ORIENTALISME ?

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Makcim
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ORIENTALISME ?

Message par Makcim »

J’entends ou lis souvent des meilleurs défenseurs de l’Orthodoxie des origines de notre Occident qu’ils n’ont surtout jamais eu, au grand jamais, le moindre goût pour un quelconque Orient et que leur cheminement jusqu’à l’Orthodoxie était plutôt de l’ordre d’une nostalgie des origines et qu’ils se sentaient enfin revenir « à la maison ».
Cette déclaration insistante et récurrente vise à juste titre évidemment d’abord à se débarrasser de tout soupçon d’exotisme de pacotille, puis à rappeler la légitimité d’un (ré)engagement dans l’Orthodoxie aussi étrange ou étrangère semble-t-elle aux petites mémoires et enfin à asseoir solidement une saine et juste ecclésiologie dégagée de la théorie folklorisante des deux poumons. Bien ! Tout cela est fort bon et je le partage.

Il n’empêche que quelquefois un soupçon me vient dont j’ai envie de vous faire part…
Voilà, nous passons pas mal de temps à scruter, analyser et dénoncer pêle-mêle dans ce qu’il est convenu d’appeler par commodité l’Eglise catholique :
Les erreurs de traduction des latins et leurs conséquences néfastes pour la vie spirituelle, les abus de pouvoir césaro-papistes et l’oubli non seulement de l’ecclésiologie orthodoxe mais de la séparation instituée par NSJC du temporel et de qui est à Dieu , les fâcheuses tendances mystiques doloristes et l’esprit moraliste juridique de leur conception du salut et de leur pastorale naguère « de droite » (pile) et aujourd’hui « de gauche » (face), les spécialisations monastiques compartimentées et quelquefois rivales, le peu de sacré de leurs liturgies etc. bref, l’éloignement des origines en tout domaine…
J’arrête là pour ne pas lasser mes frères et sœurs qui ne connaissent que trop tout cela, la liste étant fort longue…mais et c’est là que je voudrais en venir :


Et si nous nous trompions en cherchant l’origine de tous les maux dont souffre l’Occident déchristianisé dans cette Eglise fourvoyée et contaminée par l’hérésie ?
Et si cette Eglise romaine en perdition (du moins surtout en Europe) n’était que la version inéluctablement occidentale de l’Eglise ?
Et si donc tout ce que nous critiquons à juste titre des effets mauvais de conceptions et de concepts erronés n’étaient avant tout que production de l’ « esprit » occidental ?
Et si l’Eglise Romaine (dont le Protestantisme ne semble être que l’aboutissement logique) dans son évolution et son errance jusqu’à sa perdition n’était que le reflet d’une culture particulière ?
Et si nous inversions la perspective ?
Alors peut-être bien que nous aurions à réévaluer ces idées d’Orient et d’Occident…

Loin de moi l’idée de vouloir oublier notre patrimoine antique ou de dénigrer les valeurs de notre Occident depuis trop longtemps vilipendé par ces modernes confréries en tous genres de flagellants encagoulés jusqu’à l’aveuglement par leur mauvaise foi qui n’a d’égal que leur inculture et qui sévissent sans répit dans des médias politiquement corrects mais parfaitement stupides!

Oui notre Occident a ses qualités uniques et nous pouvons en être fiers.
Il n’empêche qu’il a aussi ses travers et quelquefois j’ai bien peur que tous les défauts dont nous sommes les premiers à pâtir avant quiconque, et que nous attribuons à l’Eglise Romaine ne soient que ceux de notre culture.
J’ai bien peur que ce soit cet esprit occidental qui ait déformé et défiguré cette église des origines.
Ce fameux modernisme si bien cerné et dénoncé par Jean Louis n’est-il pas constamment à l’œuvre en tout temps, à toute occasion et en tous lieux ? Allez voir du côté de ce qui se passe chez les Bouddhistes, vous verrez qu’il n’y a pas de « bande des quatre » mais que le même esprit occidentaliste et moderniste a tendance à vouloir s’y immiscer et y régner au grand dam et à l’inquiétude de ceux qui veulent préserver la substance et l’authenticité de l’enseignement de leur tradition. Ce sont les mêmes questions qu’ils se posent : Qu’est-ce qui doit être occidentalisé ? Qu’est-ce qui doit être préservé ?
L’esprit occidental est fort, efficace et sûr de lui malgré les apparences et particulièrement depuis qu’il se fonde, sans le moindre questionnement, sur le rationalisme, sur l’efficacité, la rentabilité, l’utilitarisme et sur des droits de l’homme et sur une démocratie égalitariste mis à toutes les sauces. Il a pénétré dans le monde entier, toutes les cultures, et tout ce qu’il touche est forcément soumis inéluctablement (ou presque) à l’influence du même moule…

voilà entre autres pourquoi par exemple il est bien sûr nécessaire de faire plus que de garder le contact avec les églises dites ethniques d’origine et pourquoi il ne faut pas être pressé de franciser à tout prix… Parce que, quoi qu’on dise, l’Eglise qui était et que nous voulons à nouveau nôtre a tout de même de nos jours un caractère oriental dont nous avons besoin (comment le nier quand on voit tellement de gens attirés par les voies de sagesse yogiques et bouddhiques ?) par un rapport au sacré réel (dans la vie quotidienne, dans la poésie, dans l’art, dans les rituels…) que nous avons perdu, par un rapport équilibré de l’esprit et du corps qui nous est devenu étranger (et il n’y a ni croissance ni élévation sans racines mais propension aux fantasmes et à l’erreur spirituelle).

Voilà pourquoi c’est aussi à mon humble avis une perte de temps de « dialoguer » avec les Catholiques, les Protestants ou je ne sais qui d’autre dont nous ne connaissons que trop l’esprit puisque c’est celui dont nous sommes déjà imprégnés et avec lequel nous n’avons que trop à faire en nous-même pour nous en déprendre.
Voilà pourquoi l’œcuménisme diplomatique est une voie de perdition qui ne peut que perdre l’Orthodoxie dans les filets du chasseur occidental réduisant tout au même, abolissant toutes les différences de tout ce qui lui est ou est devenu étranger ; c’est ce qu’il a fait pour toutes les cultures. Et c’est ainsi que des icônes se retrouvent au musée ou en décoration sur les murs comme les masques africains qui sont, à l’origine et dans leur usage légitime, les unes comme les autres, des objets de culte servant au rituel avant d’être des œuvres d’art « premier » ou « second »…

Bref je fatigue un peu excusez-moi … A vous donc maintenant si ça vous chante ! Et puis j’ai encore quelques réponses à écrire sur différents fils, j’y pense, bien que n’ayant pas beaucoup de temps. Comment faîtes-vous ?
Fraternellement.
Makcim
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Maxcim, vous posez en fait la question de l'oeuf et de la poule.

Est-ce la Papauté qui a engendré l'esprit occidental tel que nous le voyons aujourd'hui ou est-ce un esprit occidental pérenne qui aurait engendré la Papauté?

Il est vrai qu'il y a eu dans le christianisme latin dès le début une tendance au juridisme qui n'existait pas ailleurs. Il est vrai aussi que certains patriarches de Rome (même saint Léon Ier) ont développé très tôt des tendances à la prépotence. Mais tout ceci se retrouve ailleurs à d'autres époques.


Il y a en particulier un point qui m'incite à plutôt penser que c'est la Papauté qui a subverti la mentalité occidentale.

C'est le fait que la séparation de Rome d'avec l'Eglise du Christ ne s'est pas faite en un jour, mais au prix d'une véritable guerre civile dans la théologie occidentale. Il y a tout de même plus de 250 ans entre le concile de Francfort et le schisme définitif.

Je pense que les Eglises byzantines étaient mieux armées pour résister à tout et pour garder l'intégrité de la foi. Il est vrai aussi que la familiarité avec la langue grecque a pemis de les préserver de beaucoup d'erreurs qui ont accompagné la disparition des études grecques en Occident. Je concède donc que les Eglises locales d'Occident étaient moins armées pour faire face.
Mais il ne faut pas oublier non plus que la résistance de certaines de ces Eglises (je pense en particulier à l'Irlande) a été si longue que l'on peut légitimement douter que le catholicisme romain corresponde vraiment à l'esprit occidental.
Notons aussi que la résistance s'est poursuivie même dans le cadre du catholicisme romain: songeons à la lutte du sacerdoce et de l'Empire, qui montre bien que les empereurs germaniques, même filioquistes, ne pouvaient pas accepter les doctrines de Grégoire VII.
Antoine
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Message par Antoine »

La théologie d’Augustin légitime les croisades et l’inquisition . La souffrance de la Passion prime sur la Résurrection. Le Dieu de miséricorde devient satisfaction de vengeance, le don gratuit de l’amour devient prédestination arbitraire : Vous êtes en occident. "Occidere" = tomber succomber périr. L’occident a remplacé la foi par le système, l’universel par le centralisme, la synagogue par la papauté. Il crie Barabas et accuse Pilate. Il ignore la métanoïa. Mais en occident il y a aussi des orientaux. L'oriental regarde la croix illuminée par la résurrection. Il vit du Christ ressuscité, il voit le Christ triomphant sur la croix. Un Chrétien est oriental par définition parce que le Christ est l’orient. « Orient est son nom. » En tout homme luttent un occident et un orient. Son occident tombera, succombera, périra, son orient recevra la vie éternelle. La croix relie la terre au ciel, l’occident à l’orient.
Makcim
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Message par Makcim »

Merci d’avoir si bien pris le relais.
Bien sûr il y a toujours au bout d’un moment un phénomène de feed-back comme on dit en bon français et on ne sait plus ce qui est à l’origine de quoi, aussi les précisions et rappels historiques de Lecteur Claude sont-ils toujours éclairants et bien utiles à remettre les pendules à l’heure ; on ne saurait s’en passer.
J’apprécie également le beau condensé d’Antoine on ne peut plus éloquent et juste.

Il m’est arrivé souvent jusqu’il y a peu de prendre conscience d'une manière aiguë du caractère terrible de tous ces corps cloués sur le bois représentant le Christ crucifié, disséminés à l’envi en tous lieux dans nos pays et je me demandais chaque fois comment on avait pu s’habituer à un tel spectacle. Mais c’est que c’était effectivement insupportable je pense, et l’on a fini par prendre une telle distance par rapport à ces images de supplice et de mort qu’on leur a ôté tout impact, c’était la seule solution. Ce spectacle édifiant a fait long feu et d’ailleurs les medias qui font un commerce florissant à longueur de reportages d’images des horreurs, des misères et des souffrances de ce monde en ayant la prétention morale d’ « interpeller » les consciences, et en se donnant la bonne conscience d’être des témoins (pour ne pas dire des nouveaux martyrs désormais), devraient en prendre acte. Il y a des limites à l’écœurement et à la culpabilisation et tout être sainement constitué défend son estomac soit en évitant les lieux où se célèbrent ce genre de rituel soit en y assistant négligemment sans y prêter une attention particulière soit en se révoltant pour finir par s’en détourner définitivement. Cela s’appelle le zapping.

Il n’y a plus de curés en soutane (ou si peu), et d’ailleurs plus beaucoup de curés ordonnés tout court non plus, mais alors… la nature ayant horreur du vide, une nouvelle race de curés sans soutane est née ( et pas vraiment engendrée par le Saint Esprit) et ces nouveaux ecclésiastiques sans soutane de la religion du politiquement correct grouillent et pullulent (comme des cafards ... ben oui !) qui, à défaut de nous prêcher un quelconque salut, en l’absence de toute transcendance, nous assènent des leçons de morale partout où ils le peuvent… c’est dans le droit fil de la théologie occidentale non ?
A quand le nouvel anticléricalisme ? J’en suis tout de suite !
Makcim
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Je suis tout à fait convaincu que ce qui fait que l’Occident est occidental ne prend pas exclusivement sa source dans l’hérésie papisto-filioquiste. On a souvent fait remarquer que saint Augustin a joué un rôle eénorme, bien avant le filioque, dans la formation de la spécificité occidentale. On sait d’autre part que l’Église latine avait un esprit juridisant bien antérieur au Filioque et à saint Augustin. Je renvoie toujours à ce sujet à l’excellent travail de Jean Daniélou sur les origines de la chrétienté latine. Et d’ailleurs le génie romain était avant tout un génie politique et juridique, dès avant la naissance du Christ.

Du reste bien d’autres traditions culturelles ont montré une vigoureuse originalité et sont passées avec elle dans l’Église universelle : Coptes, Arméniens, Éthiopiens, Assyriens, sans oublier les Celtes et les Slaves. L’Église a su accueillir toutes les formes du génie humain. Malheureusement certaines cultures se sont éloignées de l’Orthodoxie (les anti-chalcédoniens) et il nous reste à espérer qu’ils sauront retrouver le chemin de l’Église orthodoxe.

Il est important de ne pas confondre la tradition de la “Grande Église”, c’est-à-dire celle que nous appelons d’un mot bien mal choisi “l’Église byzantine” avec l’une des traditions culturelles qui sont entrées dans l’Orthodoxie. Il serait meilleur de dire l’Église roméïque car elle est l’héritière de cet Empire universel chrétien qui se déclarait “Empire romain” et qui sut accomplir une œuvre unique supra-ethnique (nous dirions aujourd’hui supra-nationale), une œuvre de synthèse.

Il faudrait réserver le terme “oriental” pour désigner ce qui est à l’Est de Byzance. Et aujourd’hui d’autres peuples et d’autres Églises apparaissent dans l’Orthodoxie, et comme la Terre est ronde, nous sommes tous à l’Orient de quelqu’un et à l’Occident de quelqu’un d’autre. Ce sont deux termes inadaptés et même empoisonnés.

Une autre originalité de la culture occidentale et du monde qu’elle a généré, est qu’il se présente comme une culture soi-disant universelle et considère les traditions ethniques comme des manifestations de sous-développement culturels. Certes il a accumulé une avancée scientifique et technologique formidable, et toutes les traditions culturelles peuvent accéder à la Science et à la Technologie, se les approprier et en bénéficier. L’Occident a-t-il pour autant rendues périmées les grandes cultures ? Il est permis d’en douter.

En vérité c’est l’Église orthodoxe et la civilisation roméïque qui ont su faire la synthèse des cultures particulières, mais en les purifiant et en les spiritualisant, et en les faisant entrer dans une communion catholique. L’Occident souffre peut-être d’avoir été incomplètement évangélisé. Alors que se déroulaient les grandes controverses trinitaires et christologiques du premier millénaire, l’Église d’Occident se taisait. Elle comptait de vrais grands athlètes, mais bien peu de défenseurs de la foi.

L’influence de l’Occident est considérable, même sur les Églises des pays orthodoxes. Elle a connu plusieurs étapes, passant par le prestige de la scolastique en latin, les idées luthériennes et l’assujettissement au souverain, les “Lumières” et le syncrétisme et actuellement une vague de [/i]sécularisme[/i] : une Église doit se juger à son efficacité sociétale. Les Églises ethniques, en se croyant plus liées à un peuple qu’à la communion catholique des Églises orthodoxes, ont perdu le goût de la Tradition des Pères.

Mais je ne peux pas accepter d’aller, comme Maksim, d’aller jusqu’à dire :
L’esprit occidental est fort, efficace et sûr de lui malgré les apparences et particulièrement depuis qu’il se fonde, sans le moindre questionnement, sur le rationalisme, sur l’efficacité, la rentabilité, l’utilitarisme et sur des droits de l’homme et sur une démocratie égalitariste mis à toutes les sauces. Il a pénétré dans le monde entier, toutes les cultures, et tout ce qu’il touche est forcément soumis inéluctablement (ou presque) à l’influence du même moule…
L’Occident se veut rationnel, il pense qu’il est parvenu à un épanouissement de l’homme (et il y voit sa justification) parce qu’il a dépassé toutes les cultures partielles (c’est-à-dire en fait basées sur des dogmes religieux : surtout ne pas parler d’un possible choc de civilisations) au profit du “vivre ensemble” et de la démocratie par le vote. La preuve du sépassement est dans le librechoix du partenaire sexuel, sans attache définitive, sans préjugé hétérosexuel, rien que du “sentiment”. Autrement dit le règne du subjectif.

Mais au fond de lui-même l’homme trouve l’angoisses et le doute, l’instabilité et l’ivresse des passions. Cela lui devient insupportable et il se précipite vers les paradis artificiels ou les sectes… ou encore vers l’obésité. On parle très peu de la multiplication des suicides. Et toujours revient, lancinante, la soif de Dieu, qu’on ne peut jamais éliminer.

Je continue donc à penser que l’Occident n’est qu’un accident tragique, un événement dramatique, une énorme bavure, et ce sont les Occidentaux – en fait il faudrait plutôt dire les sujets de l’Occident – qui en sont donc les premières victimes. Ils ont été trompés, trahis, floués, humiliés. Ils se sont retirés pour la plupart dans le silence. Seule l’Orthodoxie est capable de leur apporter leur libération, seule elle peut leur restituer la liberté, la cohérence et la créativité dont l’utopie occidentale les avait frustrés.

Pour assuré qu’il puisse paraître de sa science et de sa technolo-gie, l’Occident n’est pas vraiment sûr de lui-même. Anxieux comme un géant aux yeux bandés, il s’avance en titubant, ne sachant où diri-ger ses pas. Et cela se comprend aisément, car l’Occident n’est pas l’un des composants de la race humaine, il ne représente pas l’un des éléments constitutifs de notre nature ; l’Occident ne représente pas une alternative à l’Orient, ce n’est pas une autre manière d’être, c’est un accident de l’histoire, un drame, une mutilation, c’est une erreur tragique, un état perpétuellement remis en cause – il n’aura été que le plus durable des avatars de la Tour de Babel.

(Je m’excuse, mais pour ces dernières lignes, je n’ai fait que resservir ce que j’avais écrit dans mon livre sur le ratage de l’Orthodoxie en Occident. Je n’ai pas changé d’avis).
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Jean-Louis Palierne a écrit :Je suis tout à fait convaincu que ce qui fait que l’Occident est occidental ne prend pas exclusivement sa source dans l’hérésie papisto-filioquiste. On a souvent fait remarquer que saint Augustin a joué un rôle eénorme, bien avant le filioque, dans la formation de la spécificité occidentale. On sait d’autre part que l’Église latine avait un esprit juridisant bien antérieur au Filioque et à saint Augustin. Je renvoie toujours à ce sujet à l’excellent travail de Jean Daniélou sur les origines de la chrétienté latine. Et d’ailleurs le génie romain était avant tout un génie politique et juridique, dès avant la naissance du Christ.

Du reste bien d’autres traditions culturelles ont montré une vigoureuse originalité et sont passées avec elle dans l’Église universelle : Coptes, Arméniens, Éthiopiens, Assyriens, sans oublier les Celtes et les Slaves. L’Église a su accueillir toutes les formes du génie humain. Malheureusement certaines cultures se sont éloignées de l’Orthodoxie (les anti-chalcédoniens) et il nous reste à espérer qu’ils sauront retrouver le chemin de l’Église orthodoxe.

Il est important de ne pas confondre la tradition de la “Grande Église”, c’est-à-dire celle que nous appelons d’un mot bien mal choisi “l’Église byzantine” avec l’une des traditions culturelles qui sont entrées dans l’Orthodoxie. Il serait meilleur de dire l’Église roméïque car elle est l’héritière de cet Empire universel chrétien qui se déclarait “Empire romain” et qui sut accomplir une œuvre unique supra-ethnique (nous dirions aujourd’hui supra-nationale), une œuvre de synthèse.

Il faudrait réserver le terme “oriental” pour désigner ce qui est à l’Est de Byzance. Et aujourd’hui d’autres peuples et d’autres Églises apparaissent dans l’Orthodoxie, et comme la Terre est ronde, nous sommes tous à l’Orient de quelqu’un et à l’Occident de quelqu’un d’autre. Ce sont deux termes inadaptés et même empoisonnés.

Une autre originalité de la culture occidentale et du monde qu’elle a généré, est qu’il se présente comme une culture soi-disant universelle et considère les traditions ethniques comme des manifestations de sous-développement culturels. Certes il a accumulé une avancée scientifique et technologique formidable, et toutes les traditions culturelles peuvent accéder à la Science et à la Technologie, se les approprier et en bénéficier. L’Occident a-t-il pour autant rendues périmées les grandes cultures ? Il est permis d’en douter.

En vérité c’est l’Église orthodoxe et la civilisation roméïque qui ont su faire la synthèse des cultures particulières, mais en les purifiant et en les spiritualisant, et en les faisant entrer dans une communion catholique. L’Occident souffre peut-être d’avoir été incomplètement évangélisé. Alors que se déroulaient les grandes controverses trinitaires et christologiques du premier millénaire, l’Église d’Occident se taisait. Elle comptait de vrais grands athlètes, mais bien peu de défenseurs de la foi.

L’influence de l’Occident est considérable, même sur les Églises des pays orthodoxes. Elle a connu plusieurs étapes, passant par le prestige de la scolastique en latin, les idées luthériennes et l’assujettissement au souverain, les “Lumières” et le syncrétisme et actuellement une vague de sécularisme : une Église doit se juger à son efficacité sociétale. Les Églises ethniques, en se croyant plus liées à un peuple qu’à la communion catholique des Églises orthodoxes, ont perdu le goût de la Tradition des Pères.

Mais je ne peux pas accepter d’aller, comme Maksim, d’aller jusqu’à dire :
L’esprit occidental est fort, efficace et sûr de lui malgré les apparences et particulièrement depuis qu’il se fonde, sans le moindre questionnement, sur le rationalisme, sur l’efficacité, la rentabilité, l’utilitarisme et sur des droits de l’homme et sur une démocratie égalitariste mis à toutes les sauces. Il a pénétré dans le monde entier, toutes les cultures, et tout ce qu’il touche est forcément soumis inéluctablement (ou presque) à l’influence du même moule…
L’Occident se veut rationnel, il pense qu’il est parvenu à un épanouissement de l’homme (et il y voit sa justification) parce qu’il a dépassé toutes les cultures partielles (c’est-à-dire en fait basées sur des dogmes religieux : surtout ne pas parler d’un possible choc de civilisations) au profit du “vivre ensemble” et de la démocratie par le vote. La preuve du sépassement est dans le librechoix du partenaire sexuel, sans attache définitive, sans préjugé hétérosexuel, rien que du “sentiment”. Autrement dit le règne du subjectif.

Mais au fond de lui-même l’homme trouve l’angoisses et le doute, l’instabilité et l’ivresse des passions. Cela lui devient insupportable et il se précipite vers les paradis artificiels ou les sectes… ou encore vers l’obésité. On parle très peu de la multiplication des suicides. Et toujours revient, lancinante, la soif de Dieu, qu’on ne peut jamais éliminer.

Je continue donc à penser que l’Occident n’est qu’un accident tragique, un événement dramatique, une énorme bavure, et ce sont les Occidentaux – en fait il faudrait plutôt dire les sujets de l’Occident – qui en sont donc les premières victimes. Ils ont été trompés, trahis, floués, humiliés. Ils se sont retirés pour la plupart dans le silence. Seule l’Orthodoxie est capable de leur apporter leur libération, seule elle peut leur restituer la liberté, la cohérence et la créativité dont l’utopie occidentale les avait frustrés.

Pour assuré qu’il puisse paraître de sa science et de sa technolo-gie, l’Occident n’est pas vraiment sûr de lui-même. Anxieux comme un géant aux yeux bandés, il s’avance en titubant, ne sachant où diri-ger ses pas. Et cela se comprend aisément, car l’Occident n’est pas l’un des composants de la race humaine, il ne représente pas l’un des éléments constitutifs de notre nature ; l’Occident ne représente pas une alternative à l’Orient, ce n’est pas une autre manière d’être, c’est un accident de l’histoire, un drame, une mutilation, c’est une erreur tragique, un état perpétuellement remis en cause – il n’aura été que le plus durable des avatars de la Tour de Babel.

(Je m’excuse, mais pour ces dernières lignes, je n’ai fait que resservir ce que j’avais écrit dans mon livre sur le ratage de l’Orthodoxie en Occident. Je n’ai pas changé d’avis).
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Message par Jean-Louis Palierne »

Je suis tout à fait convaincu que ce qui fait que l’Occident est occidental ne prend pas exclusivement sa source dans l’hérésie papisto-filioquiste. On a souvent fait remarquer que saint Augustin a joué un rôle eénorme, bien avant le filioque, dans la formation de la spécificité occidentale. On sait d’autre part que l’Église latine avait un esprit juridisant bien antérieur au Filioque et à saint Augustin. Je renvoie toujours à ce sujet à l’excellent travail de Jean Daniélou sur les origines de la chrétienté latine. Et d’ailleurs le génie romain était avant tout un génie politique et juridique, dès avant la naissance du Christ.

Du reste bien d’autres traditions culturelles ont montré une vigoureuse originalité et sont passées avec elle dans l’Église universelle : Coptes, Arméniens, Éthiopiens, Assyriens, sans oublier les Celtes et les Slaves. L’Église a su accueillir toutes les formes du génie humain. Malheureusement certaines cultures se sont éloignées de l’Orthodoxie (les anti-chalcédoniens) et il nous reste à espérer qu’ils sauront retrouver le chemin de l’Église orthodoxe.

Il est important de ne pas confondre la tradition de la “Grande Église”, c’est-à-dire celle que nous appelons d’un mot bien mal choisi “l’Église byzantine” avec l’une des traditions culturelles qui sont entrées dans l’Orthodoxie. Il serait meilleur de dire l’Église roméïque car elle est l’héritière de cet Empire universel chrétien qui se déclarait “Empire romain” et qui sut accomplir une œuvre unique supra-ethnique (nous dirions aujourd’hui supra-nationale), une œuvre de synthèse.

Il faudrait réserver le terme “oriental” pour désigner ce qui est à l’Est de Byzance. Et aujourd’hui d’autres peuples et d’autres Églises apparaissent dans l’Orthodoxie, et comme la Terre est ronde, nous sommes tous à l’Orient de quelqu’un et à l’Occident de quelqu’un d’autre. Ce sont deux termes inadaptés et même empoisonnés.

Une autre originalité de la culture occidentale et du monde qu’elle a généré, est qu’il se présente comme une culture soi-disant universelle et considère les traditions ethniques comme des manifestations de sous-développement culturels. Certes il a accumulé une avancée scientifique et technologique formidable, et toutes les traditions culturelles peuvent accéder à la Science et à la Technologie, se les approprier et en bénéficier. L’Occident a-t-il pour autant rendues périmées les grandes cultures ? Il est permis d’en douter.

En vérité c’est l’Église orthodoxe et la civilisation roméïque qui ont su faire la synthèse des cultures particulières, mais en les purifiant et en les spiritualisant, et en les faisant entrer dans une communion catholique. L’Occident souffre peut-être d’avoir été incomplètement évangélisé. Alors que se déroulaient les grandes controverses trinitaires et christologiques du premier millénaire, l’Église d’Occident se taisait. Elle comptait de vrais grands athlètes, mais bien peu de défenseurs de la foi.

L’influence de l’Occident est considérable, même sur les Églises des pays orthodoxes. Elle a connu plusieurs étapes, passant par le prestige de la scolastique en latin, les idées luthériennes et l’assujettissement au souverain, les “Lumières” et le syncrétisme et actuellement une vague de sécularisme : une Église doit se juger à son efficacité sociétale. Les Églises ethniques, en se croyant plus liées à un peuple qu’à la communion catholique des Églises orthodoxes, ont perdu le goût de la Tradition des Pères.

Mais je ne peux pas accepter d’aller, comme Maksim, d’aller jusqu’à dire :
L’esprit occidental est fort, efficace et sûr de lui malgré les apparences et particulièrement depuis qu’il se fonde, sans le moindre questionnement, sur le rationalisme, sur l’efficacité, la rentabilité, l’utilitarisme et sur des droits de l’homme et sur une démocratie égalitariste mis à toutes les sauces. Il a pénétré dans le monde entier, toutes les cultures, et tout ce qu’il touche est forcément soumis inéluctablement (ou presque) à l’influence du même moule…
L’Occident se veut rationnel, il pense qu’il est parvenu à un épanouissement de l’homme (et il y voit sa justification) parce qu’il a dépassé toutes les cultures partielles (c’est-à-dire en fait basées sur des dogmes religieux : surtout ne pas parler d’un possible choc de civilisations) au profit du “vivre ensemble” et de la démocratie par le vote. La preuve du sépassement est dans le librechoix du partenaire sexuel, sans attache définitive, sans préjugé hétérosexuel, rien que du “sentiment”. Autrement dit le règne du subjectif.

Mais au fond de lui-même l’homme trouve l’angoisses et le doute, l’instabilité et l’ivresse des passions. Cela lui devient insupportable et il se précipite vers les paradis artificiels ou les sectes… ou encore vers l’obésité. On parle très peu de la multiplication des suicides. Et toujours revient, lancinante, la soif de Dieu, qu’on ne peut jamais éliminer.

Je continue donc à penser que l’Occident n’est qu’un accident tragique, un événement dramatique, une énorme bavure, et ce sont les Occidentaux – en fait il faudrait plutôt dire les sujets de l’Occident – qui en sont donc les premières victimes. Ils ont été trompés, trahis, floués, humiliés. Ils se sont retirés pour la plupart dans le silence. Seule l’Orthodoxie est capable de leur apporter leur libération, seule elle peut leur restituer la liberté, la cohérence et la créativité dont l’utopie occidentale les avait frustrés.

Pour assuré qu’il puisse paraître de sa science et de sa technolo-gie, l’Occident n’est pas vraiment sûr de lui-même. Anxieux comme un géant aux yeux bandés, il s’avance en titubant, ne sachant où diri-ger ses pas. Et cela se comprend aisément, car l’Occident n’est pas l’un des composants de la race humaine, il ne représente pas l’un des éléments constitutifs de notre nature ; l’Occident ne représente pas une alternative à l’Orient, ce n’est pas une autre manière d’être, c’est un accident de l’histoire, un drame, une mutilation, c’est une erreur tragique, un état perpétuellement remis en cause – il n’aura été que le plus durable des avatars de la Tour de Babel.

(Je m’excuse, mais pour ces dernières lignes, je n’ai fait que resservir ce que j’avais écrit dans mon livre sur le ratage de l’Orthodoxie en Occident. Je n’ai pas changé d’avis).
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Orientalisme

Message par eliazar »

Passer au texte suivant. Merci.
Dernière modification par eliazar le sam. 05 nov. 2005 20:44, modifié 4 fois.
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
eliazar
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Orientalisme

Message par eliazar »

Jean-Louis Palierne avait écrit en 2004 :
Il faudrait réserver le terme “oriental” pour désigner ce qui est à l’Est de Byzance. Et aujourd’hui d’autres peuples et d’autres Églises apparaissent dans l’Orthodoxie, et comme la Terre est ronde, nous sommes tous à l’Orient de quelqu’un et à l’Occident de quelqu’un d’autre. Ce sont deux termes inadaptés et même empoisonnés.
Je suis pour ma part de plus en plus gêné par la géographisation abusive de ces deux termes. Et notre ami Palierne a raison de nous rappeler que la terre est ronde ! A force de chercher l'Orient, le Juif errant de la légende revue par Eugène Sue finira par trouver l'Amérique, après avoir traversé le détroit de Behring : tout dépend du sens dans lequel on marche.

Notre projection "comme sur une carte posée sur la table" a fini par aplatir la véritable signification des termes "Orient" et "Occident". Dans l'absolu de la Parole de Dieu, ils ne désignent pas seulement une situation géographique - mais un mouvement fondamental de l'être intérieur, qui marque notre choix entre la Lumière et les Ténèbres, entre la Vie et la Mort. Et ce mouvement fondamental, qui engage tout notre être "corps et âme", nous est signifié par le cosmos tout entier, chaque fois que le soleil se lève et chaque fois que nous le voyons s'engloutir dans les flots de l'abîme marin.

Dans cette optique, se tourner vers l'Orient, se diriger vers l'Orient n'est pas prendre le train à Marseille pour aller à Milan. C'est se tourner vers la Lumière naissante, c'est se diriger consciemment vers Celui dont le Nom est "Orient", vers Celui qui a bien précisé (pour que nous ne prenions pas des vessies pour des lanternes, ni Gurdjieff pour la Sagesse) : Je suis la Lumière.

De manière absolument complémentaire, et avec une équivalente puissance du sens, se tourner vers l'Occident, se diriger vers l'Occident n'est pas prendre l'avion pour aller à Washington. C'est se tourner vers la Lumière expirante, ou plutôt vers le point où la Lumière s'engloutit dans les ténèbres de la nuit. Elle n'en reviendra jamais, mais c'est en nous tournant dans l'autre direction que nous la retrouverons ...après avoir traversé notre nuit.

Et Antoine vient de souligner très utilement (parce que nous ne l'oublions que trop) l'étymologie latine du mot "Occident" : Occidere, tomber, succomber, périr.

Ce n'est pas sans une profonde perception de la Vérité (qui allait leur être un jour révélée explicitement par leurs illuminateurs venus de l'Orient) que dès leur plus lointaine préhistoire les peuples celtiques ont placé le séjour des morts, la terre de mort, dans une île perdue sur l'abîme - qu'ils situaient à l'Occident, au delà du couchant .

Comme ce n'est pas sans une profonde symbolique qu'un petit peintre médiocre qui s'appelait Adolf a dû être trans-formé dans le moule intellectuel d'une société nommée Thulé avant de devenir le Grand Führer, le Conducteur apocalyptique d’un immense peuple dont il précipita une partie dans l’abîme des camps d'extermination, lançant une autre partie vers la mort glacée du Front de l'Est, et condamnant le reste, vieillards, infirmes, femmes et enfants à la destruction massive sous les bombardements systématiques de l’aviation alliée et la mort atroce (par le feu) des bombes au phosphore.

Et de même ce n'est pas sans signification que les USA d'aujourd'hui, guidés par quelques familles présidentielles ex-nazies (ou dont les fortunes ont trouvé leurs origines et leur développement dans leurs liens occultes avec le nazisme) développent avec une puissance sans cesse croissante les guerres et les bruits de guerre annoncées en Matthieu 24, 6. Ce dernier avatar des empires de mort qui eurent l'aigle pour totem semble bien être de plus en plus poussé à accomplir la prophétie du Christ aux scribes et aux pharisiens :
... pour Le mettre à l'épreuve, ils lui demandèrent de leur montrer un signe parti du ciel. Répondant, [Jésus] leur dit : ... / ... Génération mauvaise et adultère qui recherche un signe! et de signe il ne lui sera donné que le signe de Jonas".
Et les quittant, Il s'en alla.
(Matth. 16, 1-4)
La citation que le Christ fait de Jonas a ici valeur de parabole. Pour ne pas sauver les habitants de Ninive (en se dirigeant vers l'Orient...), Jonas a choisi de s'enfuir à Tharsis, c'est à dire de s’embarquer sur un des grands navires au long cours qui partaient en direction de l'Occident jusque au-delà des Détroits d’Hercule (l’actuel Gibraltar).

Pour désobéir plus sûrement, le malheureux voulait absolument fuir l'Orient ("loin de la face de YHWH") en se tournant à l’opposé- dans la direction de l’Atlantique... direction de l'île des morts des Celtes et direction du grand continent encore inconnu qui gisait au delà.

En phénicien, Tharsis signifie « fonderie » (de métaux). C'était la Tartessos des Grecs. Grande cité maritime de la côte sud-ouest de l’Andalousie, on la situe dans l’actuel golfe de Cadix, au-delà du détroit de Gibraltar et donc déjà sur l’Atlantique. Elle était devenue si riche par son commerce des métaux, particulièrement des minerais d’argent et de cuivre (les Phéniciens s'y procuraient aussi l’étain venu des Cassitérides et le cuivre du Rio Tinto) que les anciens désignèrent longtemps l’Andalousie entière sous son nom. Comme par hasard, c’est de là que Christophe Colomb devait un jour partir pour découvrir l’Amérique...

Je crois que nous citons trop souvent la Bible comme un recueil de phrases significatives - que nous isolons selon l'usage que nous voulons en faire mais en oubliant que la Parole de Dieu ne s’exprime pas seulement par des mots, mais aussi en terme de mouvements. Directions terrestres ou maritimes (ou astrales, ce qui est équivalent pour les peuples nomades comme pour les marins) et images parallèles tirées de la géographie ou de la toponymie (qu'on pense à Bethléem = maison du Pain) nous en disent parfois plus que le texte proprement dit.
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Occident ? Quel occident ?
S’agit-il de Rome, seule culture de l’antiquité à avoir évhémérisé ses mythes, c’est à dire à les avoir lus comme des événements historiques, à la manière dont les fondamentalistes protestants américains lisent la Bible ? De Rome, seule culture au monde à avoir appréhendé le religieux au travers du juridique ?
S’agit-il des Gaules du nord de la Loire, héritières (via les peuples germaniques et les Celtes de La Tène) des vieilles civilisations danubiennes où le monde s’inscrit symboliquement dans des petits carrés juxtaposés ou emboîtés : le champ, le village, le pays, le peuple ; où l’autre, le voyageur, le voisin même et surtout le voisin du voisin sont perçus comme des ennemis potentiels ou, au minimum, des éléments de désordre à éliminer ?
S’agit-il des cultures du sud de la Loire, enracinées dans l’héritage « ligure », cultivant l’art de vivre, les truffes, la vigne et la révolte sèche comme les jambes des chèvres ?
S’agit-il de l’Espagne wisigothe qui seule pouvait engendrer don Quichotte ?
S’agit-il des Vénètes, des Bretons de la vieille Britannia ou des Gaëls d’Irlande, ceux que je ne sais plus quel poète décrivait comme « ces hommes que Dieu a créé fous car toutes leurs guerres sont joyeuses et toutes leurs chansons tristes », marins familiers des horizons flous où la brume et la mer brouillent leurs limites et les formes ?
S’agit-il des hautes vallées alpines où la mémoire du paysage et les réputations des familles traversent aisément cinq à six siècles sans s’altérer ?

Cela dit, toutes ces terres et ces cultures ne sont « occidentales » que si le référent est l’empire romain lors de la réforme administrative de Dioclétien créant un « empire d’orient » (Grèce, Asie, Egypte) et un « empire d’occident » (Gaules, Italie, Espagne, Afrique, Britannia). Sinon, comme le dit fort bien Jean Louis, la terre est ronde. Rome est à l’orient des Amériques et San Francisco à l’orient du Kamtchaka. Elles sont redevenues « occidentales » sous l’influence linguistique des USA lorsque « l’est » (et non l’orient) se composait de la Russie communiste, de la Chine et de leurs satellites.

Il y a, comme l’ont montré tant Antoine qu’Eliazar, un « orient » et un « occident » liés à l’expérience de l’aurore et du crépuscule, de la naissance et de la mort, mais de tout lieu sur terre on peut faire cette expérience, se tourner vers l’orient du soleil levant ou vers l’occident qui s’enfonce dans la nuit.
A noter aussi que si le symbolisme du levant et du couchant est universel, la distinction linguistique entre les termes géographiques (est, ouest) et les termes symboliques ou culturels (orient, occident) n’existe pas dans toutes les langues. Il y faut la présence de plusieurs strates culturelles.
Mais j’aime bien ce que relève Eliazar, que Dieu ne s’exprime pas seulement en mots mais en mouvements et images.

Pour en revenir toutefois à l’interrogation de Makcim. C’est l’Eglise située géographiquement le plus à l’ouest mais née hors de l’empire romain, l’Eglise d’Irlande, qui a résisté le plus longtemps aux hérésies romaines.
Il peut y avoir une prédisposition culturelle et linguistique à certains types d’hérésies. Le platonisme a creusé le lit de la gnose dualiste. Derrière Arius, on trouverait aisément la notion égyptienne de neter. Pélage ne pouvait venir que d’un pays gaélique. Mais le filioque fait étrangement exception. Je ne parvient pas à voir de substrat culturel qui prédispose à son apparition. D’ailleurs, on ne sait pas trop si ce sont les Wisigoths, les Carolingiens (pas les Francs en soi, ils étaient parfaitement orthodoxes à l’époque mérovingienne), certains Gaulois (Victrice de Rouen : mais est-ce le texte original ou une interpolation ?), tout ça se perd dans le marécage des copies interpolées et des fausses décrétales. C’est la seule hérésie qui n’a pas d’auteur.
S’il s’agit de l’influence augustinienne, n’oublions pas qu’Augustin n’est ni romain ni gaulois. En termes culturels, c’est un Carthaginois, donc marqué de l’héritage phénicien ; comme occident, on fait mieux géographiquement, sauf à se placer en Mésopotamie. Mais les principaux alliés de Carthage furent les Ibères (Espagne, où s’installeront les Wisigoths) et les Sardons (Sardaigne, Corse mais aussi Catalogne), c’est le terreau où surgit le priscillianisme puis sa résurgence, le catharisme. Deux hérésies au sujet desquelles les historiens sont dans le même flou que pour le filioque. On ne sait pas exactement qui, ni le contenu doctrinal, on n’a que des repères partiels, les documents ont été brûlés, détruits.
L’invention scientifique et technique, c’est plutôt l’héritage celte : ils avaient la réputation d’être les meilleurs artisans dans l’antiquité, bricoleurs, inventeurs, discuteurs aussi – et pour la rationalité, les Grecs ne craignaient personne. Aristote était grec, pas « occidental ». Et la civilisation la plus proche des Celtes et des Gaëls, en matière de mentalités, c’est la Chine archaïque. Rome n’a jamais rien inventé sauf la discipline des légions, le pillage et le juridisme. Et le goût effréné du pouvoir.
L’opposition culturelle entre un « occident » matérialiste, rationaliste et peu enclin aux hautes méditations ou contemplations et un « orient » spiritualiste, méditant, etc., est une fausse perspective. On trouve en pays celtiques les meilleurs artisans ET le sens de l’invisible ; on trouve en Chine la méditation taoïste ET les inventeurs du papier-monnaie et de la boussole, entre autres, pragmatiques et commerçants. On trouve dans les Gaules du sud les bons vivants inventeurs du foie gras ET des ascètes contemplatifs ; on trouve aux Indes des yogis ET des amateurs replets de musique et de bonne chère. Je continue ?
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

« Lors des grandes controverses trinitaires et christologiques du premier millénaire, l’Eglise d’Occident se taisait », écrit Jean Louis.
Pas d’accord.
Lors de l’exacerbation de la querelle autour du terme nicéen homoousios, les plus sûrs soutiens de saint Athanase furent les évêques des Gaules. Ils l’ont dit, écrit mais plutôt par des lettres que des traités, ont signé les textes conciliaires. Tous les contemporains et, désormais, tous les historiens le reconnaissent.
Lorsque Augustin et Pélage se sont empoignés et, à mon sens, hérétique contre hérétique, la position orthodoxe était bellement exposée par saint Vincent de Lérins dont le Commonitorium préfigure Maxime le Confesseur. Et, même si leurs écrits sont perdus, saint Germain d’Auxerre et saint Loup de Troyes ont semblé assez bons théologiens pour que leur synode les envoie remettre un peu d’ordre dans les cervelles des Bretons de Britannia. Et l’Eglise d’Irlande est directement leur fille.
Les papes de la Rome orthodoxe ont pris part aux grands conciles, condamné publiquement les hérésies, débattu avec leurs pairs.
De tous ces débats, nous avons au moins des traces indirectes jusqu’à Nicée II par de rares lettres, des signatures d’actes conciliaires y compris locaux, des allusions de contemporains, etc. Avec l’arrivée des Francs, les évêques des Gaules furent un peu moins présents parce qu’ils avaient sur les bras un retour du paganisme et de l’arianisme et que, localement, ils devaient y faire face. Mais on a des indices selon quoi ils se tenaient au courant des débats menés en langue grecque.
L’erreur de perspective vient, à mon sens, du fait que tout a été fait pour perdre les écrits théologiques de langue latine de ce premier millénaire. Il faut lire dom Martène et dom Durand, les bénédictins de Saint-Maur qui ont complété le travail historique des Bollandistes. Leur récit de la chasse aux manuscrits mérovingiens ou plus antiques encore est savoureux mais surtout instructif ! Le premier manuscrit retrouvé de l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours servait à couvrir les confitures dans je ne sais plus quel minuscule monastère.
Nous possédons pratiquement toute la littérature, correspondance entre évêques comprise, de l’époque carolingienne. Les mérovingiens ont écrit autant mais il ne reste qu’environ 200 vies de saints, trois pièces de chancellerie, quelques hymnes de Venance Fortunat, une dizaine d’homélies et deux chroniques dont l’une (celle du pseudo-Frédégaire) complètement interpolée sous Charlemagne. Trois pièces de chancellerie en trois siècles ? Ou même quatre ?
Pourquoi ce manque ? C’est très simple. Nous n’avons que quelques textes qui furent recopiés sur parchemin lorsque le papyrus vint à manquer après la conquête arabe de l’Egypte. Mais c’était le VIIe siècle bien entamé. Au siècle suivant, c’est Charlemagne et la poussée vers le filioque. Et là commence le travail de falsification des textes, de non copie de papyrus abîmés gênants, etc. Les vies de saints sont passées entre les gouttes parce que les faussaires les jugeaient sans danger. Et là commence la légende des mérovingiens incultes et, surtout, celle des évêques de l’empire d’occident plus pragmatiques et moins soucieux de débats théologiques, moins coupeurs de cheveux en 4 que leurs collègues de langue grecque.
Passez muscade.
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