Jeanne Saint Gilles a écrit :
Je ne comprends pas : si Bouddha est Saint Josaphat, pourquoi ce changement de nom? Il y a-t-il des icônes de ce Saint Josaphat? Est-il dans le synaxaire; qu'y raconte-on? Et à quel jour? J'ypense, est-il vrai qu'en Roumanie, il y a des fresques dans les Eglises avec le Pape, Bush père et Gorbatchov? On m'a raconté cela mais ça m'a paru un peu "capillo-tracté".
Saint Joasaph est célébré le 26 août chez les Grecs et le 19 novembre chez les Slaves.
Il en a été longuement question sur l'ancien forum, et même sur le forum actuel, et il semble qu'un autre site Internet ait largement plagié ce qui avait été écrit sur notre forum sans indication de source.
Si vous voulez connaître l'histoire de saint Josaphat, vous pouvez acheter le savant ouvrage du caucasologue Jean-Pierre Mahé:
La sagesse de Balahvar. Une vie christianisée du Bouddha
traduit du géorgien, présenté et annoté par Annie et Jean-Pierre Mahé
Editions Gallimard, Paris 1993 (collection Connaissance de l'Orient); disponible aussi sur amazon.fr
Quant à la formation du nom:
Bôdhisattva en sanscrit est devenu Bûdasâf en arabe, Iodasaph en géorgien, et Josaphat en français après passage par le grec et le latin.
Si les "frises des philosophes" vous paraissent difficiles à contempler dans la lointaine Roumanie, sachez que vous pouvez aussi les admirer dans pas mal de monastères grecs.
Photios Kontoglou le grand iconographe, lui-même auteur de plusieurs fresques de ce genre, décrivait cette vieille tradition de faire figurer aux côtés des personnages de l'Ancien Testament les philosophes grecs et la Sybille de Cumes dans son
Expression de l'iconographie orthodoxe: "Les anciens peintres d'icônes peignaient parfois ces sages païens sur le narthex des églises, parce qu'ils avaient prévu l'incarnation du Christ."
Toutefois, je vois mal le lien entre Gorbatchev (né en 1934) et le fait que l'on ait peint ces "frises des philosophes" sur les murs des monastères de Suceviţa et de Moldoviţa aux XVème-XVIème siècles.
Pour quitter la vieille tradition byzantine de peindre les philosophes de l'Antiquité sur les murs des églises (encore que cette tradition soit bien vivante, puisque j'ai pu contempler en 2003 à Athènes une icône récente des Trois Saints Docteurs saint Basile le Grand, saint Jean Chrysostome et saint Grégoire le Théologien où le peintre avait figuré en médaillon Socrate, Platon et Aristote) et pour revenir à saint Josaphat, voici ce qu'en écrivait le père Denis Guillaume (in
Quand les chefs d'Etat étaient des saints, Diaconie apostolique, Parme 1992, pp. 156 s.):
"Cela nous émeut de penser que Bouddha (560-483), si semblable au Christ par tant d'aspects de sa compassion envers les hommes et précurseur de notre monachisme par sa vie ascétique, ait reçu sous un aspect chrétien une indirecte canonisation de la part des Eglises byzantines."
Ce qui appelle deux remarques de ma part: la première est que cette canonisation indirecte vient surtout du fait qu'il a préparé ceux qui le suivaient à la divine Illumination quand les temps seraient venus; la deuxième est que cette canonisation n'a pas été seulement le fait de l'Eglise orthodoxe, mais aussi de l'Eglise papale puisque saint Josaphat a été inséré dans le Martyrologe romain au plus tard dans l'édition imprimée en 1583 (à la date du 27 novembre).
Dans un livre ahurissant de haine anti-chrétienne et que nous devrions tous avoir lu pour savoir à quelle sauce on prétend nous manger, l'ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris, cheikh Si Hamza Boubakeur, naturellement incapable de comprendre la vision chrétienne orthodoxe de l'Histoire du Salut, nous faisait le reproche de "manque de probité intellectuelle":
"On n'a pas hésité à insinuer qu'Aristote était chrétien avant la lettre ou pour mieux dire avant le Christ. Plus ahurissante encore la canonisation du sage hindou Çâkyamuni (Bouddha) par l'Eglise chrétienne sous le nom de saint Joasaf." (in
Traité moderne de théologie islamique, 2ème édition, Maisonneuve et Larose, Paris 1993, p. 405)
Le savant théologien de la Mosquée de Paris ne savait pas que le Bouddha avait au contraire rompu avec l'hindouisme pour adopter une forme plus exigeante d'ascèse personnelle. Je me demande surtout ce qu'il serait resté de l'héritage intellectuel et scientifique du monde ancien si c'était la foi de cheikh Si Hamza Boubakeur, et non le christianisme orthodoxe, qui avait eu à prendre en main la civilisation de l'Empire romain au IVème siècle.
Le rôle de saint Josaphat dans la préparation des peuples de l'Asie à la réception de la sainte Illumination du baptême a trouvé sa concrétisation au XIXème siècle quand les missionnaires orthodoxes russes sont entrés en contact aux confins de la Mongolie et de la Sibérie avec un bouddhisme qui s'était conservé pur. Pour citer un auteur catholique romain qui nous était hostile, Anatole Leroy-Beaulieu (in
L'Empire des tsars et les Russes, Robert Laffont, Paris 1990, pp. 1347 s.; réédition de l'édition de 1898):
"Le bouddhisme, en Europe du moins, n'offre pas la même force de résistance que l'islamisme. De toutes les religions professées dans l'Empire russe, c'est croyons-nous, la seule dont le nombre des adhérents diminue. Cela tient moins peut-être aux mystérieuses affinités de forme ou d'esprit, si souvent signalées entre le christianisme et le lamaïsme, qu'à l'isolement des tribus qui avaient apporté en Europe la foi du Bouddha. (..) Le bouddhisme ne s'est peut-être pas autant corrompu dans les glaces du Nord qu'au Tonkin ou au Japon. Les Bouriates de Sibérie ont parfois des lamas instruits, versés dans les livres sacrés. (...) A l'inverse des musulmans, les bouddhistes peuvent cependant parfois faire d'excellents chrétiens. Il en est qui paraissent avoir abandonné, en toute conviction, Siddhârta pour Jésus. D'anciens lamas, hommes instruits dans les lettres mongoles, se sont faits prêtres et sont devenus de zélés missionnaires du Christ. Une des choses qui paraissent le plus frapper ces Asiatiques, dressés par le bouddhisme même à l'admiration des rites, c'est la beauté des cérémonies chrétiennes. A en croire certains récits, la messe et les choeurs, que l'on a soin de chanter en mongol, feraient plus de conversions que la prédication."
Le Bouddha avait préparé son peuple à recevoir l'Illumination et tous les bouddhistes ne sont pas devenus chrétiens. Les justes et les prophètes de l'Ancien Testament avaient préparé leur peuple à recevoir l'Illumination et tous les Hébreux ne sont pas devenus chrétiens. Mystère de la liberté de l'homme.
Avant l'Incarnation, il peut y avoir des précurseurs. Après l'Incarnation, il n'y a plus que des imposteurs et de fausses révélations. Voilà une réflexion qui pourrait guider nos rapports avec les religions non chrétiennes.
Mais nous nous sommes beaucoup éloignés du bienheureux Augustin.