lettre du Patriarche Alexis II de Moscou

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Jean-Louis Palierne
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Inscription : ven. 20 juin 2003 11:02

Message par Jean-Louis Palierne »

Pascal,

L’empire romain avait reçu, de l’empereur Dioclétien, une organisation administrative à deux niveaux. Il y eut donc 15 grands “diocèses” (ce n’est pas le sens actuel du mot), dont la taille moyenne était approximativement du même ordre que les états d’aujourd’hui. Ils ont constitué durant plusieurs siècles l’ossature de l’Empire. Puis il y avait des “provinces”, dont les capitales étaient appelées “métropoles”.

L’Église s’est coulée dans ce moule. Dans chaque province il y avait un évêque pour chaque cité, et ces évêques se réunissaient en un synode provincial sous la présidence de l’évêque de la métropole. Et de même au niveau du diocèse : un évêque présidait un synode diocésain (attention à ne pas confondre avec le sens qu’a pris ce mot à notre époque !)

En fait dans certaines régions de l’Empire, cette organisation n’était pas très stable. Trois, puis quatre, puis cinq sièges plus stables émergèrent, jouissant en particulier d’un droit de second appel dans les conflits canoniques : c’étaient Rome, Antioche, Alexandrie, Jérusalem et Constantinople (le premier appel dans les conflits canoniques était au métropolitain).

C’est l’empereur Constantin qui créa la ville de Constantinople (ce n’était alors qu’une petite ville du nom de Byzance) pour y établir la capitale de son Empire. Jusque là Rome était la capitale de l’Empire, et conserva dans l’Église le premier rang. L’Église décida, lors du 4ème Concile œcuménique réuni à Chalcédoine d’accorder à Constantinople la même préséance qu’à l’évêque de Rome, mais au second rang (donc une préséance par rapport aux trois autres patriarcats). Mais Constantinople, nouvellement créée, n’était pas à la tête d’un diocèse de l’Empire. Son évêque n’administrait que son propre diocèse.

Aussi le 4ème Concile œcuménique, réuni à Chalcédoine, décida-t-il de lui attribuer le privilège de consacrer les métropolites (et seulement les métropolites) de trois diocèses voisins : la Thrace, le Pont et l’Asie (comprenez l’Asie mineure, qui est maintenant la région côtière Ouest de la Turquie). Il pouvait ainsi jouir d’un droit d’appel égal à celui des autres patriarches. Mais les régions de ces trois diocèses, christianisées depuis les temps les plus anciens, et d’ailleurs de très antique civilisation, conservaient une vie propre très intense.

Il était de plus de coutume, et ce fut sanctionné par les canons, que les évêques d’une contrée devaient aider les Églises des contrées voisines, en cas de détresse, et aussi de pourvoir à l’installation d’un premier évêque dans les régions situées hors de l’Empire, donc hors métropole et hors diocèse. C’est ainsi qu’Alexandrie aida les débuts de l’Église d’Éthiopie, et Antioche ceux de la Mésopotamie. Le 4ème Concile œcuménique décida donc de charger l’évêque de Constantinople, promu patriarche, de consacrer directement les évêques des régions riveraines de la Mer Noire (on disait le Pont-Euxin) qui ne faisaient pas partie de l’Empire, et n’avaient donc ni métropoles ni diocèses.

C’est le sens de la phrase citée du canon 28 de Chalcédoine.

Ce canon est objet de dispute, car le patriarcat de Constantinople l’invoque pour consacrer des évêques sur toute la terre, sans d’ailleurs pour autant leur fournir l’appui et la stabilité que ne peut donner une organisation métropolitaine. Inversement le patriarcat de Moscou s’appuie sur une conception avantageuse de son “territoire canonique”. Il est certain que la glorieuse épopée missionnaire de l’Église russe lui crée des droits. Mais s’agit-il d’un “territoire canonique” ?

En ce qui concerne le territoire canonique de l’ancien patriarcat romain, dont le privilège métropolitain et diocésain (au sens antique) est devenu caduc depuis qu’il est devenu hérétique, on peut dire que le patriarcat œcuménique peut revendiquer un droit de tutelle de substitution sur ce territoire, mais :

1. Quel était le territoire canonique du patriarcat romain ? Certainement, oui, l’Italie du sud (ce qu’on appelait jadis “l’Italie suburbicaire”). Mais il ne semble pas que les autres diocèses d’Occident aient jamais reconnu un droit de second appel au patriarcat romain : l’Afrique et l’Italie annonaire (Milan et au-delà des Alpes) étaient fort jalouse de leurs autonomies respectives, et que dire de la Gaule ou de l’Ibérie !

2. Un canon dit que si un évêque administre un territoire plus de trente ans, ce territoire est à lui. C’est une sorte de prescription trentenaire. On peut supposer qu’existe aussi une prescription négative. Et un canon dit aussi qu’un évêque doit se porter au secours du voisin. Comment Constantinople, qui ne s’est jamais occupé d’un territoire pendant beaucoup plus de trente ans, et qui maintenant se soumet à l’émigration grecque, peut-il revendiquer ce territoire comme de droit acquis ? Et comment Moscou peut-il revendiquer le droit de fonder une métropole “locale de tradition russe” en Europe occidentale ?

C’est celui qui s’en occupera effectivement qui aura raison.

Cela dit, dans les questions de Pascal, je vois affleurer des argumentations que j’avais jadis rencontrées ailleurs... Je voudrais dire que pour entrer dans ce débat, il faut appartenir d’abord à la communion orthodoxe.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
pascal
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Inscription : mar. 22 juin 2004 15:59

Message par pascal »

Jean Louis,

merci de vos précisions, et j'aimerai en avoir davantage sur celles formulées en toute fin de votre dernier message, sur les argumentations rencontrées ailleurs et la communion orthodoxe.
Jean-Louis Palierne
Messages : 1044
Inscription : ven. 20 juin 2003 11:02

Message par Jean-Louis Palierne »

Je veux dire que les arfumentations et les références utilisées dans la discussion qui utilise le canon 28 du 4ème Concile œbuménique réuni à Chalcédoine, ont déjà été débattues il y a un certain nombre d'années lorsqu'il s'agissait de savoir qui allait assumer la responsabilité initiale d'une éventuelle Église propre à accueillir les Français convertis.

Constantinople ayant alors maladroitement voulu appliquer le canon 28, pensait en rirer argument pour étendre son souci paternel à l'Europe occidentale. Moscou voulant défendre le principe de son pouvoir canonique répandit l'idée que Constantinople, dans son ignorance, nous considérait encore comme des barbares.

Au sein de l'ÉCOF en particulier on en faisait matière à de grosses plaisanteries.

Constantinople aurait de bien meilleurs arguments canoniques à utiliser pour défendre ses prétentions sans froisser la susceptibilité des citoyens de l'Europe occidentale "en recherche d'orthodoxie". En particulier de se présenter comme un tuteur supplétif et provisoir cherchant à combler le vide laissé par l'hérésie romaine jusqu'à le construction d'une nouvelle Église vraiment orthodoxe sur les terres ainsi dévastées.

Mais quelle que soit la solution adoptée, il faut bien admettre que l'intervention d'une Église-Mère dans ce genre de situation ne peut consister qu'à aider à reconstituer une nouvelle hiérarchie locale. Et que c'est le fait d'avoir contribué de manière ^psitive qui crée les liens supra-métropolitains. Parce que l'Église russe a su au Japon instituer des évêques et une métropole; elle a le droit d'être considérer dorénavant comme l'Église-Mère de l'Église du Japon à laquelle nous souhaitons de nombreuses années.

En Europe occidentale il n'en était rien.. Les candidates à la dignité d'Églises-Mères se sont toutes repliées sur la tâche d'organiser la "diaspora" afin d'encadrer les immigrés. C'est celui qui fera le premier geste positif qui,aura raison. Le seul fait d'envisager la question sous le titre "organisation de la diaspora" est un aveu d'échec.. Il n'y a pas de diaspora en droit canon, il n'y a que la création d'Églises locales ouvertes à tous les Orthodoxes, quelles que soient leurs origines.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
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