eliazar a écrit :4. Estimer l’ensemble de l’ex-Yougoslavie à 3 millions 500 mille orthodoxes – et la seule Roumanie à 19 millions – cela tient-il vraiment d’une prise en compte pragmatique des mêmes critères de déperdition de la foi (dûe au marxisme, etc.), appliquée de manière rigoureusement égale à chacune de ces deux Églises ?
Premièrement, une réponse à Eliazar qui trouvait mes chiffres trop optimistes pour la Roumanie.
Trouvé sur le site Internet athée
http://atheism.about.com/library/irf/ir ... omania.htm , une information qui va dans le sens de ce que j'ai pu observer sur le terrain et confirme ma réponse à Eliazar. Il s'agit des résultats d'un sondage fait en Roumanie en novembre-décembre 2001.
According to a nationwide poll conducted in November/December 2001, 1 percent of those polled said they go to church on a daily basis; 10 percent of those polled said that they go to church several times per week; 35 percent claim to go several times per month; 38 percent attend services once a month or less; and 15 percent do not go to church at all. The same poll shows that 88 percent of citizens say that church is the institution they trust most.
Ma traduction:
D'après un sondage national effectué en novembre/décembre 2001, 1% de l'échantillon disait aller à l'église chaque jour; 10% plusieurs fois par semaine; 35% plusieurs fois par mois; 38% une fois par mois ou moins; 15% ne vont pas du tout à l'église. Le même sondage montre que 88% de la population disent que l'Eglise est l'institution en laquelle ils ont le plus de confiance.
Donc, on arriverait à 46% de pratiquants réguliers (vont à l'église au moins 2 fois par mois), ce qui corrobore ce que j'ai pu observer sur le terrain. Il suffit de séjourner dans des grandes villes comme Cluj, Jassy, Sibiu, Timisoara, pour constater que les grandes églises sont fréquentées à tout moment de la journée, pour la vénération des reliques et des icônes, les confessions, les services de bénédiction, les parastases, etc. Evidemment, il y a beaucoup plus de pratiquants en Transylvanie et en Moldavie que dans le Banat et la Valachie, fait que ce sondage n'indique pas, mais cela va dans le sens de ma précédente réponse à Eliazar. Notons cependant qu'une proportion de 46% de pratiquants réguliers
par rapport à la population totale laisse bien supposer que l'écrasante majorité de celle-ci est au moins baptisée.
Maintenant, puisque l'interrogation d'Eliazar appelle une comparaison avec les pays des Balkans, je donne l'exemple intéressant de la Bulgarie, magistralement analysé par le professeur Jerzy Kloczowski dans le tome 13 de l'
Histoire du christianisme, Desclée, Paris 2000, p. 419.
On comptait officiellement (mais pas sur la base d'un recensement, sur celle d'estimations) 85% d'orthodoxes en Bulgarie en 1991-1992 , pour 0,8% de sans confession. Or, en 1990 (donc, après la chute du communisme), une enquête européenne sur les valeurs, citée par Jean-Paul Willaime p. 260 du même ouvrage, trouvait 66% de personnes sans religion (dont 8% d'athées convaincus) en Bulgarie, et 34% de personnes appartenant à une religion, groupe dans lequel il n'y avait pas seulement des orthodoxes, mais aussi des musulmans (13% de la population, dit-on) et d'autres chrétiens (plus ou moins 1% à l'époque), ce qui laisserait 20% d'orthodoxes. Joseph Longton, dans son très sérieux
Fils d'Abraham, Brepols, Turnhout 1987, donnait une estimation de 25,6% d'orthodoxes en Bulgarie en 1987. Serait-on passé de 20-25% en 1990 à 85% en 1992? Bien sûr que non. Cela veut simplement dire que dans les estimations de 1991-1992, on a plus ou moins compté comme orthodoxes tous les Bulgares qui n'appartenaient pas à une autre religion, selon l'équation, qui n'est plus vérifiée en pratique de nos jours, ethnie = religion. Les vrais chiffres, ce sont ceux de l'enquête sur les valeurs. L'Orthodoxie représente en réalité quelque 25% de la population de la Bulgarie, et j'espère ainsi avoir justifié les chiffres que j'ai donnés dans mon premier message de ce fil.
Puisqu'Eliazar me demandait aussi une comparaison entre les effectifs des pratiquants et non seulement entre les effectifs des baptisés, je signale que Kloczowski cite un sondage effectué en Bulgarie en 1996 qui aboutit à 2% de pratiquants réguliers (à comparer avec 46% en Roumanie en 2001). Or, dans les deux pays, le communisme a commencé en même temps et s'est écroulé en même temps: 1944-1989. Il est donc évident que le communisme n'a pu complètement détruire la religiosité que dans les pays où le passé récent (schisme de 1870 et hérésie phylétiste dans le cas de la Bulgarie) avait déjà très affaibli l'Eglise. Je sais que cette explication paraîtra irrationnelle à certains; et pourtant, je crois fermement que la grâce affermit et unit et que le schisme et l'hérésie affaiblissent et dispersent.
Sur un autre fil, M. Ni Hao Ma a aussi contesté mes chiffres sur la Biélorussie et la Moldova, avec des arguments pertinents qui méritent que je défende mon point de vue. Pour ce qui est de la Biélorussie, les mêmes estimations "optimistes" de 1991-1992 qui aboutissaient à 85% d'orthodoxes en Bulgarie, en trouvaient 25,2% pour la Biélorussie (contre 63,4% de sans confession). Le même enquêteur, Madame Zuchowska, faisant une estimation plus fine en 1995, arrivait à 2 millions d'orthodoxes en Biélorussie, soit 20%. Or, comme on sait que la Biélorussie fonctionnait comme "laboratoire de l'athéisme" sous le régime soviétique et que l'Ukraine, en revanche, connaissait un régime un peu plus libéral (surtout dans l'ouest), une proportion de 20% d'orthodoxes en Biélorussie serait cohérente avec les estimations de 25% en Russie et 34% en Ukraine.
Quant à la Moldova, l'estimation de 1991-1992 était de 34,7% d'orthodoxes pour 61,7% de sans confession. Comme, au sein de l'Union soviétique, la situation religieuse de la Moldova était plus proche de celle de l'Ukraine que de celle de la Biélorussie, il est probable qu'il doit y avoir aujourd'hui 35 à 40% d'orthodoxes dans cette ancienne province roumaine et ex-république soviétique.
Notons aussi que je donnais, sous réserve, une estimation de 300'000 orthodoxes en Grande-Bretagne, et que Mgr Kallistos (Ware), évêque de Dioclée en résidence à Oxford, vient de publier une estimation de 280'000 dans un article commandé sur le site religion.info de notre frère Jean-François Mayer. On concédera que je me suis trompé de peu... et à la hausse.
J'ai conscience que le chiffre de quelque 101 millions d'orthodoxes auquel j'arrive dans mes estimations peut paraître très inférieur aux 200, voire 300 millions, parfois annoncés par nos hiérarques dans les réunions oecuméniques où il est bon d'aligner des divisions fantômes. Ce genre de surévaluations est à mettre dans le même panier que la revendication de la diaspora copte selon laquelle l'Eglise copte représenterait 20% de la population égyptienne: le recensement de 1996 en trouvait 5,7%, et, de l'avis général, était fiable; alors pourquoi le contester?
Il faut bien admettre que le communisme a existé, que le schisme bulgare a existé, que le génocide oustachi a existé, que les pays de tradition orthodoxe ont une démographie étale depuis plusieurs décennies, et que tout cela joue. Continuer à avancer des chiffres de 200-300 millions, c'est nier ces quelques réalités dérangeantes que je viens de rappeler.
Je dois pourtant signaler que mon estimation de 101 millions de baptisés orthodoxes dans le monde se situe entre celle du gouvernement des Etats-Unis actuellement (96 millions) et celle des éditeurs du
Liturgicon publié à Beyrouth en 1990 (106'106'900, mais les effectifs pour les Balkans et le patriarcat de Constantinople apparaissent visiblement gonflés).
Je sais que ces chiffres vont déplaire à beaucoup de mes coreligionnaires qui aimeraient bien que nous soyions les 200 ou 300 millions revendiqués, mais ce sont bien eux qui dessinent l'image la plus fidèle de la réalité.
Et ne serait-il pas plus utile d'avoir une action apostolique jusqu'à atteindre ces 200 ou 300 millions de fidèles dans la réalité que de les revendiquer en paroles sans faire la moindre mission?