Traduit du russe sur le site:
http://www.pravoslavie.ru/sretmon/izdatel/francis.htm
FRANCOIS D’ASSISE ET LA SAINTETE CATHOLOQUE
Les éditions du Monastère de La Sainte Rencontre (Sretensky Monastyr) ont publié « François d’Assise et la sainteté catholique ». Nous proposons un court extrait de ce livre à nos lecteurs. (Pour alléger cette prise de contact nous avons enlevé toutes les références historiques de cet extrait).
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On sait que dans sa jeunesse, François s’adonnait avec passion aux joies des divertissements mondains. Nourri aux romans chevaleresques et à la poésie des troubadours, qui d’ailleurs « n’étaient pas constitués que des seules trivialités de l’amour » mais « glorifiaient également avec passion les hauts faits guerriers », dès son plus jeune âge François se mit à rêver aux exploits, à la gloire et aux honneurs. Remarquons toutefois que l’engouement pour la poésie des troubadours ne resta pas sans traces : Quelques années après la fondation de son Ordre François « lisait à ses disciples les plus dignes les œuvres des troubadours – les maîtres de sa jeunesse ». Et comme les troubadours « ont suscité des pensées et des sentiments héroïques » François, qui avait grande soif de cette gloire chercha à la gagner par n’importe quel moyen, profitant avidement de a première occasion venue.
Ainsi, encore enfant, il fut le meneur de la bande de gamins locale, organisa les fêtes et les soirées, se fit élire « roi » de la fête. Et en cette compagnie loin d’être irréprochable et pieuse, où chacun s’employait à se montrer plus mauvais que nature, François estimait de son devoir de dépasser ses compagnons de beuverie dans cette vie licencieuse. « Il était très gai et assez frivole. Rires et chansons, discussions enflammées du programme des festivités à venir ou d’une nouvelle toilette, dépenses sans compter de l’argent paternel – telles étaient les occupations de François quand il ne se plongeait pas, pendant ses temps libres, dans les pensées solitaires ou ne se noyait dans des plans romanesques embrumés.
Il demeurait dandy de la tête aux pieds et ne pensait qu’à devenir un héros. » L’encouragement d’une telle conduite par les parents de François, fiers de son éclat, de ses succès et de sa notoriété eut pour conséquence que le futur « saint » déclarait ni plus ni moins : « Un jour viendra et le monde entier s’inclinera devant moi ».
François réfléchissait longuement sur le meilleur moyen de devenir célèbre et en recherchait sans répit l’opportunité rêvant jour et nuit à la gloire et aux honneurs.
L’occasion se présenta enfin : la guerre fut déclarée entre Assise, sa ville natale et Pérouse. François eut alors un songe déterminant pour ses désirs d’armures et d’ ordres guerriers. Ainsi nourri dans l’attirance et la rêverie de la chevalerie, il concrétisa son idéal et se rua dans le combat. La soif irrésistible de gloire et de célébrité ainsi que la folie des grandeurs avaient un tel empire sur François que les derniers mots du jeune guerrier empressé au combat furent : « Je reviendrai en grand chef ».
Ayant subi à la guerre une première déroute, François ne se désespéra pas et se joignit en quête de gloire à un chevalier. Mais un événement inattendu modifia ses plans. Une nouvelle vision reçue dans son sommeil lui révéla qu’il avait mal compris les précédentes : la gloire qui lui était promise devait être bien supérieure à celle qu’il s’était imaginée.
Cependant, c’est un François déçu et attristé qui revient à Assise, n’ayant rien obtenu de satisfaisant à ses désirs. La ruine de ses plans, de ses rêves de gloire militaire et de reconnaissance dans le monde lui était devenue intolérable. C’est alors qu’il se mit à prier longuement devant la Crucifixion (on parlera plus loin de la forme de la prière de François).
« Les prières prolongées l’enflammaient, des voix émanaient de la Crucifixion, et l’espace se peuplait de visions. Après ces accès il tremblait et tombait dans une profonde mélancolie».
Lors d’une de ces prières, se trouvant dans un état d’exaltation et de ravissement extrême, ayant par ailleurs contracté la fièvre, François entendit de nouveau une voix l’exhortant à restaurer l’église catholique menacée d’effondrement et de disparition. Il comprit alors que cette gloire sans commune mesure dans le monde avec celle des campagnes militaires, des fêtes et des honneurs terrestres, c’est de Dieu qu’il pourrait la gagner. Ayant pris conscience de la sphère dans laquelle il obtiendrait ce maximum de gloire et d’honneurs dont il avait tellement rêvé, François, sans réfléchir à deux fois, s’y plongea tout entier.
Par quoi François commença-t-il sa nouvelle vie héroïque ? Il est nécessaire de suivre au moins succinctement le développement de l’ambition et des aspirations à la gloire du jeune homme pour comprendre par quel engrenage il tomba sous ce que Saint Ignace Briantchaninov appelle le « charme terrifiant du diable » . .
Avec une incroyable audace François âgé alors de 23 ans changea complètement son mode de vie, tombant d’un extrême à l’autre. Il est très important de noter ici que le héros d’Assise s’est lui-même défini la voie à suivre sans recourir ni à un précepteur ni à un directeur spirituel. Plus loin nous verrons qu’à son endroit se sont réalisées les paroles de Saint Jean Climaque « à celui qui n’a pas débuté sa vie dans l’obéissance il ne sera pas possible d’acquérir l’humilité ; car celui qui a eu un auto-apprentissage de l’art – est en proie à l’orgueil ».
François quitta donc la maison paternelle et se mit aussitôt à prêcher.« Ses pensées étaient énoncées dans le désordre. . Il y avait plus de gestes que de mots . Il prêchait avec tout son corps se trouvant sans cesse en mouvement, les propos interrompus par des gestes enflammés et des hochements de tête, des pleurs, des rires, des mimiques exprimant ses pensées, et suppléant aux paroles ». tandis que « les yeux des auditeurs étaient baignés de larmes et que leurs cœurs bondissaient dans leurs poitrines ».
N’étant pas familier avec les enseignements et prescriptions des saints pères, c’est par volonté propre que François décida de revêtir le rôle héroïque de l’innocent (yourodivy), se revêtant intentionnellement de guenilles, quémandant des restes de nourriture, errant par les rues à la recherche de pierres pour construire une église et provoquant les gens en s’humiliant devant eux. Bien entendu, Piétro Bernardone,le père de François, désapprouvait la conduite de son fils et le voyant un jour sale et pauvre victime de jets de pierres et de boue, il le punit comme un père se doit de le faire. Quelques temps plus tard, François, sous jugement d’ un vol d’argent appartenant à son père, annonça publiquement qu’il reniait son père et quittait la vie du monde. Fort de cette conduite François organisera également par la suite, pour sa future fille spirituelle, « la petite plante » Clara, la fuite de la maison paternelle et le reniement des parents
Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, le monde occidental vivait à cette époque dans l’indifférence au Seigneur. Et c’est justement sur cet arrière plan que l’homme d’Assise eut l’idée de l’imitation du Christ ; mais cette imitation, comme nous le verrons, n’en avait que des apparences purement extérieures. Ainsi prit naissance ce qui fut appelé par la suite « la vertu de la sainte pauvreté », à savoir l’imitation du Christ dans la nécessité, l’imitation de la vie et de la pauvreté du Christ dans laquelle François s’était fortifié selon ses propres paroles. L’imitation de Jésus Christ était devenue l’essence même de la vie de François, le fondement de sa vocation de moine.
Cette imitation ne se matérialisait que par des manifestations extérieures : le héros d’Assise faisait tout pour ressembler à Jésus Christ par l’aspect extérieur, réalisant des actes semblables à ceux du Seigneur durant sa vie terrestre. Par exemple, comme le Christ, François se choisit 12 disciples et les envoya 2 par 2 pour prêcher dans le monde –( Mc 6,7,) « transforma » l’eau en vin, organisa une dernière cène, la faisant en tout semblable à la Sainte Cène du Seigneur. Il n’est pas sans importance de parler de l’apparition sur le corps de François de ce que l’on appelle « les stigmates » - plaies saignantes – sur les mains, les pieds, le côté (comme le Christ) témoignant du soit-disant « co-martyr » avec le Christ. Grâce à ces stigmates, François, sur son lit de mort, « semblait être le Christ à nouveau enlevé de sa croix ».
Plus encore, comme il le disait lui-même, François consacra sa vie à la réalisation d’un seul désir – souffrir pour les autres et racheter les péchés d’autrui. C’est là que la « Prière pour le Monde » de François est un exemple caractéristique : elle reflète bien son auto-identification avec le Sauveur.
« Donne-moi de faire naître l’amour dans les cœurs des méchants, d’apporter le bienfait du pardon à ceux qui haïssent, de réconcilier les ennemis. Donne-moi d’éclairer par la vérité les âmes des égarés, de renforcer par la foi ceux qui doutent ,d’éclairer de la lumière de Ta sagesse ceux qui sont dans les ténèbres. Donne-moi de faire renaitre par l’espoir les désespérés, de faire don de la joie aux affligés . . . »
En comparaison voyons la « Prière pour le Monde » du « Trebnik » orthodoxe :
« Nous Te remercions, Seigneur ami de l’homme, Roi des siècles et Donateur des biens qui a détruit les barrières de la haine, donné la paix au genre humain, faisant don maintenant encore de la paix à Tes serviteurs : enracine en leur sein Ta crainte, renforce l’amour des uns pour les autres, éteints toutes querelles, ôte toute tentation de discorde. Car Tu es notre paix, et nous Te rendons gloire , au Père et au Fils et au Saint Esprit, et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles, amen. »
L’orthodoxe prie que ce soit justement Dieu qui fasse don de la paix et éclaire par l’amour les cœurs des hommes. François, lui, aspire à s’approprier ces propriétés.
Grâce à ces témoignages et des faits isolés de la biographie de François, ses proches et ses disciples se forgèrent une opinion conforme à toute sa vie, à savoir qu’il était devenu « un autre Christ » dont il était fait don au monde pour le salut des hommes », que le Christ s’était réincarné en lui, devenant Fils de l’Homme. Puis très peu de temps après sa mort apparut un « évangile », bonne nouvelle le concernant : « les Fioretti ».
Regardons maintenant en quoi consiste la véritable ressemblance à Jésus Christ dont témoignent les saints pères. Saint Syméon le Nouveau Théologien répond à cette question de la façon suivante : « la ressemblance au Christ est formée de la vérité, de la douceur, et en même temps de l’humilité et de l’amour des hommes ». Et l’homme qui rassemble ces qualités, Dieu (et justement Dieu et non pas l’homme lui-même) le rend « pur, chaste, juste, courageux devant la tentation, sage en ce qui concerne le Divin, compatissant, bienveillant, généreux, ami de l’homme, bon, véritable chrétien, véritable image du Christ . . . Cette ressemblance conclut-il s’acquiert par la mise en application des commandements » . Saint pierre Damascène lui répond en écho : « Celui qui cherche le Christ doit le faire non pas à l’extérieur mais à l’intérieur de soi, c’est à dire être corps et âme comme le Christ, sans péché selon les forces humaines ». De son côté le vénérable Ambroise d’Optimo dégage trois éléments sur la question de la ressemblance au Christ : 1) être miséricordieux, c’est à dire compatissant et indulgent, pardonnant aux gens tous leurs défauts, leurs offenses et vexations ; 2) mener une vie sainte, c’est à dire conserver la chasteté et la pureté du corps et de l’âme devant toutes les passions ; 3) tendre à la perfection qui est dans la profondeur de l’humilité. Autrement dit, en voyant la hauteur à laquelle il faut se hisser, il faut considérer toutes ses œuvres et ses travaux comme n’étant rien – Luc 17-10. Quant au vénérable Jean Climaque – il disait : s’étonner des œuvres des saints est très louable ; les envier est salutaire ; mais vouloir tout à coup imiter leur vie est tout à fait déraisonnable et impossible ». Si l’on parle ainsi de l’imitation des saints que dire alors de vouloir imiter la vie du Seigneur Lui-même ?
Maintenant il est temps de passer aux trois révélations et aux visions de François qui sont considérées à juste titre comme les plus importantes dans sa vie et sont naturellement les conséquences justes de sa pratique mystique extraordinaires. Les deux visions dont il sera fait mention ici on eu lieu sur le mont Alverno qui lui a été offert en présent à la fin de sa vie terrestre.
La première démontre de façon évidente où prenait racine l’auto-abaissement de François qui passe comme un fil rouge au travers de sa vie. Effectivement, comme dans cette « discussion humble » avec frère Léon, dont on a parlé plus haut, la plupart du temps l’expression de l’homme d’Assise est accompagnée de commentaires extrêmement humiliants pour lui-même : « Moi qui suit le plus indigne et le plus ignoble des hommes que Dieu ait mis sur cette terre », « je suis ignorant et sot », et beaucoup d’autres choses semblables. Un témoignage spectaculaire d’une véritable compréhension de son auto-humiliation est la phrase suivante extraite de son « Message à l’ensemble de l’Ordre » : « je suis le dernier de vos serviteurs, insignifiant et faible . . . Entendez fils de Dieu , mes frères, et écoutez mes paroles. Inclinez l’oreille de votre cœur et obéissez à la voix de Fils de Dieu ».
Donc, en priant un jour sur le Mont Alverno avec ces paroles d’auto-humiliation : « Seigneur, que suis-je devant Toi ? quelle est ma signification devant Ta force, ver de terre insignifiant, Ton serviteur insignifiant ! » Et répétant ces proclamations sans cesse, François reçut la réponse qu’il espérait: deux grandes lumières lui apparurent, dans la première il reconnut le Créateur, et dans l’autre : il se reconnut lui-même. Cette assimilation au Christ à laquelle François avait passionnément aspiré en son âme durant toute sa vie consciente se réalisait enfin : il se vit égal à Dieu ! Cette vision est justement l’une des raisons principales qui poussent les disciples de François, ses continuateurs et admirateurs à proclamer d’une seule voix qu’en leur maître s’était réalisée une nouvelle incarnation du Christ.
La deuxième révélation dont il fut l’objet sur la même colline fut d’une telle force qu’elle devint par la suite une des principales bases de canonisation du héros deux ans après sa mort. Naturellement, il s’agit de l’événement le plus important (du point de vue des catholiques eux-même) de la vie de François, à savoir l’apparition des stigmates sur son corps, c’est-à-dire de plaies et d’ulcères semblables aux plaies de la crucifixion du Sauveur. Cela s’est passé comme suit : le 14 septembre 1224, le jour de l’exaltation de la Sainte Croix, François était agenouillé, les bras levés vers le ciel et priait pour que Dieu lui accorde de revivre les souffrances que le Seigneur Lui-même avait subit sur la Croix (remarquons encore une fois qu’il s’agissait d’une prière exempte de tout repentir) Un désir si inhabituel et si intéressant sera d’autant plus compréhensible si l’on se souvient qu’une telle quête irrésistible « d’avoir la vision du visage aimé du Christ et de souffrir de Ses souffrances » animait également E.I. RERICH qui lui aussi par la suite ressentira son identité avec le Christ. . . Donc, au bout d’un certain temps, priant de cette façon, François acquit la ferme certitude que sa demande allait être exhaussée. Et tout de suite après « il s’abandonna à la contemplation des souffrances du Sauveur, contemplation portée au plus haut point de concentration ». Enfin, « dans le trop-plein de l’amour et de la compassion qu’il éprouvait, il se sentit totalement transformé en Jésus Christ ».
Une telle pratique de la méditation dont est totalement exclu le repentir, base des bases de toute vie chrétienne, est uniquement tournée vers soi-même : la personne pratique la méditation pour obtenir plaisir et délectation. Se sentant digne « de la joie et de la béatitude » le méditant trouve alors une complète autosatisfaction dans sa pratique, ce qui entraîne une « autodéificaton » sans Dieu et malgré Sa volonté. De façon étonnante, la méthode employée par François nous rappelle une pratique semblable dans le bouddhisme , enseignement incompatible avec le christianisme, et ceci dans la mesure où le moteur en est un seul et même esprit – celui de l’orgueil sans limite. Par ailleurs si l’on prend en compte l’enseignement relatif à la personnalité, déformé et transformé dans le catholicisme, la raison pour laquelle François « s’est senti totalement transformé en Jésus » - deviendra parfaitement claire, transformé qu’il fut, non par vertu à laquelle nous sommes tous appelés, mais par nature, se sentant dieu dans son être même.
Après cela, complètement séduit par sa prière, le héros d’Assise ne remarqua pas le blasphème qui se présentait à ses yeux : il vit un séraphin cloué à la croix. Le terme de blasphème est le seul qui puisse s’appliquer à cette parodie du grand mystère de l’incarnation et du rachat de l’homme qui remplace le Créateur et Rédempteur par sa créature. . .
Une tempête de sentiments – de sentiments terrestres – submergea notre héros et il s’ensuivit que, « sur son corps cette manifestation laissa des traces merveilleusement conservées des souffrances du Christ, car aussitôt surgirent sur les mains et les pieds de François comme des clous. Il semblait que ses mains et ses pieds étaient en leur milieu transpercés par ces clous . . . Sur le côté droit de sa poitrine apparut la trace du coup de lance, comme une cicatrice enflammée et d’où s’écoulait le sang que l’on pouvait voir transparaître sur ses vêtements.
François portait sur sa poitrine, ses mains et ses pieds l’image et la ressemblance corporelle au Sauveur » .
Là il convient de tomber d’accord avec les catholiques : la mystique de l’ascète d’Assise atteint son apogée. Le brûlant désir de ressembler au Christ en L’imitant est devenu réalité pour François : il se sentit « transformé en Jésus », jusqu’à la ressemblance dans sa chair.
Cependant, en ce qui concerne ce genre de visions, les saints authentiques en ont une toute autre opinion.
Ainsi, le vénérable Barsanuphle répondait au questionnement d’un disciple sur l’attitude à avoir en présence d’ une vision ayant le visage du Christ: « Frère, ne te laisse jamais tenter par de tels messages du démon, car les apparitions de Dieu ne se manifestent qu’aux seuls saints, et dans le cœur de ceux-ci préexistent toujours le silence, la paix et l’indulgence. D’ailleurs, les saints qui ont eu une telle apparition en vérité ne s’en estiment jamais dignes. Alors d’autant plus, les pécheurs, connaissant leur indignité, ne doivent ils jamais croire en de telles manifestations. »
Cependant, François au contraire comme on le voit dans tout ce qui a été exposé ci-dessus, accepta tout sans le moindre doute comme étant la vérité.
Ce qui est également intéressant c’est que dès l’apparition des stigmates François se « désintéressa de tout ce qui se passait dans l’Ordre » et laissa les moines vivre à leur guise.
Pour cette raison sans doute, s’étant persuadé être l’égal de Dieu, l’homme d’Assise déclara par la suite : « Je ne vois chez moi aucun péché que je n’aurai racheté par la confession et le repentir ». Pour comprendre à quel point il s’était éloigné de Dieu on peut comparer cette phrase à la révélation spirituelle de Abba Dorothée : « Plus on s’approche de Dieu et plus on se sent pécheur » ; et plus on s’en éloigne plus on se sent pur et moins on remarque ses propres péchés.
Mais où une telle vie spirituelle a-t-elle mené François – on peut au moins le déduire des paroles prononcées sur son lit de mort : « Je pardonne à tous mes frères, à ceux qui sont présents, comme à ceux qui sont absents, leurs offenses et leurs erreurs et leur pardonne leurs péchés pour autant que j’en ai le pouvoir ».
Remarquez bien : même aux portes de la mort il ne demande pas pardon, au contraire c’est lui-même qui pardonne. Et enfin, il finit sa vie avec la pleine conscience d’être un juste : « J’ai accompli ce que je devais accomplir ». Là nous sommes complètement à l’opposé de ce qui a été dit par le Seigneur lui-même ; « Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous a été commandé, dites : « nous sommes des serviteurs insignifiants car nous avons réalisé ce qui devait être fait » (Luc 17,10).
Ensuite, si l’on établti une comparaison entre la mystique de François et les enseignements des saints pères, il faut se souvenir que toutes les visions et révélations de l’ascète d’Assise et de ses « frères cadets » ont été données à ces derniers à l’issue de manifestations tumultueuses de sentiments et d’émotions. Mais, ainsi que le fait remarquer Saint Isaac le Syrien, « le commencement de la vie en vérité est la présence dans l’homme de la crainte de Dieu. Et elle ne peut co-exister dans l’ âme avec un esprit qui vagabonde, car si le cœur sert les sentiments il est distrait de la jouissance de Dieu » et l’homme ressent justement des plaisirs sensuels. Celui qui a le cœur triste mais laisse ses sentiments en liberté, poursuit-il, est semblable au malade qui souffrant dans son corps laisse ses lèvres ouvertes à toute sortes de nourritures nocives pour lui. Quels que soient les efforts déployés par un tel homme pour que le spirituel descende jusqu’à lui, le spirituel ne s’y soumet pas. Et s’il a l’audace de se laisser aller à ses désirs et lève son regard vers le spirituel et tente de l’atteindre par la raison en temps inopportun, alors sa vue va faiblir et au lieu de la réalité il contemplera des spectres et des représentations imaginaires ».
Ce n’est pas pour rien que les ascètes expérimentés, comme le vénérable Jean Climaque, connaissant en profondeur la prière, ont témoigné des révélations mensongères qui peuvent se produire en disant : « J’ai ressenti que ce loup voulait me séduire en provoquant dans mon cœur une joie indicible, les larmes et la consolation, et par mon inexpérience j’ai pensé que j’avais reçu le fruit de la vertu et non la vanité et le charme ». C’est pourquoi ils mettaient en garde : « Examine les délices qui s’installent : ne sont-ils pas empoisonnés par des médecins amers pire que les assassins cruels de l’âme humaine » et ils enseignaient : « De la main de l’humilité et non de l’orgueil, de la glorification, et du sentiment de sa ressemblance au Christ écarte la joie qui apparaît comme en étant indigne pour ne pas t’en enorgueillir et ne pas accueillir le loup au lieu du pasteur ».
Cependant François lui-même, négligeant tous les conseils et enseignements des pères anciens, pense différemment sur le sujet : « Dieu est doux et agréable, aimable, aimé et plus que tout désirable » c’est pourquoi j’accompli « les paroles embaumées de mon Seigneur ».
De quelle façon le martyr d’ Assise accomplissait-il ces « paroles embaumées » reçues dans de nombreuses révélations ?
Voici un exemple caractéristique :
Un jour, avec son frère d’Ordre Masséo, François entra dans une église pour prier et recevoir une nouvelle révélation. « Dans cette prière, il ressentit une telle clémence sans borne qui enflamma si fort son âme d’un amour pour la sainte pauvreté, qu’on aurait dit que le feu de l’amour s’échappait de la rougeur de ses joues et des ses lèvres entrouvertes. Et comme en proie à ce feu il s’approcha de son camarade et lui dit « Ah ! Ah !, Ah ! mon frère Masséo, donne-toi à moi ! » Ayant dit cela trois fois, saint François souleva d’un seul coup Masséo en l’air et le projeta à une distance d’un jet d’une grande perche. Et le frère Masséo était grandement ébranlé par cela et racontait à ses camarades qu’à l’instant même où saint François le soulevait en un clin d’œil et le projetait en l’air il ressentit un délice de l’âme et une consolation du Saint Esprit, tel qu’il n’en avait jamais ressenti de sa vie ».
Elle est vraiment étrange n’est-ce pas cette « consolation du Saint Esprit » qui suite à cette phrase ambiguë « donne-toi à moi », défiant les lois de la gravitation, te projette en l’air et te précipite vers le bas la nuque contre les dalles de pierre . . .
Diacre Alexis BEKORIOUKOV