Antoine a écrit :l'inutilité totale de ce bouquin et de sa nocivité.
De ce qu'il faut protéger l'œil de l'âme
de tout ce qui peut lui nuire
[…] Veille à ce que ton esprit, qui est ta lumière naturelle et la source de la lumière pour ta vie, ne devienne pas ténèbres et source de ténèbres. Cet oeil tombe malade lorsqu'il absorbe le mensonge, et dès lors notre activité devient fausse, et nous nous caractérisons par un état d'aveuglement et de péché. En absorbant des pensées mensongères, l'intelligence se trouble, la conscience perd la justesse de ses informations, tous les sentiments et toutes les sensations spirituelles du cœur s'entachent également d'erreur et sont marquées par le péché. Alors l'homme n'est plus bon à rien et devient l'ennemi de son propre salut, le meurtrier de son âme, l'adversaire de Dieu.
La sainte Ecriture, ou plutôt le Saint-Esprit qui vit en elle et nous parle à travers elle, prononce à l'égard de tels hommes le jugement suivant :
Ce sont des hommes à l'esprit corrompu, à la foi inconsistante (II Tim. 3, 8). L'homme dont l'esprit est corrompu ne peut d'aucune façon avoir part à la foi : chez lui la place de la foi est déjà usurpée par ce qui, à tort, porte le nom de « raison », et pour lui le langage de la croix est une cause de scandale ou un objet de dérision, comme nous le voyons chez les Juifs qui vivaient à l'époque du Dieu-Homme (cf. I Cor. 1, 18).
La perversion de l'intelligence est toujours accompagnée par celle des autres propriétés spirituelles de l'homme. C'est pourquoi la perversion de l'intelligence et celle de l'esprit ont une signification identique en ce qui concerne leurs conséquences. C'est en adoptant une fausse doctrine ou de fausses idées sur Dieu et en déformant la doctrine dogmatique et éthique révélée par Dieu que l'esprit humain se corrompt et que l'homme devient un fils du diable (cf. Jn 8, 44). Rien qu'une conversation ou un contact avec des pensées appartenant au domaine de Satan, sans même qu'on les adopte, ou même un simple regard sur des
pensées et des
images suscitées par les démons, suffisent pour endommager l'œil de l'âme. Sa puissance visuelle perd de son acuité et de sa pureté, proportionnellement au degré de communion établie avec Satan. Saint Hésychius de Jérusalem dit : «Tout comme nous nous abîmons les yeux lorsque nous les fixons sur quelque chose de mauvais pour eux, de même nous nous causons du tort lorsque nous portons le regard de notre esprit sur quelque chose de nuisible» (Centuries sur la vigilance,77, in Philocalie t 1).
C'est pourquoi nous devons être particulièrement attentifs à protéger l'œil de notre âme, et prendre grand soin de ce que rien ne vienne l'endommager de peur que sa déficience n'entraîne un désastre spirituel. Pour donner un exemple montrant comment, lorsqu'il est blessé, l'œil de l'âme peut compromettre notre salut, nous rapporterons ce qui suit et dont nous avons été nous-même témoin. Certaines personnes avaient lu quantité de romans au point que leur esprit et leur cœur en étaient complètement imprégnés. Par la suite, frappées par quelque revers de fortune, ou cédant à l'éveil d'un attrait intérieur, ou même sur un signe de la miséricorde de Dieu, ces personnes se sentirent attirées vers la vie spirituelle. Alors se révéla la néfaste influence de leurs lectures antérieures sur leur état d'esprit. L'habitude de jouir de tout ce qui est sensuel les détournait constamment du sentiment d'un vrai repentir, et introduisait dans leur ascèse même un élément de sensualité, abominable aux yeux de Dieu, et qui rend l'âme de l'homme imperméable au Saint-Esprit mais, au contraire, très accessible à Satan qui vient y établir sa demeure.[…]
Ceux qui se sont imprégnés de lectures romanesques sont très exposés à l'aveuglement et à
l'illusion démoniaque, car ils ont pris goût à la jouissance que procure la sensualité. Cette dernière peut se manifester non seulement de manière grossière, mais aussi sous des formes extrêmement subtiles qui échappent à la compréhension et à l'attention d'un homme encore sous l'emprise des passions.
A l'époque où il vivait encore dans le monde, un moine avait lu, par simple curiosité, quelques écrits dirigés contre la foi chrétienne, sans se rendre compte de quelle prudence et de quelle circonspection il faut faire preuve lorsqu'on soumet son âme à des impressions qui continueront ensuite de vivre en elle. Lorsqu'il entra au monastère et s'engagea dans les combats de l'ascèse, les impressions qu'il avait recueillies autrefois commencèrent à manifester leur présence dans son âme par des
pensées de doute, de perplexité et de blasphème. Cela montre que l'œil de son âme avait été atteint par des idées provenant du domaine de Satan. […]
L'esprit de l'homme se corrompt, est frappé d'aveuglement et tombe dans les ténèbres, comme nous l'avons déjà dit, lorsqu'il adhère à une doctrine fausse, à une doctrine qui provient du monde et de Satan, à une doctrine opposée à l'enseignement révélé de Dieu, à celui du Christ, à celui de l'Eglise orthodoxe. On considère comme fausses les doctrines suivantes : la doctrine qui nie l'existence de Dieu ou athéisme ; la doctrine qui rejette le Christ et le christianisme et qui, tout en reconnaissant l'existence de Dieu, nie cependant toute relation entre Dieu et les hommes, ou déisme ; les doctrines qui ne rejettent pas à proprement parler le christianisme mais qui déforment la Révélation divine par des conceptions arbitraires, humaines et blasphématoires altérant l'essence du christianisme, en d'autres termes toutes les hérésies ; les doctrines qui ne repoussent pas directement le christianisme, mais qui rejettent les oeuvres de la foi ou la tradition éthique et ascétique de l'Évangile et de l'Eglise, tout en - acceptant les activités du monde sécularisé, et qui, par là, tuent la foi et dénaturent l'essence du christianisme. De même, l'idée moderne de « progrès » : en fait, celui-ci se manifeste surtout par la généralisation de l'immoralité et par une totale ignorance du christianisme, ce qui aboutit à une complète séparation d'avec Dieu.[…]
Il nous faut protéger l'œil de notre âme avec la plus grande vigilance. Tout ce que nous faisons en dehors de l'enseignement évangélique et en désaccord avec les lois divines laisse inévitablement une trace nuisible en nous. Tout acte, toute parole et toute pensée, aussi bien les bons que les mauvais, impriment nécessairement en nous leur marque caractéristique. Il faut le savoir et ne jamais l'oublier.
Ignace Briantchaninov, Les miettes du festin, Introduction à la vie ascétique de l'Eglise d'Orient, Editions Présence, Chapitre XLIX. p256-260.