, l'homme ne peut vivre sans religion : s'il ne connaît pas le vrai Dieu, il ne lui reste plus qu'à diviniser la nature. . L'homme de génie est tout spécialement tenté de se faire une religion de lui-même et de s'opposer à Dieu,..au lieu de s'incliner devant Lui :. « Mais vous, mon cher lama, que pensez-vous du Christ ? »
- « Je crois, répondit-il, que le Christ et Bouddha sont deux frères ; seulement le Christ est plus lumineux et plus large que Bouddha. Si tous les hommes étaient de purs bouddhistes, ils dormiraient en paix; mais si tous les hommes étaient de purs chrétiens, ils ne dormiraient point du tout, ils veilleraient perpétuellement dans une joie ineffable, et alors la terre serait le ciel. ».
- « Oh, m'écriai-je, comme vous avez raison, mon ami ! Que ne recevez-vous le baptême ?
- « Il ne s'agit pas du baptême, répondit-il, mais de la régénération de la vie. A quoi vous sert, à vous Russes, de vous dire chrétiens ? Excusez ma franchise, mais vous, Russes, vous ne connaissez pas le Christ et vous ne croyez pas en Lui. Vous menez une vie telle que nous, les sauvages, nous vous fuyons, nous vous craignons comme la peste. »


Archimandrite Spiridon : Mes missions en Sibérie. Ed Le Cerf ,1968, collection Foi vivante N° 91, p 61 à 71
christian
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Message par christian »

Quel texte magnifique. Merci Antoine. Il y a bien longtemps, j'avais lu ce livre de l'Archimandriter Spiridon et avait été frappé par la justesse et le bon ton de ses propos. Prêcher par l'exemple.
Merci de m'avoir rappelé l'existence de cet excellent ouvrage.
Je trouve intéressant son point de vue que j'ai déjà eu l'occasion de lire ici ou là sur la plénitude de l'Eglise orthodoxeen ne niant pas certains autres aspects d'autres religions.
theodore
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Message par theodore »

Je trouve ce texte vraiment merveilleux et c'est une bien belle leçon de respect et de tolérance.
Les missionnaires portugais qui brûlaient jusqu'aux évangéliaires des éthiopiens ou des syriaques ou encore des chrétiens orthodoxes de l'Inde pour les "ramener à Rome" auraient dû s'en inspirer.
Je comprends mieux encore pourquoi chinois et japonais excédés par ce genre de missionnaires finirent par les expulser.
Ils n'étaient pas chrétiens , mais d'autres , chrétiens, eurent à subir la même stupidité missionnaire d'autres chrétiens.
L'Orthodoxie qui puise à la source même de l'Esprit Saint, notamment dans la sublime pratique de l'hésychasme et de ses rites magnifiques ne doit pas reproduire les erreurs commises par les églises catholiques romaines et protestantes.
Le travail de l'Esprit Saint est long et patient.
La Croix est la volonté prête à toutes les douleurs.
Saint Isaac de Nisibe dit le Syrien
Antoine
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Message par Antoine »

L'Orthodoxie qui puise à la source même de l'Esprit Saint, notamment dans la sublime pratique de l'hésychasme et de ses rites magnifiques ne doit pas reproduire les erreurs commises par les églises catholiques romaines et protestantes.

Ce sont des attitudes missionnaires orthodoxes que le texte de l'Archimandrite Spiridon dénonce...
Il n'avait pas pour intention de faire le procès d'autres missions non orthodoxes.

Exemple:

C'est ma conviction que convertir les gens au Christ, comme ont fait nos missionnaires avec ce Bouriate, ce serait agir avant tout en vrai bourreau des âmes, et non en apôtre du Christ. Je ne sais si j’ai eu raison ou tort, mais depuis ce moment je n'ai fait que prêcher la parole de Dieu, laissant à d'autres le soin de baptiser.

Vos missionnaires sont comme les autres. Ils ne croient pas eux-mêmes ce qu'ils enseignent. S'ils y croyaient, s'ils vivaient comme le Christ le veut, ils n'auraient pas besoin de prêcher ; nous nous ferions chrétiens de nous-mêmes.

Nous en avons vu, de vos missionnaires, qui aiment l'argent, fument, boivent, et se débauchent comme les pires de nos Bouriates. Mais des missionnaires qui aiment réellement le Christ plus qu'eux-mêmes, nous n'en avons point vu.

« Zaskhoi, lui dis-je, si vous vous faisiez baptiser ! » — « Je n'ai pas encore volé de cheval, me répondit-il, pourquoi me faire baptiser ? ». Je reçus de nouveau un choc violent, et de nouveau justifié. Le vieux avait raison à sa façon, car sous l'évêque Mélèce on baptisait tous les coquins, larrons et voleurs de chevaux. Ils demandaient le baptême afin d'échapper, comme chrétiens, au châtiment de leurs crimes...

Tous ceux que j'ai pu rencontrer étaient baptisés, et la plupart l'avaient été sous l'évêque Mélèce. Je me suis laissé dire que la prédication n'avait pas été, tant s'en fallait, le seul moyen d'attirer ces enfants de la nature à l'Église, et que les tentations terrestres y avaient aussi contribué.

Quand je fis personnellement la connaissance des Orotchènes, je pus me convaincre que païens ils étaient avant leur baptême, et païens ils étaient demeurés jusqu'à ce jour. La faute, à mon avis, retombe avant tout sur nos missionnaires. Leur but principal n'est pas d'éclairer ces pauvres gens privés de la lumière du Christ, ni de les confirmer dans la vie chrétienne par l'exemple de leurs vertus, mais de baptiser le plus grand nombre possible d'individus, et de se faire un mérite du nombre des baptêmes auprès des autorités diocésaines, pour s'attirer leur faveur.
theodore
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Inscription : dim. 16 janv. 2005 22:55

Message par theodore »

Sans doute ai-je , il est vrai, une perception angélique , les missionnaires qu'ils soient orthodoxes , ou bien entendu d'autres confessions chrétiennes sont avant tout des hommes et non point des anges, certains même ont dû commettre des fautes inexcusables dans leur façon de procéder.
Et il yen eut même qui prirent courageusement la défense des peuples naturels qu'ils étaient venus convertir.
De toute façon , sur ce sujet je suis hostile à toute sorte de contrainte ni même de ruse, pour amener autrui à partager mes convictions, seul l'Esprit- Saint doit intervenir et sûrement pas quelque "esprit de feu" au goût bien terrestre, "eau de feu" comme disaient les amérindiens entre autres cadeaux empoisonnés.
Ne point réussir à convertir autrui ne doit en aucune façon être considéré comme un échec personnel car j'y vois là justement un péché d'orgueil de notre part.

Et n'oublions pas que le christianisme , lui aussi c'est enrichi de ce que d'autres ont pu lui apporter, et inversement, sans pour autant aller jusqu'au syncrétisme , mais en allant vers un respect, parfois têtu, mais accru de l'autre.
C'est aussi l'enseignement du Christ, un Christ avenant qui ne se permit jamais pour seule violence que de rudoyer quelques marchants du Temple.

Bien à vous tous.
La Croix est la volonté prête à toutes les douleurs.
Saint Isaac de Nisibe dit le Syrien
Vladimir
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Inscription : dim. 17 avr. 2005 17:48

Message par Vladimir »

Bonjour,

Voici un extrait des Institutions de 1659, directives de Rome envers les missionaires oeuvrant dans les terres lointaines ; étant donné son intérêt, j'ai pensé qu'il n'était peut-être pas inutile de vous le livrez ici, afin d'offrir un point de comparaison (modeste) avec le beau texte de l'Archimandrite Spiridon cité ci-dessus :

"Ne mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs moeurs, à moins qu'elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l'Espagne, l'Italie ou quelque autre pays d'Europe ? N'introduisez pas chez eux nos pays mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d'aucun peuple, pourvu qu'ils ne soient pas détestables, mais bien au contraire qu'on les garde et les protège. Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d'estimer, d'aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n'y a-t-il pas de plus puissante cause d'éloignement et de haine que d'apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs des anciens. Que sera-ce si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les moeurs de votre pays, introduits du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l'Europe ; bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer"

in "Mgr François Pallu ou les missions étrangères en Asie au XVIIème siècle", de Dom Guy Marie Oury, Paris, 1985, p. 87.

Cordialement,

Vladimir.
Antoine
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Message par Antoine »

"Ne mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs moeurs, à moins qu'elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale.
Voilà ce qui qui ouvre la porte à tant d'abus faits au nom de "la religion et de la morale".
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Vladimir a écrit :Bonjour,

Voici un extrait des Institutions de 1659, directives de Rome envers les missionaires oeuvrant dans les terres lointaines ; étant donné son intérêt, j'ai pensé qu'il n'était peut-être pas inutile de vous le livrez ici, afin d'offrir un point de comparaison (modeste) avec le beau texte de l'Archimandrite Spiridon cité ci-dessus :

"Ne mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs moeurs, à moins qu'elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l'Espagne, l'Italie ou quelque autre pays d'Europe ? N'introduisez pas chez eux nos pays mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d'aucun peuple, pourvu qu'ils ne soient pas détestables, mais bien au contraire qu'on les garde et les protège. Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d'estimer, d'aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n'y a-t-il pas de plus puissante cause d'éloignement et de haine que d'apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs des anciens. Que sera-ce si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les moeurs de votre pays, introduits du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l'Europe ; bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer"

in "Mgr François Pallu ou les missions étrangères en Asie au XVIIème siècle", de Dom Guy Marie Oury, Paris, 1985, p. 87.

Cordialement,

Vladimir.

Il serait peut-être bon de mentionner que ces directives semblent fort diplomatiques quand on sait quelle a été la pratique des missions papistes en Asie:

- En Inde, destruction de la chrétienté de saint Thomas par l'Inquisition établie par les Portugais (à la demande de "saint" François Xavier) à Goa en 1552; réunion du synode de Diamper (présidé par l'archevêque portugais de Goa) imposant la destruction par le feu des anciens livres de cette chrétienté, la soumission totale à Rome et l'abandon de la liturgie chaldéenne et contraignant les prêtres mariés à divorcer (1599). On m'excusera de citer encore une fois le cardinal Eugène Tisserant: "Aux Indes, en 1599, le grand autodafé ordonné à Diamper a dû entraîner la disparition d'un grand nombre de manuscrits, dont les colophons nous auraient sans doute révélé bien des détails de l'histoire locale." (Eugène, cardinal Tisserant, "L'Eglise syro-malabare", in Dictionnaire de théologie catholique, tome XIV, Paris 1941, colonne 3096.) (Comme on sait, la chrétienté de saint Thomas put reprendre vie lorsque le pouvoir néerlandais infiniment plus tolérant remplaça au Kérala la puissance portugaise et que l'archidiacre Thomas Parambil prit la tête du mouvement en 1653.)
Est-ce à dire que les moeurs et les coutumes locales n'étaient respectables que lorsqu'elles étaient le fait de païens, ou que, s'il ne fallait pas transplanter en Asie l'Italie ou la France, on pouvait y transplanter le Portugal?

-Je ne sais pas si vous avez entendu parler de la querelle des rites chinois et de la condamnation par la Papauté des pratiques d'inculturation des missionnaires qui avaient été envoyés en Chine (bulle Ex Illa Die de Clément XI en 1715). La première condamnation fut le fait d'Innocent X en 1645. Je ne sais pas quelle a été l'influence des Instructions de 1659 que vous citez, mais je sais en revanche que les condamnations pontificales des XVIIème et XVIIIème siècles ont cassé les reins au christianisme en Chine, jusqu'à ce que la persécution communiste et la prédication protestante lui redonnent la vigueur que nous constatons aujourd'hui, avec les centaines de milliers de conversions annuelles au protestantisme en République populaire de Chine.

Il me semble que c'est principalement à ces deux faits (l'autodafé des livres syriaques en Inde et la condamnation des tentatives d'inculturation en Chine) que Théodore faisait allusion dans l'un de ses précédents messages.

Ces faits me semblent avoir eu beaucoup plus de portée que les déclarations des Instructions de 1659, car on en revient toujours à la sagesse de saint Grégoire Palamas: "Toute parole peut détruire une autre parole, mais aucune parole ne peut détruire la vie"....
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