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Publié : mer. 13 déc. 2006 20:18
par Jean-Louis Palierne
Diau ne nous a parlé que dans l’histoire, dans une situation historique. D’où l’immense intérêt d’étidier l’histoire des événements qui forment le Mystère du salut. L’Ancienne Alliance est périmée, mais elle nous apporte encore de nombreux enseignements. Ce sont des événements qui nous apportent la Révélation.
Avant d’être une science, l’histoire se présente comme une série d’événements. Elle devient un science lorsque l’intelligence humaine s’efforce de découvrir des enchaînements logiques entre les événements. Une grande tentation est de passer à l’étape suivante et de formuler des lois qui introduiraient une nécessité dans le déroulement des faits. Je crois que c’est une erreur profonde. Le plus grand échec de ce type de lois a été le marxisme. Marx avait cru pouvoir formuler des lois conduisant l’histoire vers le règne d’une organisation de la société humaine comme une gigantesque ruche. Ce modèle social a pu paraître satisfaisant un certain temps. Il est bien évident qu’il s’est effondré de lui-même, et après avoir commis beaucoup de crimes.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe aucune logique dans l’histoire. Il faut seulement être très prudent lorsqu’on essaye d’en tirer des prévisions. La véritable utilité de l’histoire pour les orthodoxes est de voir comment l’Église, qui est un corps vivant dont le Christ est le tête unique, a su affirmer les implications de la Tradition qui lui a été confiée par le Christ Lui-même. Si vous voulez vous atteler à cette tâche vous avez certainement un grand chantier devant vous et vous redrez service à beaucoup.
Publié : mer. 13 déc. 2006 22:37
par Anne Geneviève
Je vous répondrai plus longuement dimanche car là j'ai peu de temps. En attendant, je vous donne une mini-réponse en quelques mots. Ayant une formation d'historienne, j'ai été frappée de plusieurs choses qui me donnent à méditer.
Tout d'abord, reconstituer le passé est une tâche difficile et ce que l'on glane ainsi est toujours en deçà du réel. Pourtant l'expérience montre que lorsque la mémoire collective se perd ou même est combattue pour des raisons idéologiques, quelque chose se stérilise dans un peuple, un groupe, une communauté. Nous avons besoin de cette conscience d'être héritiers et je ne sais pas entièrement pourquoi.
Il existe une méta-histoire qu'on ne peut atteindre que par un patient travail historique comparatif et qui révèle un travail dans les profondeurs de la pâte humaine.
Et surtout, en s'incarnant, le Verbe de Dieu est descendu dans le temps des hommes, dans l'histoire des hommes et l'a transformée. Sans étude historique, comment en garder la mémoire et comment surtout mesurer la croissance de ce qui n'était au départ qu'un grain de sénevé ?
Publié : jeu. 14 déc. 2006 20:12
par Jean-Louis Palierne
Anne-Geneviève pose la question :
le Verbe de Dieu est descendu dans le temps des hommes, dans l'histoire des hommes et l'a transformée. Sans étude historique, comment en garder la mémoire et comment surtout mesurer la croissance de ce qui n'était au départ qu'un grain de sénevé ?
Oui, l’histoire de l’Église nous montre comment les Pères explicitent peu à peu le donné initial de la Tradition. Ils le font d’ailleurs toujours face à un gauchissement de ce donné par les hommes.
Mais lorsque Anne-Geneviève dit :
l
Il existe une méta-histoire qu'on ne peut atteindre que par un patient travail historique comparatif et qui révèle un travail dans les profondeurs de la pâte humaine.
La Grâce travaille dans la pâte humaine, mais tout ce que le Verbe voulait révéler aux hommes comme vérité a été remis à l’Église dans la Tradition écrite et non-écrite. Il n’y a pas de
développement de la foi chrétienne, contrairement à ce que pensait le cardinal Newmann. L’Église est un être plus réel que toute réalité humaine, sa Tête unique est le Christ, et elle apporte tout aux hommes, parlant au nom du Seigneur.
En ce sens l'histoire ne nous apprend rien de plus que ce que sait déjà l'Église.
Publié : jeu. 14 déc. 2006 20:26
par Ploscaru Mihaela
Jean Louis a écrit :"Il n’y a pas de développement de la foi chrétienne" bien sur que si, si tout est acompli en Christ, tout ne l'est pas en nous et ce me semble une attitude un peu psychorigide de dire que tout est déjà fait en l'homme..à moins que je ne comprenne pas bien auquel cas ma réponse est psychobêbête Mihaela ce qui n'est si inhabituelle !
Publié : jeu. 14 déc. 2006 21:20
par Anne Geneviève
Où avez vous vu que ce que j'appelle méta-histoire, Jean Louis, serait un développement dogmatique ? Je n'ai pas eu le temps de préciser les choses, je ne l'ai pas encore ce soir, mais je ne me place pas sur le plan du dogme dans ce fil de discussion. Vous ne pouvez pas nier que l'Eglise a commencé visiblement par une poignée de disciples à Jérusalem pour atteindre aujourd'hui en grande partie le "programme" tracé par le Christ à l'Ascension : il y a des chrétiens dans toutes les nations, même s'ils sont minoritaires. Cela a demandé du temps et des actes humains, y compris ceux des grandes explorations maritimes qui concourent ainsi au salut de l'humanité même si leurs protagonistes avaient d'autres buts conscients. Ce n'est qu'un exemple parmi mille autres.
Publié : jeu. 14 déc. 2006 23:15
par Jean-Louis Palierne
Je ne sais pas très bien ce que vous entendez par “méta-histoire”. Il n’y a pas d’au-delà de l’histoire. L’Évangile est prêché à tous les hommes de tous les temps, de toutes les cultures, de toutes les langues, de toute condition et de toute nation. Au-delà, après le jour du Seigneur, l’Apocalypse ne voit plus d’autel : il n’y a plus de nation. Dans ce temps présent, ne valorisons pas nos œuvres historiques, et ne valorisons pas non plus les conditionnements qui sont supposés orienter l’histoire.
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En rédigeant le message suivant, je vois que celui-ci prête à confusion parce que j’ai, dans ma précipitation, juxtaposé deux idées bien différentes. Dans l’au-delà de l’histoire, tel que nous le décrit le Voyant de l’Apocalypse, il n’y a plus d’autel, parce que il n’y a plus de ministère de médiation entre les hommes et Dieu. Il n’y en a plus besoin, la communion est immédiate. De plus il n’y a plus de distinction entre les hommes, ni langue, ni nation. Mais le l’avais dit d’une manière qui aurait pu laisser penser qu’il y a un lien de rapport à effet entre l’une et l’autre constatation. Non.
Publié : dim. 17 déc. 2006 20:02
par Anne Geneviève
Ce que j’appelle méta-histoire est plutôt une histoire dans l’histoire, la trace ténue mais visible que les hommes ne sont pas seuls à la faire et que Dieu est un acteur dans le devenir des hommes.
Bien entendu, on peut considérer que le temps n’est qu’un intervalle sans intérêt entre deux éternités et que seul compte le salut individuel. Je peux respecter ce parti pris mais je ne le partage pas. L’incarnation du Christ sanctifie le temps et précipite l’éternité en lui. Et si tout est donné d’un coup, tout est également déployé sur le temps.
L’histoire de l’Eglise ne se résume pas à l’explicitation du dogme et l’histoire de l’humanité n’est pas uniquement « pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot ». Ce qui me fait parler de méta-histoire, c’est que l’on voit les mêmes questionnements, les mêmes prises de conscience traverser au même moment des cultures diverses dont les contacts sont ténus mais, pour s’en apercevoir, il faut établir des chronologies comparatives, travail patient et humble. Un exemple ? La révélation du monothéisme – qui n’est pas encore la relation personnelle à Dieu, Abraham reste une exception, mais il est contemporain d’Hammourabi, roi de cette Babylone où l’on tend à rassembler ce qui était auparavant une perception éclatée et purement immanente du divin dans une figure unique et à percevoir sa transcendance. A la même époque, en Inde, est composé le Rig Veda qui contient les premières Upanishad, donc aussi les premières perceptions du divin comme un.
Un autre exemple ? Entre le VIIIe et le Ve siècles avant le Christ, on trouve dans toutes les cultures humaines un éveil au questionnement philosophique, à la conscience que les pensées du cœur sont plus importantes que les rites ou les actes extérieurs, et c’est vrai aux Indes, en Perse, en Grèce, en Chine, tandis que dans le monde juif c’est le temps des prophètes.
Cette coïncidence temporelle, ce signe que c’est bien l’humanité qui est globalement travaillée par l’Esprit Saint n’a pas cessé avec l’incarnation du Christ.
Publié : dim. 17 déc. 2006 20:19
par Jean-Louis Palierne
Mihaela,
Je crois que l’Évangile de ce jour, la parabole des invités à la noce, nous donne la mesure de ce qu’est l’histoire : Dieu fête les noces de son Fils et de l’Église, et il y convie tous les hommes, c’est-à-dire qu’il leur propose le salut par leur incorporation à l’Église. Mais un certain nombre de ceux-ci se sentent plus responsables de leur inscription dans le temps que de leur propre salut. Ils tergiversent, ils hésitent, ils ont leurs propres urgences : une paire de bœufs, une nouvelle terre, une nouvelle épouse… Alors Dieu convie aux noces de son Fils tous les marginaux, les vagabonds “en recherche”, tous ceux qui ne sont pas retenus, alourdis, par leurs préoccupations terrestres.
je crois qu’il nous faut nourrir une certaine irresponsabilité terrestre. Nous n’avons pas de mission historique à accomplir. C’est laSeigneur Lui-même qui s’en charge. Répondons seulement aux sollicitations que nous présente la Providence (qui peuvent être des responsabilités inéluctables). Mais n’ayons pas de programme de réformes, même de l’Église.
Publié : sam. 23 déc. 2006 16:10
par Anne Geneviève
Faut-il se désintéresser de l’humanité et de ses réalisations, de sa mémoire, de sa vie terrestre ?
Il y a toujours eu cette tendance dans l’Eglise, elle est souvent à l’origine des vocations monastiques et sans doute, ajouterais-je, exprime-t-elle la vocation personnelle des moines. Encore que les cénobites retrouveront dans leurs communautés un concentré des problèmes relationnels qui se posent à tout homme, mais glissons sur ce paradoxe.
Il est heureux que de telles vocations existent et fassent en somme contrepoids à la profusion extérieure.
J’ai le plus grand respect pour le monachisme.
Où je commence à me gratter la tête, c’est lorsque l’on veut généraliser cette vocation, considérer les fidèles non moines comme des chrétiens de seconde zone mais à qui l’on propose et, si possible, on impose de mener presque la même vie que dans un monastère, de traverser le monde sans rien en voir, surtout sans rien en penser, le travail n’étant qu’un gagne-pain pour élever ses enfants. Une telle perspective me glace car elle me forcerait à considérer comme un péché (non nommé dans les Evangiles, d’ailleurs) les plus innocentes de mes activités, à commencer par mon travail alimentaire puisqu’il touche par un bout à l’évaluation de la politique et par un autre aux études de marché, donc à l’économie, deux mamelles de l’histoire. Elle me glace encore plus parce qu’elle renverrait au néant, à l’inutile, toutes les réalisations des civilisations humaines, qu’elles soient scientifiques, artistiques, etc., sauf peut-être quelques arts réduits à la portion congrue parce qu’on a pu leur trouver une place dans la liturgie.
Je ne mets pas Rembrandt sur le même plan que les icônes mais il manquerait quelque chose à l’humanité si Rembrandt n’avait pu peindre son philosophe ou dessiner ce lion qu’on voit dans le métro sur les affiches de l’expo du Louvre.
Publié : sam. 23 déc. 2006 21:04
par Jean-Louis Palierne
Chacun de nous doit faire ce que Dieu attend de lui, en écoutant l’appel divin au fond de son cœur. Il y a des règles générales, ce sont les commandements de Dieu. Ce que Dieu attend de chacun de nous, nous ne pouvons le formuler en termes de règles générales.
De beaucoup d’hommes, Dieu attend une vie très ordinaire. Il appelle certains à des tâches plus importantes, la science, le pouvoir, la création artistique et bien d’autres choses. Il appelle certains à témoigner de leur foi en Lui jusqu’au sacrifice de leur vie. Mais une des caractéristiques de l’Église est que certains sont appelés à réaliser dans leur existence les prouesses du Royaume — Il ne s’agit pas d’une vie équilibrée et “concentrée” sur la vie intérieure, mais de tenter de réaliser dans la solitude la vie angélique sur terre et dès maintenant. Beaucoup de ceux qui s’y essayent n’y parviennent pas. Mais la vie authentique de l’Église se mesure à ce que beaucoup, parmi le peuple des fidèles, tentent cet exploit. Dieu accorde ses charismes à l’homme qui tente de répondre à son appel. Mais de celui à qui il a été beaucoup accordé, il est attendu beaucoup (c’est la parabole des talents).
C’est Dieu qui mène l’histoire des hommes. Nous ne serons pas jugé par la trace que nous croyons devoir laisser dans l’histoire. L’idée que nous pouvons nous faire de l’histoire est très exactement ce qu’on appelle l’idéologie. Beaucoup se croient investis d’une mission : faire enfin comprendre aux hommes que… et que… Ce n’est pas seulement dans le domaine politique que certains se croient investis d’une mission, c’est souvent aussi dans le domaine ecclésiologique. Beaucoup ont une idée précise de ce qu’il faudrait faire, un programme d’action, généralement appelé programme de “rénovation”. Et certains vont jusqu’au complot.
Si vos études géopolitiques étaient plus réalistes, elles incluraient un certains nombre de ces programmes et de ces complots qui existent autour de vous. Il est de coutume de nos jours de croire que les idéologies politiques n’ont aucune dimension “religieuse” et qu’elles ne sont déterminées que par l’évolution des rapports socio-économiques. Quand il est question d’autres problèmes, on dit qu’ils ne concernent que la “société civile” et non le débat politique. Et on s’étonne et on s’alarme de ce que le “retour du religieux” menace l’autonomie de la sphère politique. On parle alors du danger “communautariste”.
C’est une erreur. La politique et l’économie ne sont pas les deux mamelles de l’histoire. Elles n’en sont que les deux seuls aspects que l’on accepte de prendre en considération. Mais c’est la religion qui est le nerf de l’histoire. Si l’Islam pose problème, ce n’est pas pour des motifs politiques ou économiques, c’est parce qu’il est une hérésie. Pire qu’une ignorance religieuse, il procède d’une auto-mutilation spirituelle : alors que la Révélation chrétienne, trinitaire, fonde la notion de personne autonome, l’Islam, en régressant au Dieu unique, mutile la personne humaine.
L’art n’est pas réduit à la portion congrue parce qu’on lui a trouvé une place dans la liturgie, l’art “pour l’art” est l’autonomisation artificielle d’une dimension de la liturgie.
La religion peut être l’objet de complots. Heureusement ces complots sont multiples et incohérents, ce qui diminue leur efficacité.
Publié : mer. 27 déc. 2006 19:07
par Anne Geneviève
Jean Louis Palierne a écrit :Il est de coutume de nos jours de croire que les idéologies politiques n’ont aucune dimension “religieuse” et qu’elles ne sont déterminées que par l’évolution des rapports socio-économiques. Quand il est question d’autres problèmes, on dit qu’ils ne concernent que la “société civile” et non le débat politique. Et on s’étonne et on s’alarme de ce que le “retour du religieux” menace l’autonomie de la sphère politique. On parle alors du danger “communautariste”.
C’est une erreur. La politique et l’économie ne sont pas les deux mamelles de l’histoire. Elles n’en sont que les deux seuls aspects que l’on accepte de prendre en considération.
J'ai dit "deux mamelles" et pas "
les deux", mais je n'ai pas précisé combien de mamelles possède l'histoire ! Je ne pense pas d'ailleurs que quelqu'un puisse le déterminer... Je suis entièrement d'accord sur le fait que réduire les causes de l'histoire à ces deux aspects est une des stupidités de notre siècle. Et même du précédent. Et nous sommes bien d'accord sur l'importance du religieux dans l'histoire. Un malentendu pour des questions de langage ?
C’est Dieu qui mène l’histoire des hommes, dites vous. Oui, mais comme un berger et pas comme un général en chef. C'est à dire que cette pédagogie n'ôte pas un copeau à la liberté humaine, don de Dieu. Mais on peut percevoir la trace de son action et cela que j'appelais méta-histoire.
Nous ne serons pas jugé par la trace que nous croyons devoir laisser dans l’histoire.
Je ne serais pas si péremptoire mais nous ignorons tout de nos propres traces et c'est heureux. Cela dit, la trace que nous laissons devant le regard de Dieu n'est pas identique à celle que nous laisserons ou non dans les manuels des historiens.
En ce qui concerne les complots, je reprendrais volontiers la distinction que fait Massimo Introvigne entre "macrocomplot" généralisé, qui relève des légendes urbaines, et "microcomplots", au pluriel. Bien entendu, il existe des microcomplots en politique et sans doute aussi en politique ecclésiastique. Reste à voir leur extension, que je pense assez faible et leur efficacité. Jusqu'à présent, je suis plus inquiète de ce qui se passe à l'ONU, via le Parlement des religions et la tentative pour promouvoir une religiosité adogmatique universelle, que des opinions d'une pincée de Parisiens dispersés entre une dizaine de juridictions. Par rapport à l'Eglise, cela me semble plutôt du "nanocomplot" !
Vous dites :
La religion peut être l’objet de complots. Heureusement ces complots sont multiples et incohérents, ce qui diminue leur efficacité.
Nous sommes bien d'accord et c'est pourquoi je ne leur accorde pas vraiment d'importance.
Je n'ai pas parlé non plus de l'art "pour l'art".
Autonomisation artificielle d'une partie de la liturgie ? Je pense surtout que le besoin de beauté est inhérent à l'homme, même s'il est capable de générer de la laideur, hélas. Je n'ai pas de définition de l'art. Je voulais simplement dire que les canons de l'icône sont une chose, mais que Rembrandt a aussi sa place dans la cité.