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Concélébrations et communions entre églises en froid

Publié : sam. 16 avr. 2005 11:51
par Jean-Serge
Suite à une discussion avec une amie, je souhaiterais avoir une explication sur le sujet suivant. L'Eglise macédonienne a proclamé son autocéphalie en 1967, autocéphalie non reconnue... En conséquence quelle attitude les fidèles des églises orthodoxes doivent-ils avoir : peuvent-ils communier dans cette église. Je répondrais par la négative.

En effet, le canon 33 du Concile de Laodicée dit :
33. Qu'il ne faut pas prier avec des hérétiques ou des schismatiques.

On ne doit pas prier en commun avec les hérétiques et les schismatiques.
Si le terme "prier" désigne bien la communion, et si la situation de cette église macédonienne est bien un schisme, il faudrait ne pas communier. Peut-on me confirmer cela? La communion chez les hérétiques entraîne l'excommunication : en est-il de même de la communion chez les schismatiques?

Autre point, que se passe-t-il en pratique. L'Eglise bulgare a aussi été coupée des autres Eglises orthodoxes jusqu'en 1945. Cela signifie-t-il que les fidèles des autres églises en voyage en Bulgarie ne pouvaient ni communier, ni se confesser, devaient baptiser leurs enfants eux-mêmes au besoin... La question se poserait aujourd'hui si on se trouve dans une ville d'Ukraine sans paroisse du patriarcat de Moscou.

La personnes (qui se reconnaîtra) a émis l'hypothèse qu'il y aurait une différence entre communion et concélébration : les clergés ne pourraient concélébrer mais les laïcs pourraient communier.

A ce sujet, je suis surpris de la nouvelle suivante en provenance du site officielle de l'ERHF-Lavre :

http://www.russianorthodoxchurch.ws/01n ... shing.html

"On the feast day of the Annunciation of the Mother of God, His Grace Bishop Gabriel of Manhattan, Vicar Bishop of the Diocese of Eastern America and New York, performed Divine Liturgy at Annunciation Church in Flushing, NY. On the eve, Bishop Gabriel performed all-night vigil at the Synodal Cathedral, at which His Grace Bishop Kallistos (Ware) of Diokleia prayed in the altar. "


Traduction personnelle :
"A la fête de l'Annonciation, sa Grâce l'Evêque Gabriel de Manhattan, évêque vicaire du diocècse d'Amérique de l'Est et de New York a célébré la Divine liturgie à l'Eglise de l'Annonsiation, à Flushing, New York. La veille, l'évêque Gabriel avait célébré les vigiles à la cathédrale synodale, lors de laquelle sa Grâce l'Evêque Kallistos (Ware) de Dioklea a prié à l'autel [cela désigne-t-il une concélébration? je ne comprends pas le sens de l'expression anglaise]"
Je sais que l'évêque Kallistos a lui-même été un laïc au sein de l'ERHF mais à priori l'ERHF et le Patriarcat de Constantinople ne sont pas en communion... Par ailleurs, cela fait bizarre de trouver d'un côté un évêque RHF qui a récemment lu les anathèmes dont le dernier contre l'oecuménisme avec un évêque du Patriarcat de Constantinople qui a une opinion plutôt positive sur l'oecuménisme.

En gros, on communie où, chez qui, avec qui, on concélèbre avec qui, où etc...

Re: Concélébrations et communions entre églises en froid

Publié : sam. 16 avr. 2005 13:04
par Claude le Liseur
Jean-Serge a écrit : Autre point, que se passe-t-il en pratique. L'Eglise bulgare a aussi été coupée des autres Eglises orthodoxes jusqu'en 1945. Cela signifie-t-il que les fidèles des autres églises en voyage en Bulgarie ne pouvaient ni communier, ni se confesser, devaient baptiser leurs enfants eux-mêmes au besoin... La question se poserait aujourd'hui si on se trouve dans une ville d'Ukraine sans paroisse du patriarcat de Moscou.
Le cas de l'Eglise bulgare était différent, car elle était non seulement schismatique, mais hérétique, en raison de l'adoption par elle de l'hérésie du phylétisme. Et, en effet, les autres Eglises locales ne reconnaissaient pas les sacrements de l'Eglise bulgare.

Le métropolite Antoine (Khrapovitsky) de Kiev, alors archevêque de Kharkov, écrivait le 16 juillet 1916 à l'anglican Robert Gardiner:

"L'Eglise russe, de même que l'Eglise grecque, n'est pas en communion avec l'Eglise bulgare. Il est vrai que notre hiérarchie, soumise au despotisme de l'Ober-Procurator D. Tolstoy, fut lente à déclarer son vote au moment de l'excommunication qui fut annoncée en 1872. Après leur libération du joug des Turcs, en 1878, les Bulgares n'abandonnèrent pas leur fanatisme borné et les Russes ne les admirent plus alors à leurs offices. Le Métropolite bulgare Clément, qui était animé de sentiments amicaux envers la Russie, ne fut pourtant pas autorisé à célébrer la Divine Liturgie lorsqu'il se trouvait en Russie en 1893. Pour ma part, dans le diocèse de Volnysk, j'ai ordonné prêtre deux étudiants bulgares, mais seulement après les avoir unis à l'Eglise par l'imposition des mains et leur renoncement au schisme." (Traduction française publiée in La Lumière du Thabor, nos 49-50, L'Âge d'Homme, Lausanne 2003, p. 131.)

Même attitude au sein de l'Eglise roumaine. Le recueil d'articles de Nae Ionescu publié aux Editions Deisis à Sibiu en 2003, Teologia, reproduit (page 106) un article publié dans Cuvântul le 7 avril 1930 où l'illustre théologien laïc raconte un épisode significatif intervenu dans l'évêché de Tomis (ou Constanta). Cette région avait été occupée par l'armée bulgare pendant la première guerre mondiale et, dans plusieurs localités, les prêtres orthodoxes avaient été chassés et remplacés par des prêtres de l'Exarchat bulgare. Après la libération de ces territoires et le retour des prêtres orthodoxes, l'évêque Géronce de Tomis fit consacrer à nouveau les églises où avaient célébré les prêtres schismatiques bulgares.

Ces faits sont intéressants, car, de nos jours, on essaie de récrire l'histoire du schisme bulgare (pour citer le titre d'une conférence du protodiacre Germain Ivanoff-Tridnatzaty: Pour une relecture du schisme bulgare), et, en se basant sur une fausse définition du phylétisme et surtout de phylétisme tel que le pratiquait l'Exarchat bulgare, de le présenter comme une querelle qui aurait opposé des "Grecs" naturellement impérialistes à des Bulgares épris de liberté. Il est donc intéressant de voir que la consience conciliaire de l'Eglise avait reçu les décisions du concile de Constantinople de 1872 et que les Eglises de Russie et de Roumanie n'agissaient pas différemment à l'égard de l'Exarchat que les Eglises de langue grecque. Mais il y avait bien, dans le cas bulgare, une hérésie.

On ne constate rien de semblable dans le cas macédonien et dans le cas ukrainien. La conscience de l'Eglise ne s'est pas encore prononcée; même le patriarcat de Serbie, pourtant le premier lésé par la proclamation anticanonique de l'autocéphalie de l'Eglise de Skoplje, continue à proposer le dialogue et laisse encore la porte ouverte. De même que tout le monde n'a pas coupé les ponts avec les autocéphalistes ukrainiens, dont on sait que leurs propres divisions constituent le principal obstacle à leur reconnaissance par le plérôme de l'Eglise. Il me semble que l'on est encore dans une situation de schisme potentiel et que l'Eglise n'a pas encore anathématisé les Eglises macédonienne et ukrainiennes comme elle le fit jadis pour l'Exarchat bulgare.

Quant aux concélébrations, qui semblent étonner Jean-Serge, entre l'Eglise russe hors frontières et Constantinople, c'est une vieille histoire. A Genève, le métropolite de Calabre Emilien (Tindianis), dont Jeanne Saint-Gilles a parlé sur un autre fil, concélébrait régulièrement avec les Russes hors frontières jusqu'à ce que Athénagoras le lui défendît en 1965 ou 1966. En fait, Athénagoras voulait rompre les contacts avec les Russes hors frontières, de même qu'il retira sa protection canonique à l'Archevêché de la rue Daru qui s'inventa alors un statut d' "Eglise indépendante", pour mettre fin aux préventions du patriarcat de Moscou à son égard et ainsi hâter la réunion d'un concile panorthodoxe. S'il semble qu'il n'y ait plus guère eu de concélébrations entre le patriarcat oecuménique et les Russes hors frontières depuis cette époque, elles ont continué entre clercs de l'Eglise autocéphale de Grèce et clercs de l'ERHF. Dans les années 1990, il y avait un archimandrite de l'Eglise autocéphale de Grèce, higoumène d'un monastère de l'île d'Andros me semble-t-il, qui venait régulièrement concélébrer à la cathédrale russe hors frontières de Genève.

Publié : sam. 16 avr. 2005 13:44
par Jean-Louis Palierne
À mon avis il y a là deux problèmes différents. Le deuxième probléme (concélébration de l’ERHF avec un évêque œcuméniste) est que théoriquement les deux juridictions ne sont pas en communion. Cela dit, en se rapprochant du patriarcat de Moscou, l’ERHF va se trouver dans la communion “normale” des Églises orthodoxes. Il est vrai qu’au même moment ledit patriarcat est en froid avec le patriarcat œcuménique, et que le fossé entre les deux papismes va plutôt en s’élargissant.

De plus le critère “œcuménisme”/”anti-œcuménisme” n’est plus très pertinent depuis que les Églises orthodoxes ont, d’un accord unanime mais néanmoins resté confidentiel, décidé de ne plus avoir de rapports avec le COE qu’en ce qui concerne les activités caritatives, se refusant à participer aux prières communes. Le parti pro-œcuméniste semble actuellement n'avoir plus guère avoir d'adhérents qu'à Paris (et personne dans l’Orthodoxie mondiale ne prend plus au sérieux “l’École de Paris”). Quant à mgr Kallistos, je ne connais personne qui ait pu définir de façon précise, définitive et exhaustive sa position sur les problèmes délicats. Il reste toujours infiniment nuancé et ouvert.

Quant au mouvement œcuméniste, outre le désaveu que lui ont infligé les Églises orthodoxes (c’est une trahison, car elles avaient apporté leur caution à le fondation du COE), il souffre aussi de la profonde division interne aux Églises protestantes, et de l’attitude très ambigüe qui a été celle de JP II. Reste qu'on trouve toujours à Paris des évêques qui ont une attitude équivoque.

Les querelles actuelles, donc post-œcuménisme, au sein de l’Orthodoxie (hélas il y en a toujours !) se résument à des "guerres des chefs" inter-patriarcales. Il n’en reste pas moins que l’Église n’a qu’un chef, c’est le Seigneur Lui-même, et qu’il n’a que faire de ces querelles. Et il y a l’ethno-phylétisme : toute nation orthodoxe accédant à l’indépendance politique considère comme un devoir sacré d’avoir une Église autocéphale. Et il y a toujours des “Églises-mères” qui refusent de reconnaître ces Églises.

Faut-il alors parler de schisme ou d’hérésie ? Ce n’est pas une conclusion canonique. Je peux me refuser à aller mettre les pieds chez les macédoniens ou chez les ukrainiens de l'Église “x” ou”y”, j’en prends la responsabilité sur moi-même. Si un jour les Églises orthodoxes autocéphales s’accordent pour borner leurs champs et définir l’intérieur et l’extérieur, tout le monde devra se soumettre. d’ici là je n’ai pas le droit de cracher à la figure de ceux chez qui je refuse d’aller. Je n’ai le droit de polémiquer que sur des raisons dogmatiques. Et je rappelle que les canons concernant la réception des hérétiques se gardent bien de traiter les différents disciplinaires, ni comme des “hérésies”, ni même comme des “schismes”.

Publié : sam. 16 avr. 2005 22:18
par Jean-Serge
Merci pour cette réponse nuancée. Je ne manquerai pas de poser la question autour de moi à des prêtres. Une question toutefois : à votre avis, les Ukrainiens dissidents et Macédoniens ont-ils la Grâce?

Une information : d'après des sources l'ERHF rétablirait la communion uniquement avec le Patriarcat de Moscou. Il ne faut pas oublier qu'elle est déjà en communion avec les Patriarcats de Serbie et de Jérusalem...

Publié : dim. 17 avr. 2005 12:18
par Claude le Liseur
Jean-Serge a écrit :Merci pour cette réponse nuancée. Je ne manquerai pas de poser la question autour de moi à des prêtres. Une question toutefois : à votre avis, les Ukrainiens dissidents et Macédoniens ont-ils la Grâce?
Oui.

Concélébration et communion entre églises en froid

Publié : ven. 03 juin 2005 13:54
par Jean-Serge
L'Eglise serbe vient d'élargir sa rupture de la communion à tous les fidèles de l'Eglise autoproclamée macédonienne.


http://www.orthodoxie.com/2005/06/legli ... e_c_1.html

En adoptant ainsi la décision n° 20 du 6 mai 2005 du Saint Synode de l’Archevêché orthodoxe d’Ohrid par laquelle la rupture de la communion avec les évêques et le clergé de l’Eglise schismatique de Macédoine est élargie aussi aux fidèles restant en lien religieux avec eux, le Saint Synode des évêques de l’Eglise orthodoxe serbe interrompt toute communion avec le peuple de la République de Macédoine qui demeurerait en communion avec cette « organisation schismatique qui se présente faussement comme Eglise en République de Macédoine».

« Puisque les sacrements et les prières accomplis par les évêques et par les prêtres schismatiques sont en dehors du domaine de la grâce de l’Eglise de Dieu et ne sont pas reconnus comme valides par l’Eglise, ils restent privés de la force rénovatrice de la grâce et de la force de perfection de l’Esprit Saint. De même que les actes sacramentaux opérés par la hiérarchie schismatique ne se distinguent en rien de ceux d’un acteur déguisé en vêtements liturgiques, de même la participation des fidèles à ces actes ne se distingue en rien de la participation du public à une pièce de théâtre.», dit le communiqué de l'Archevêché d'Ohrid.
Dans un premier temps dit le texte la rupture se limitait au clergé... puis se trouve étendue aux fidèles. Cette séparation me semble un rien artificiel pour les raisons suivantes.

1° Du fait du sacredoce royale, il n'existe pas de distinction entre église enseignée et enseignante dans l'Orthodoxie, chacun étant responsable de la défense de la foi. Etablir ces deux niveaux de rupture me semble donc une violation de ce principe.

2° En rompant le contact avec le clergé, c'était déjà affirmer qu'il était schismatique (chose confirmée par l'Epitre de Noel du Patriarche Pavle). Or normalement on ne peut prier avec les schismatiques (ni les hérétiques d'ailleurs) en vertu du Canon 33 de Laodicée.
33. Qu'il ne faut pas prier avec des hérétiques ou des schismatiques.

On ne doit pas prier en commun avec les hérétiques et les schismatiques.
Je ne m'étends pas sur le sens du terme prier, les avis ne convergeant pas...

Publié : ven. 03 juin 2005 14:11
par Georges Papathanassios
Quant à ce que disait lecteur Claude pour les Ukrainiens, le Patriarcat de Moscou leur refuse la communion, quelle que soit la branche sur place et l'origine des clercs (beaucoup pourtant, notament des évêques, ont reçu la chirotonie au sein du PM).

La réaction serbe me semble canoniquement saine, et rejette l'autocéphalisme ambiant qui semble regner dans les Républiques de l'ex-URSS.

Toujours le débat, que nous avons abordés déja avec Jean-Louis Palierne: l'autocéphalisme est-il un mode canonique de constitution des Eglises aujourd'hui (le fut il ?), n'est-il pas le principal vecteur de l'ethnophylétisme ?

Mais en face, le développement de type métropolitain va dans le sens d'un "papisme" phanariote qui ne semble pas plus canonique...

Publié : ven. 03 juin 2005 21:56
par Claude le Liseur
Georges Papathanassios a écrit :Quant à ce que disait lecteur Claude pour les Ukrainiens, le Patriarcat de Moscou leur refuse la communion, quelle que soit la branche sur place et l'origine des clercs (beaucoup pourtant, notament des évêques, ont reçu la chirotonie au sein du PM).
Je n'ai jamais prétendu que le Patriarcat de Moscou était en communion avec les Eglises ukrainiennes.
J'ai simplement répondu à la question de Jean-Serge que je croyais que les autocéphalistes ukrainiens avaient la grâce.
Confronté à la question ukrainienne, la métropole de Bessarabie du Patriarcat de Roumanie n'a pas agi autrement que le patriarcat de Moscou et a décidé de ne pas avoir de relations avec les autocéphalistes ukrainiens.
Cette décision, je m'y soumets; mais, en mon for intérieur, je persiste à penser que les autocéphalistes ukrainiens ont la grâce et qu'on leur fait un faux procès sur la base d'un acte de réunion de 1686 qui me semble d'une canonicité douteuse. Je ne pense pas que l'agenda de l'Eglise puisse être déterminé à jamais, contre la volonté des fidèles, par les rapports de force qui existaient il y a plus de trois siècles.
C'est une chose de critiquer l'autocéphalisme; mais quid de l'impérialisme?

Publié : ven. 24 juin 2005 14:33
par Anne Geneviève
Jean Louis Palierne a écrit :
De plus le critère “œcuménisme”/”anti-œcuménisme” n’est plus très pertinent depuis que les Églises orthodoxes ont, d’un accord unanime mais néanmoins resté confidentiel, décidé de ne plus avoir de rapports avec le COE qu’en ce qui concerne les activités caritatives, se refusant à participer aux prières communes.
C’est tellement confidentiel que je n’en avais jamais entendu parler. Serait-il possible d’avoir des détails, des liens, des textes ? Depuis = quand ? Et quelles raisons ont été avancées pour cette rupture ? Je n’en suis pas mécontente, personnellement, car le COE n’avait pour moi de sens que s’il permettait aux nécessaires confrontations de se faire par la parole plutôt que par la kalachnikov, laquelle me paraît un tantinet incompatible avec les Béatitudes. Mais comme il n’a empêché ni cathos et protestants d’Irlande du nord de s’entretuer, ni le massacre des Serbes de la Krajina par les néo-oustachis… Et comme il a surtout servi à « gentiment » sortir de la bouillie indigeste sur le plan théologique et bon nombre de contre-vérités sur le plan historique…

Lecteur Claude a écrit :
C'est une chose de critiquer l'autocéphalisme; mais quid de l'impérialisme?
Il me semble que la question devrait être : quid de la politique ecclésiastique dans toutes ses expressions ? Il est tentant pour un gouvernement, quel qu’il soit, d’inclure l’Eglise dans ses calculs géopolitiques. Encore plus tentant pour les « structures de connivence » que sont les clubs de réflexion internationaux et autres think tanks. Le problème, c’est que les hiérarques peuvent eux aussi être tentés par les jeux de pouvoir, dans les deux sens que pointe Claude. Actuellement, le mot d’ordre des ténors de l’hégémonisme américain est « haro sur Poutine ! », ce qui les amène à favoriser l’autocéphalisme dans les pays issus de la désagrégation du bloc soviétique mais aussi l’impérialisme du Phanar, jouant la deuxième Rome contre la troisième. En 1999, lors des bombardements de Belgrade, un politologue américain invité sur France-Infos avait quelque peu imprudemment prédit au journaliste qui s’inquiétait de la solidarité potentielle des pays orthodoxes avec la Serbie : « Ce n’est pas un problème. L’orthodoxie aura disparu avant l’an 2000. » Raté, bien que je ne sois pas sûre que ce ne soit pas encore au programme d’« experts » autoproclamés de Yale ou de Harvard. Mais quand je vois combien les discours peuvent être négatifs, même parfois sur ce forum, à l’égard de l’Eglise russe, je me demande quand même si la géopolitique ne pointe pas subrepticement son nez. Peut-être même à l’insu de ceux qui s’en font l’écho en toute sincérité. Mais depuis que j’ai appris par un ami orthodoxe allemand qu’un des premiers actes de Poutine fut de semer les journalistes et autres chefs de protocole pour aller consulter un staretz, je regarde le bonhomme avec un autre œil. Je n’appelle pas ça une attitude servile de la part de l’Eglise.

Re: Concélébrations et communions entre églises en froid

Publié : ven. 27 janv. 2017 14:38
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :
Le cas de l'Eglise bulgare était différent, car elle était non seulement schismatique, mais hérétique, en raison de l'adoption par elle de l'hérésie du phylétisme. Et, en effet, les autres Eglises locales ne reconnaissaient pas les sacrements de l'Eglise bulgare.

Le métropolite Antoine (Khrapovitsky) de Kiev, alors archevêque de Kharkov, écrivait le 16 juillet 1916 à l'anglican Robert Gardiner:

"L'Eglise russe, de même que l'Eglise grecque, n'est pas en communion avec l'Eglise bulgare. Il est vrai que notre hiérarchie, soumise au despotisme de l'Ober-Procurator D. Tolstoy, fut lente à déclarer son vote au moment de l'excommunication qui fut annoncée en 1872. Après leur libération du joug des Turcs, en 1878, les Bulgares n'abandonnèrent pas leur fanatisme borné et les Russes ne les admirent plus alors à leurs offices. Le Métropolite bulgare Clément, qui était animé de sentiments amicaux envers la Russie, ne fut pourtant pas autorisé à célébrer la Divine Liturgie lorsqu'il se trouvait en Russie en 1893. Pour ma part, dans le diocèse de Volnysk, j'ai ordonné prêtre deux étudiants bulgares, mais seulement après les avoir unis à l'Eglise par l'imposition des mains et leur renoncement au schisme." (Traduction française publiée in La Lumière du Thabor, nos 49-50, L'Âge d'Homme, Lausanne 2003, p. 131.)

Même attitude au sein de l'Eglise roumaine. Le recueil d'articles de Nae Ionescu publié aux Editions Deisis à Sibiu en 2003, Teologia, reproduit (page 106) un article publié dans Cuvântul le 7 avril 1930 où l'illustre théologien laïc raconte un épisode significatif intervenu dans l'évêché de Tomis (ou Constanta). Cette région avait été occupée par l'armée bulgare pendant la première guerre mondiale et, dans plusieurs localités, les prêtres orthodoxes avaient été chassés et remplacés par des prêtres de l'Exarchat bulgare. Après la libération de ces territoires et le retour des prêtres orthodoxes, l'évêque Géronce de Tomis fit consacrer à nouveau les églises où avaient célébré les prêtres schismatiques bulgares.

Ces faits sont intéressants, car, de nos jours, on essaie de récrire l'histoire du schisme bulgare (pour citer le titre d'une conférence du protodiacre Germain Ivanoff-Tridnatzaty: Pour une relecture du schisme bulgare), et, en se basant sur une fausse définition du phylétisme et surtout de phylétisme tel que le pratiquait l'Exarchat bulgare, de le présenter comme une querelle qui aurait opposé des "Grecs" naturellement impérialistes à des Bulgares épris de liberté. Il est donc intéressant de voir que la consience conciliaire de l'Eglise avait reçu les décisions du concile de Constantinople de 1872 et que les Eglises de Russie et de Roumanie n'agissaient pas différemment à l'égard de l'Exarchat que les Eglises de langue grecque. Mais il y avait bien, dans le cas bulgare, une hérésie.

Il est visible que, depuis une cinquantaine d'années, par romantisme, panslavisme ou défiance à l'égard de la politique suivie par le patriarcat de Constantinople depuis Athénagoras, nombreux sont ceux qui cherchent à minimiser le schisme bulgare des années 1870-1945.
Il y a pourtant des faits intéressants à retenir, qui montrent que les Bulgares de l'époque ne se considéraient plus comme orthodoxes. Ainsi, lors de l'occupation du sud de la Serbie entre 1915 et 1918, l'armée bulgare se livra à une incontestable persécution du clergé orthodoxe : par exemple, le 20 novembre 1915, les Bulgares exécutèrent 21 prêtres orthodoxes à Kremenica près de Pirot; cf. Milovan Pisarri, Bulgarian Crimes against Civilians in Occupied Serbia during the First World War, Balkanica XLIV (2013), p. 377 (ici: http://www.doiserbia.nb.rs/img/doi/0350 ... 44357P.pdf ). Je n'imagine pas que des orthodoxes se seraient comportés ainsi à l'égard du clergé orthodoxe d'une autre nationalité, et, de fait, le seul autre cas que je connaisse d'un prêtre orthodoxe fusillé pendant la première Guerre mondiale est celui de Maxime Sandowicz, fusillé par les Austro-Hongrois en 1914 (bras armé du Vatican) et canonisé par l'Eglise orthodoxe de Pologne en 1994.
Très révélateur me paraît aussi être le cas, documenté par le criminologue Rodolphe Archibald Reiss, de la disparition de plusieurs centaines de femmes et de jeunes filles serbes de la zone d'occupation bulgare, enlevées par l'armée bulgare et vendues comme esclaves par le gouvernement bulgare à la Turquie toujours grosse consommatrice de femmes non musulmanes. Quand on connaît le mauvais souvenir laissé à tous les peuples orthodoxes des Balkans par l'enlèvement des enfants généralisé à l'époque ottomane (devşirme), cela est à tout le moins un indicateur sérieux d'une différence de mentalité entre les fidèles de l'Exarchat bulgare et ceux de l'Eglise orthodoxe.
Ainsi se comprend mieux la réaction de l'évêque orthodoxe de Constanța faisant purifier les églises qui avaient été souillés par les prêtres de l'Exarchat bulgare après la libération de la région par les troupes roumaines.
Les conséquences du schisme bulgare - en réalité de l'hérésie phylétiste promue par l'Exarchat bulgare - se font sentir encore aujourd'hui. Non seulement parce que le poison de cette hérésie a fini par se répandre partout, mais aussi parce que plus de 70 ans après la réconciliation sans véritable repentance de l'Eglise bulgare au sein de l'Eglise orthodoxe en 1945, les orthodoxes bulgares n'ont toujours pas retrouvé la vigueur spirituelle qu'ils connaissaient avant le schisme de 1870.