Saints d'Anglettere avant 1100 [livre]

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Jean-Mi
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Saints d'Anglettere avant 1100 [livre]

Message par Jean-Mi »

souscrivant à la collection de la Henry Bradshaw Society depuis quelques années, j'ai récemment reçu le dernier opuscule de la prestigieuse maison d'édition d'anciens textes liturgiques.
En passant, je pleurnicherai encore une fois sur l'absence intégrale des Orthodoxes dans ce domaine. Quand on republie des textes occidentaux, dans 100% des cas, l'auteur Orthodoxe commet la bourde impardonnable de republier les Bollandistes & consorts. Sans vérifier les manuscrits. Quand on sait le nombre de falsifications produites par l'ECR depuis sa fondation au 9ème siècle, on mesure la folie que c'est. Mais là n'est pas le sujet.

le nouveau livre s'intitule "Saints in English kalendars before A.D. 1100", par Rebecca Rushforth - désolé, je ne suis pas dans le même club de bridge qu'elle, je ne sais donc vous donner son CV ;-)

elle passe en revue les études des éditions des 24 calendriers encore existant de cette période. Elle donne les grandes lignes des résultats de paléographie (ce qui n'est même pas utilisé en byzantium de nos jours pour s'assurer de l'authenticité). Les auteurs, études, manuscrits & lieu de conservation desdits ouvrages, tout est mentionné. Un nombre non-négligeable de ces calendriers a d'ailleurs été réédité par la HBS.
J'insiste, elle donne les coordonnées des manuscrits, on a donc la possibilité de tout vérifier. Et grâce à Internet, tout ce qui est à Oxford ou Cambridge (où l'essentiel est) est accessible. Hélas pas ce qui est à Paris et autres BM de France ou à Bruxelles, la plupart des antiques ouvrages y restant enfermés et accessibles aux seuls chercheurs officiels disposant d'une accréditation.

un manuscrit très intéressant - édité en 2 volumes par la HBS - est le "Leoffric Missal" - un manuscrit vieil-anglo-saxon en théorie, mais composé de 3 "couches" de rédaction. La partie la plus importante et ancienne, la Liturgie avec toutes ses particularités et prières, est de la fin des années 800 et a été rédigée dans le nord de la France. Je mettrais ma main à couper que Corbie ou une autre abbaye "royale" de cette partie du pays sont les meilleures candidates : vu la renommée de leurs scriptoriums, elles avaient bien des commandes hors diocèse voir d'autres Églises locales. Il est certain que les attributions sont affaire d'experts, mais quand on voit au 31 janvier dans certains de ces calendriers sainte Bathilde et sainte Aldegonde de Maubeuge, qui manquent même dans les calendriers du sud de la France, d'Italie et de Germanie, et sont omni-présentes dans ceux du nord de la France et de Belgique, on comprend mieux comment ces experts font le recoupement.

ces vieux calendriers sont aussi un indice de la réalité de tel ou tel saint dont on ne trouve pas de trace historique - les faux étant légion, c'est utile, je trouve.
On retrace aussi via ces calendriers l'histoire d'une abbaye: les consécrations d'église, élévation de corps de tel ou tel membre de l'abbaye, tout cela ramène à la vie d'alors. On "voit" tel monarque en prière en tel lieu, alors que l'histoire officielle nous le dit loin du Christ, on "voit" tel renégat en soutane s'emparer d'un titre pour s'enrichir et vivre dans la fainéantise (voir le post du Lecteur Claude sur la situation dans l'OCA et ailleurs, nil novi sub sole..). Les notes marginales, les ajouts au texte, voir les effacements (la science paléographique a un boulot de fou avec ça), tout rapporte la vie de nos Pères et Mères. J'aime.
On voit aussi le basculement quand les Normans sont venus envahir les Anglo-Saxons, jusqu'alors Orthodoxes : un tas de gredins ensoutanés se retrouvent d'un coup "saints". Un de ces Psautier contient même, écrit sur l'emplacement d'une ancienne prière grattée, un "charme norvégien", autrement dit une formule de magie contre un problème donné. Un vrai basculement se lit aussi, dans les textes d'après 1066. Mais comme ils ont conservé une partie importante de "l'avant", ce n'est pas suffisamment visible que pour provoquer un choc salutaire. C'est probablement le but visé par ceux qui ont manigancé tout cela.
Mais je ne peux pas généraliser - un monastère situés sur les marches du Pays de Galles a réalisé un calendrier après ce Schisme où rien d'hérétique n'était repris, et où par contre on trouve quantité de grands saints insulaires si importants à leur époque et si méconnus aujourd'hui, comme saint Colomban de Luxeuil (21 novembre) ou saint Columkill d'Iona (9 juin), pères de la renaissance de la Foi chez nous au 7-8ème siècles.

Comme mon vieux missel de Corbie que je ressors à chaque fête d'un saint d'ici, j'ai dévoré cet ouvrage et il me servira pour replacer à leur juste place dans mes propres textes tel ou tel saint déplacé on ne sait trop pour quoi, voire oublié. Puis tenter de mettre la main sur les copies de ces rééditions : elles contiennent bien des richesses.

à titre d'exemple, une copie basse qualité de janvier sur les 8 premiers calendriers choisis :
http://home.scarlet.be/orthodoxia/files ... chism1.jpg

le site de la HBS :
http://www.henrybradshawsociety.org/

et la page du livre chez l'éditeur:
http://www.boydell.co.uk/70252233.HTM

à titre d'information, les membres souscripteurs ont une importante réduction sur tous les livres (en commandant via le secrétariat HBS), et les nouveautés sont envoyées sans frais. J'ai pas encore regretté ce choix.
Le premier livre reçu était le Missel de Corbie. Il m'est arrivé la veille du jour où je partais en pèlerinage à sainte Bathilde et sainte Rolende à Corbie... un beau cadeau que j'ai aussitôt utilisé sur place
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Je signale au passage qu'une des particularités de l'Angleterre d'avant la conquête normande de 1066 était d'être probablement le seul pays en Europe occidentale qui utilisât sa langue vernaculaire, et non le latin, comme langue de l'administration.

Rappelons qu'il a fallu attendre 1539 pour que le latin soit définitivement interdit dans les actes notariés en France.

Il est probable que si l'Angleterre n'avait pas eu une longue expérience d'utiliser sa langue vernaculaire, et non le latin, avant la conquête normande, l'anglais n'aurait pas survécu aux quelque trois siècles (1066-1362) où le français fut seule langue officielle en Angleterre.

Je signale que l'équivalent anglais d'Assimil (en moins bien qu'Assimil quand même, mais avec un plus grand nombre de langues à disposition), a publié un Teach Yourself Old English qui est permet de s'initier au vieil-anglais dans son stade final (= le vieil-anglais de l'administration et de la littérature sous Edouard le Confesseur, juste avant la conquête normande).
Jean-Mi
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Message par Jean-Mi »

lecteur Claude a écrit :Je signale que l'équivalent anglais d'Assimil (en moins bien qu'Assimil quand même, mais avec un plus grand nombre de langues à disposition), a publié un Teach Yourself Old English qui est permet de s'initier au vieil-anglais dans son stade final (= le vieil-anglais de l'administration et de la littérature sous Edouard le Confesseur, juste avant la conquête normande).
gé-ni-al! merci du tuyau!
j'ai plusieurs dictionnaires (en PDF) de Olde English et même de Saxon, mon origine flamande me permet de découvrir le sens de bien des tournures, mais cela reste du décryptage ardu.
un rêve idiot serait de pouvoir lire dans le texte certaines des compositions poétiques de saint Alfred le Grand, roi des Angles
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Mi a écrit :gé-ni-al! merci du tuyau!
j'ai plusieurs dictionnaires (en PDF) de Olde English et même de Saxon, mon origine flamande me permet de découvrir le sens de bien des tournures, mais cela reste du décryptage ardu.
un rêve idiot serait de pouvoir lire dans le texte certaines des compositions poétiques de saint Alfred le Grand, roi des Angles

En tout cas, à voir les textes que je vais vous poster maintenant, on ne peut douter que la connaissance du flamand soit plus utile que celle de l'anglais actuel pour comprendre le vieil-anglais.

Commençons d'abord par un devinette du Livre d'Exeter (Xe siècle) que j'avais postée le 6 décembre 2007 dans le fil «Il y a aussi des orthodoxes en Macédoine» sur l'origine du mot «valaque»:


Hwilum feorran broht
wonfeax Wale wegeð on þyð
dol druncmennen, deorcum nithum,
waetedð in waetre, wyrmeð hwilum
faegre to fyre; me on faeðme sticaþ
hygegalan hond, hwyrfeð geneahhe,
swifeð me geond sweartne.


Traduction en anglais moderne (Professeur David A.E. Pelteret, Slavery in Early Medieval England, Boydell, Woodbridge 1995, p. 51) :

Sometimes a dark-haired Welsh-woman, brought from afar, a foolish drunken servant-girl, on dark nights lifts and presses me, wets me in water, sometimes warms me well at the fire; sticks into my bosom her wanton hand, turns me around often, sweeps across my blackness.

Traduction en français (Professeur Jean-Pierre Poly, Le chemin des amours barbares, Perrin, Paris 2003, p. 230) :

« Parfois, une esclave aux cheveux noir corbeau, amenée des lointaines Galles, m’étreint et me berce ; servante sotte et saoule, dans l’obscure nuit, elle m’emplit de liquide et m’échauffe près du foyer luisant ; sur mon giron elle place une main lubrique et tortille, elle me presse contre sa pente brune. »


Mais maintenant, pour vous faire plaisir, voici un poème d'Alfred le Grand, roi de Wessex, reproduit dans la méthode d'auto-apprentissage du vieil-anglais, Mark Atherton, Teach yourself Old English, Hodder Education, Londres 2006, pp. 230 s.

Texte original en vieil-anglais:

Hwæt synt nu þæs foremeran þæs wisan goldsmiðes ban Welondes? Forði ic cwæð “þæs wisan” forþy þam cræftegan ne mæg næfre his cræft losigan, ne hine mon ne mæg þonne eð on him geniman ðe mon mæg þa sunnan anwendan of hire stede. Hwær synt nu þæs Welondes ban, oððe hwa wat nu hwær hi wæron ?

Traduction en anglais moderne par le professeur Atherton:

What became of the bones of Welund the famous wise goldsmith? The reason I say “the wise” is that you cannot ever deprive the artist of his art; nor could you deprive him of it any more easily than you could turn the sun from its track. Where now are the bones of Wayland, or who knows now where they were?

Ma traduction au carré d'après le traduction d'Atherton:

«Que sont devenus les ossements de Wieland, le célèbre orfèvre empli de sagesse ? Je l'appelle « sage », parce que vous ne pouvez jamais priver l’artiste de son art, pas plus que vous ne pouvez changer la marche du soleil. Où sont maintenant les ossements de Wieland, ou qui sait maintenant où ils sont ?»
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
(...)

Mais maintenant, pour vous faire plaisir, voici un poème d'Alfred le Grand, roi de Wessex, reproduit dans la méthode d'auto-apprentissage du vieil-anglais, Mark Atherton, Teach yourself Old English, Hodder Education, Londres 2006, pp. 230 s.

Texte original en vieil-anglais:

Hwæt synt nu þæs foremeran þæs wisan goldsmiðes ban Welondes? Forði ic cwæð “þæs wisan” forþy þam cræftegan ne mæg næfre his cræft losigan, ne hine mon ne mæg þonne eð on him geniman ðe mon mæg þa sunnan anwendan of hire stede. Hwær synt nu þæs Welondes ban, oððe hwa wat nu hwær hi wæron ?

Traduction en anglais moderne par le professeur Atherton:

What became of the bones of Welund the famous wise goldsmith? The reason I say “the wise” is that you cannot ever deprive the artist of his art; nor could you deprive him of it any more easily than you could turn the sun from its track. Where now are the bones of Wayland, or who knows now where they were?

Ma traduction au carré d'après le traduction d'Atherton:

«Que sont devenus les ossements de Wieland, le célèbre orfèvre empli de sagesse ? Je l'appelle « sage », parce que vous ne pouvez jamais priver l’artiste de son art, pas plus que vous ne pouvez changer la marche du soleil. Où sont maintenant les ossements de Wieland, ou qui sait maintenant où ils sont ?»

Mais une question se pose: y a-t-il un lien entre Wieland, le forgeron-magicien de la tradition germanique, et Woland, l'autre nom de Satan dans le Maître et Marguerite (Мастер и Маргарита) de Michel Boulgakov? Y a-t-il eu en Occident une démonisation de la figure de Wieland qui aurait influencé Boulgakov?
On sait que l'inculturation du christianisme ne s'est pas passée avec la même douceur en Europe occidentale qu'en Europe orientale. Ce n'est pas par hasard si la chasse aux sorcières des XVIe-XVIIe siècle, véritable répression des dernières traces du paganisme rural que l'on avait toujours regardé avec indulgence, et ses dizaines de milliers de morts, est restée limitée aux pays de tradition protestante et catholique romaine et n'a pas débordé dans les régions restées fidèles à l'Orthodoxie. Peut-être, lors de cette phase, a-t-on diabolisé jusqu'à la figure assez peu inquiétante du forgeron Wieland?


N.B.: L'objectivité commande toutefois de signaler que la chasse aux sorcières a surtout fait régner la terreur dans les pays protestants et les pays catholiques autres que l'Espagne, l'Italie et le Portugal. En effet, dans ces trois pays, l'Inquisition a limité les effets de la chasse aux sorcières. Bien qu'elle soit à nos yeux le symbole même de l'intolérance et de la persécution, l'Inquisition avait toutefois le mérite de suivre une procédure et de ne pas céder à l'arbitraire absolu, contrairement à certains tribunaux séculiers. C'est d'ailleurs aussi une leçon à méditer que c'est un pouvoir fort, un pouvoir qui se voulait absolu, un pouvoir qui pouvait parfois ne pas tenir compte de l'opinion publique, le pouvoir du roi Louis XIV, qui décida qu'il n'y aurait désormais plus de poursuites pour sorcellerie dans le royaume de France (édit de 1682). En revanche, dans les faibles princpautés germaniques, dans la Pologne de l'anarchie organisée du liberum veto, dans les colonies américaines déjà donneuses de leçons et dans les libres cantons suisses, où l'on devait bien tenir compte de l'opinion publique, la chasse aux sorcières se poursuivit encore pendant un siècle: la chasse aux sorcières de Salem, en Nouvelle-Angleterre, eut lieu en 1692 (inspirant bien plus tard la pièce célèbre d'Arthur Miller, The Crucible); la dernière exécution de sorcière en Europe protestante fut celle d'Anna Göldin à Glaris en 1782, et la dernière exécution de sorcières en Europe catholique eut lieu en Pologne en 1793 (voire en 1811 si l'on admet le cas de Barbara Zdunk comme un procès en sorcellerie dissimulé en procès pour incendie volontaire). La liberté apparaît donc ainsi comme étant parfois la liberté de perpétuer les supersitions les plus fantaisistes, de calomnier son prochain et de l'envoyer à la mort sur de fausses accusations. Belle réflexion sur Léviathan...
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