Elisabeth a écrit :Il me semble que d’après notre conception théologique du monde, la chute ne peut pas être envisagée uniquement comme une image de notre chute personnelle, mais doit nécessairement correspondre à un moment réel ayant eu pour conséquence la modification de la nature humaine.[...]
Alors, si la chute est historique, quand la situons –nous ?
En repartant de quelques pistes qu' Elisabeth , Georges , Barbare du nord ont lancées dans les messages précedent voici quelques réflexions sur cette question.
La genèse est un récit théologique. Le texte nous renseigne sur l’homme pris ontologiquement. Et son histoire se déroule dans un cadre paradisiaque extérieur aux conditions dans lesquelles la science est susceptible de mener son enquête, dans une autre temporalité que celle mesurable par la science historique et physique. Le récit de la genèse n’a pas de chronologie mais une hiérarchie. Elle ne connaît pas de jour premier
"prote" mais elle connaît le jour un
"hemera mia" .
Elle connaît implicitement la création ex nihilo mais elle ne connaît pas de commencement au sens historique du Big Bang ;.
(Big bang qui d’ailleurs commence à 10 puissance moins 43 , car au-delà les astrophysiciens butent sur le mur de Planck et n’ont pas de théorie quantique de la gravité qui pourrait nous renseigner sur un avant big bang.)
Elle connaît le
"en arkhei" : « dans son principe Dieu créa ». Principe est plus juste que commencement car il suppose une continuité de la création comme énergie divine qui la maintient en chaque instant. La création n’est pas un coup de baguette divine, mais une durée d’où peut naître le temps comme catégorie conceptuelle a priori. . Lafaye écrit :
« les principes et les éléments d’une chose sont ce qui la font être, les causes ou les fondements de son existence. Principe a une signification plus étendue : il exprime tout ce qui préexiste à un objet et lui donne l’être. ». Ou encore pour Leibniz, le principe de raison suffisante est celui
« en vertu duquel nous considérons qu’aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement. » L’expression
"en son principe" montre bien que le monde s’origine continuellement en Dieu.
(Jean-Louis Palierne avait parfaitement raison de relever que « la mort n'est pas devenue un "principe" de notre nature » elle n'en est qu'un "accident") .
Le temps du récit de la Genèse n’est pas celui du
"Khronos" mais celui de
"l’aïôn", celui des réalités spirituelles. Et vouloir faire coïncider les deux est une erreur. Le concordisme essaie de pénétrer vainement
"l’aïôn" avec les outils du
"Khronos" et les similitudes sont trompeuses. Le récit de la Genèse se lit dans la prière à la lumière des Pères et non pas avec un manuel d’anthropologie ou d’astrophysique.
La paléontologie peut nous décrire l’homo habilis et en retracer l’ évolution à partir d’un stade qui n’est plus l’archétype fait à l’image de Dieu et à sa ressemblance, mais l’anthropos au stade ultime d’un processus d’involution déclenché par la chute. Elle étudie alors l’homme dans ce nouveau contexte et suit son évolution en prise avec de nouvelles modalités bien différentes des modalités paradisiaques décrites par les pères. Tout l’univers a été mis en cohérence avec le nouvel état dans lequel Adam tombait, car Adam récapitulait en lui la totalité de l’univers
.(La science nous indique que nous sommes composés de 10 puissance 29 quarks et électrons qui se trouvaient dissociées dans la purée de particules élémentaires. Mais Chuuuuuut ! Pas de concordisme s’il vous plait)
Saint Irénée par exemple nous dit que
« Dieu pouvait dès le commencement, donner à l’homme la perfection, mais l’homme était incapable de la recevoir, car il n’était qu’un petit enfant. » Quand les Pères parlent de l’enfance de l’homme, il s’agit bien là d’une enfance spirituelle et non pas d’une enfance biologique et historique.
Le commentaire que donne Jean Damascène sur le paradis(cf ci-dessous) montre bien que les Pères et l’Ecriture ne le situaient pas dans un lieu et temps accessibles à la connaissance historique, mais qu’il s’agit bien de réalités spirituelles.
Ainsi, pour répondre à la question d’Elisabeth sur l’historicité de la chute, nous pouvons dire que le récit de la chute n’est pas un récit mythologique qui ferait de la chute le prototype de notre chute personnelle à chacun mais
qu’elle se déroule réellement dans une temporalité spirituelle ante-historique qui échappe complètement à la recherche scientifique.
Beaucoup de choses spirituelles sont de cet ordre. L’eau du baptême peut être analysée par tous les moyens, on n’y trouvera pas une substance de régénération de notre nature ; elle n’est pas un élixir de jouvence.
De même l’analyse chimique du pain et du vin après l’épiclèse ne donnera jamais un résultat différent de celui d’avant l’épiclèse.
Nous voyons bien que pour la foi ce sont les réalités spirituelles qui pénètrent les réalités naturelles et sensibles.
Et maintenat, place à St Jean Damascène : la foi orthodoxe ed de l’Ancre
Livre II chap. XI
Le Paradis.
Dieu, allant modeler l’homme, de la création visible et invisible, «à l’image et à la ressemblance», comme un roi et seigneur de la terre et de ce qu’elle contient, établit d’abord un royaume pour qu’il y passât une vie bienheureuse de félicité. C’était le divin paradis, planté par la main de Dieu en Eden, dépôt de toute délice et de toute joie du coeur (Eden veut dire volupté). Il était à l’Orient dans la région la plus élevée de la terre; L’air y était le plus doux, le plus léger et le plus pur. Orné de plantes perpétuellement en fleurs et au parfum exquis, baigné de lumière, il dépassait en beauté toute idée qu’on puisse s’en faire avec nos sens; contrée réellement divine, c’était le pays digne de celui qui était l’image de Dieu, où ne séjournait nul être dénué de raison mais seulement l’homme façonné par les mains divines.
En son milieu était le bois de vie, planté par Dieu, et le bois de la connaissance. Ce dernier était une sorte d’épreuve, d’exercice et de test de l’obéissance et désobéissance de l’homme; d’où son nom de bois de la connaissance du bien et du mal. Ou bien il donnait à ceux qui le mangeaient la vertu de connaître leur propre nature, ce qui est un bien pour les parfaits, et un mal pour les imparfaits et leur désir avide; nourriture trop solide pour qui est encore tendre et habitué au lait. Le créateur notre Dieu, voulait que nous soyons sans nul souci, ni troublés par mille objets, ni que la vie nous fût un sujet d’anxiété toutes choses qui échurent à Adam. Car il goûta de l’arbre, il connut qu’il était nu et se fit des ceintures avec des feuilles de figuier. Avant d’y goûter « ils étaient nus tous deux, Adam et Eve, et n’éprouvaient aucune honte» ; c’est de cette impassibilité que nous voulait Dieu, car c’est là le sommet de l’impassibilité, et qu’en outre, délivrés des soucis, nous ayons un seul travail, chanter sans fin ni cesse le créateur, comme les anges; et que nous vivions dans la douceur de sa contemplation en lui remettant le soin de nous-mêmes. C’est ce qu’il nous a déclaré par le prophète David : «Remets au Seigneur ton propre soin et il te nourrire» (Ps.44-23). Et dans les Evangiles, enseignant ses propres disciples, il nous dit : «Ne vous mettez pas en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez» (Mat. 6-25) et encore: «Recherchez le Royaume de Dieu et sa justice et toutes choses vous seront données en plus». (ib. 33) et à Marthe : «Marthe, Marthe, tu te fais du souci et du trouble pour beaucoup de choses: une seule chose est nécessaire, Marie a pris la bonne part et elle ne lui sera point ôtée». (Luc. 10-14.) Cette part, c’est de s’asseoir à ses pieds et d’écouter ses paroles.
Le bois de vie était le bois ou bien capable d’opérer la vie, ou bien donné seulement à ceux qui étaient dignes de vie, non destinés à la mort. Certains ont entendu le paradis comme sensible, d’autres comme intelligible. Cependant, me semble-t-il, puisque l’homme est créé avec des sens et un intellect, tel devait être son sanctuaire très saint, sensible et intelligible, et possédant ces deux polarités. Avec son corps l’homme habitait une contrée divine et de la plus extraordinaire beauté ainsi que nous l’avons décrite; avec son âme il vivait en un lieu sublime et de toute beauté, demeurant en Dieu qui demeurait en lui et lui faisait un vêtement splendide; car il était entouré par la grâce, dans le délice du seul fruit suave de la contemplation, nourri par elle comme un autre ange; c’est d’ailleurs pour cela qu’il est digne d’être appelé le bois de la vie. C’est une vie que la mort ne tranche pas qui est donnée par la douceur de participer à Dieu à ceux qui la reçoivent. C’est cela aussi que Dieu a appelé aussi : tout bois : «De tout bois qui est dans le paradis vous mangerez en nourriture».
C’est lui ce tout dans lequel et par lequel tout subsiste.
Le bois de la connaissance du bien et du mal c’est la pénétration de contemplations difficiles c’est-à-dire la sur-science de sa propre nature qui d’elle-même révèle la magnificence du Demiurge. Elle n’est bonne qu’à l’homme parfait, tourné vers la contemplation, qui ne craint pas de chute ni de retournement parce qu’il a progressé vers cette contemplation en s’affermissant avec le temps. Elle ne l’est pas au contraire à celui, encore enfant, qui brûle de s’élancer; il manque de l’épreuve du temps et d’une base plus ferme, plus solide, dans le souci assidu du seul bien, tiré qu’il est par les soins du corps et distrait par lui.
Je crois donc que le paradis avait ces deux aspects et que la tradition de nos Pères théophores, (ils enseignaient de l’une et l’autre façon) est vraie, on peut comprendre, avec ce : tout bois, la surconnaissance de la puissance divine venue à partir des choses créées; le divin Apôtre dit : «Les choses invisibles de Dieu sont perçues par l’intellect à partir des faits depuis la création du monde» (1.Rom. 1,20.). De toutes ces intuitions et de ces contemplations, celle qui nous concerne, celle de notre constitution, je veux dire, est par nature la plus élevée ; David le dit: «Ta connaissance de moi est admirable.» (Ps. 138-6) c’est-à-dire de ma structure. Cette science était dangereuse pour Adam, tout frais encore modelé, pour la raison que nous avons dite.
Le bois de la vie c’est la pensée divine inhérente à tout ce qui est sous nos sens, et la montée, à travers le sensible, à la cause créatrice et demiurgique du tout; ce qui est aussi appelé : tout bois ; c’est ce qui apporte la pleine et indivisible, l’unique partcipation au bien. Le bois de la connaissance du bien e tdu mal, c’est la nourriture sensible et délectable qui paraît douce mais qui en réalité jette celui qui la prend sous les coups du mal. Dieu dit en effet : «Vous mangerez pour nourriture de. tout bois dans le paradis». Il veut, je pense, dire ceci : que l’homme monte par toutes les créatures vers moi, le créateur, pour cueillir le seul fruit qui résume tous les autres, moi, la vie véritable ; que toute chose t’apporte pour fruit la vie, que ton existence propre soit ta participation à ma vie et tu deviendras alors immortel. «Du bois de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras point; le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort.» Par nature la nourriture sensible prend la place de ce qui s’est épuisé et elle s’élimine au lieu secret de corruption. On ne peut donc échapper à la corruption, dès lors que l’on a en partage la nourriture sensible.