28 mars: saint Gontran de Bourgogne

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Claude le Liseur
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28 mars: saint Gontran de Bourgogne

Message par Claude le Liseur »

"Gontran était fils de Clotaire 1er, roi des Francs, et petit-fils de Clovis et de sainte Clotilde Il naquit vers 525 et devint roi en 561, lorsque le royaume fut partagé, à la mort de Clovis, entre ses quatre fils. A Gontran échut la Bourgogne, et il installa sa capitale à Chalon-sur-Saône.

Sa vie fut parsemée d'épreuves qui lui vinrent surtout de sa propre famille. Il ne fut heureux ni comme époux, ni comme père. Il n'eut pas d'héritier, car sa deuxième femme n'avait pas hésité à empoisonner le fils qu'il avait eu de son premier mariage. Gontran vit dans ces afflictions la conséquence des fautes et de l'impulsivité de sa jeunesse. Il eut sans cesse à démêler les querelles de ses frères, puis des enfants de ses frères. C'était le temps où le royaume de France fut dévasté par la longue guerre qui opposa les reines Frédégonde et Brunehaut. Gontran intervint comme gardien de serments qu'il était le seul à respecter et comme tuteur de ses jeunes neveux, mais il ne put mettre fin à la discorde. Au milieu de toutes ces tribulations, il retint toujours la force et la constance d'un vrai chrétien, et se confia à la force de sa prière, qui était grande.

Il fut un roi ferme et dévoué. Il se signala par sa confession de la foi orthodoxe, par son zèle pour le rétablissement de la discipline canonique de l'Eglise de Bourgogne et par son respect pour le clergé. Il se montra grand fondateur d'églises et de monastères. Il établit à Dijon la psalmodie continuelle que le monastère de Saint Maurice d'Agaune en Valais avait reçue des Acémètes de Constantinople. La tradition le regarde comme l'illuminateur des Alpes, car c'est lui qui établit l'évêché de Saint-Jean-de-Maurienne et y construisit une basilique pour abriter les reliques de saint Jean-Baptiste.

Peu de rois furent aussi populaires. Ses sujets l'aimèrent pour son autorité comme pour sa générosité. Celle-ci était si remarquable que la tradition rapporte que, pour lui faciliter ses largesses, sans que le peuple eut à souffrir des impôts, Dieu lui fit trouver de grands trésors.

Le peuple le révéra aussi pour sa foi, que l'on savait exceptionnelle. Quand de grands malheurs frappaient son royaume, il priait, jeûnait et s'offrait en expiation pour ses péchés et pour ceux du peuple. De son vivant, il fut considéré comme thaumaturge. Saint Grégoire de Tours raconte qu'il délivra des possédés. On rapporte aussi qu'une femme qui avait arraché un pan de son manteau l'appliqua à son fils et le délivra ainsi d'une fièvre mortelle.

Ce souverain avait affermi la monarchie franque sur le roc inébranlable de l'Orthodoxie. Ce n'est que deux siècles plus tard que les usurpateurs carolingiens s'éloignèrent de la voie tracée par Clovis et saint Gontran, commencèrent à glisser lentement vers l'hérésie du Filioque et suscitèrent le schisme romain.

Les miracles du roi Gontran se poursuivirent longtemps après sa naissance au ciel le 28 mars 593, grâce à ses reliques qui furent partagées entre deux de ses fondations, l'abbaye de Saint-Marcel à Chalon et la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne. Les reliques de Chalon, à l'exception de son crâne, furent presque entièrement détruites par les Calvinistes au XVIème siècle, et son bras conservé en Maurienne fut jeté à la rue par les Républicains en 1793 et disparut.

Puisse le souvenir du roi Gontran toujours nous rappeler qu'à l'origine des grandes nations de l'Europe, il y eut l'Orthodoxie. Puissent ses prières faire revenir nos peuples à la foi nos ancêtres.

Par les prières du saint roi Gontran, Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, aie pitié de nous."

Article de Claude Laporte, in Foi transmise et Sainte Tradition, n° 118, Lectoure 2002, p. 2

N.B.: Le royaume de Gontran correspondait à peu près à quatre régions françaises actuelles (Bourgogne, Franche-Comté. Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur), plus une partie de l'actuelle région Centre-Val-de-Loire (l'Orléanais), ainsi que la quasi-totalité de la Suisse actuelle (moins le Tessin) augmentée du Val-d'Aoste (érigé en marche pour protéger les Gaules de l'activité des Lombards - c'est suite à son action que le Val-d'Aoste devint une enclave gauloise en terre italienne et que le français, devenu langue officielle à Aoste avant de l'être à Paris, put s'y maintenir jusqu'à l'italianisation forcée à l'époque du fascisme).
A certaines périodes, il exerça au nom de ses deux neveux Childebert et Clotaire la régence des autres royaumes (Aquitaine, Austrasie et Neustrie).

Tropaire, ton 6 (composé par le père Denis Guillaume, légèrement modifié par moi):

Le roi de Bourgogne Gontran a mérité le titre de bon roi:
Par sa bienveillance envers tous, il a racheté les erreurs de sa jeunesse;
Par son repentir et ses oeuvres de charité, il a fait oublier ses fautes passées;
En réconciliant ses frères et en oubliant les offenses de ses ennemis, il s'est conduit en véritable disciple du Christ;
Il a soutenu, par ses généreuses fondations, l'Eglise qui chante en lui désormais l'illuminateur des Alpes, le champion de la piété et le défenseur des orthodoxes enseignements.
Dernière modification par Claude le Liseur le mar. 30 mars 2004 23:01, modifié 2 fois.
eliazar
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Saint roi Gontran de Bourgogne

Message par eliazar »

SED CONTRA : il est intéressant de citer en annexe à l'article de Claude LAPORTE, paru dans "Foi Transmise et Sainte Tradition", celui de Pierre LAROUSSE dans son "Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle".

Cet article rétablit certains faits que l'hagiographie a trop souvent tendance à dissimuler sous un voile pudique; je ne suis pas loin de penser que cette fausse pudeur ne contribue pas peu au discrédit de l'Église. Les saints ne sont pas des images d'Épinal, mais des hommes et des femmes comme nous, coupables souvent de péchés bien plus abominables que le bon roi GONTRAN - et les passer sous silence revient à en faire des images pieuses justes bonnes pour saint Sulpice. C'est à dire, à les transformer en pieuses légendes et à détourner de la Foi ceux qui sont un peu mieux renseignés - car ils jugent alors que si l'Église a menti ou dissimulé au sujet de choses vérifiables et connues de tous, on ne peut plus la croire loesqu'elle traite de choses invérifiables, comme c'est par exemple le cas du Credo.

Il y a là un très grave sujet de réflexion et d'exercice de l'honnêteté, pour un chrétien, et plus encore pour un chrétien orthodoxe.

Voici donc le texte de Pierre LAROUSSE - dont on sait par ailleurs qu'il était influencé par la société catholique de son temps, même s'il semble avoir été incroyant. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un sens rigoureux de la "moralité républicaine", comme en témoigne son dernier paragraphe.


"GONTRAN, roi de Bourgogne, de la race franque, troisième fils de Clotaire 1er, né vers 525, mort en 593. A la mort de son père, en 561, il eut en partage le royaume de Bourgogne, s'attacha ses sujets par la confirmation de la loi Gombette et par des titres romains accordés à ses principaux officiers, refoula d'Italie les Lombards, qui franchissaient à chaque instant les Alpes et pillaient la Provence, essaya de réconcilier ses frères Sigebert et Chilpéric, rois de Neustrie et d'Austrasie, se déclara le protecteur de Frédégonde, qui se joua de sa crédulité, comprima une révolte des grands du Midi en faveur du prétendant Gondovald, conserva au jeune Clotaire II son royaume de Paris et adopta pour son successeur Childebert II.
"Grégoire de Tours le nomme le bon roi, sans doute par reconnaissance de ce qu'il avait richement doté les églises; car on connaît de lui plusieurs meurtres, et ses nombreuses concubines, la répudiation de ses trois femmes témoignent suffisamment de l'impureté de ses mœurs."
eliazar
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Le bon roi Gontran de Bourgogne, suite

Message par eliazar »

A PROPOS DES MŒURS DE CE TEMPS-LÀ :

L’ordre alphabétique veut que l’article suivant celui consacré à la biographie succincte du roi Gontran de Bourgogne, dans le « Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle », soit consacré à Gontran Bozon. Il nous éclaire un peu plus encore sur les mœurs particulièrement sauvages des reîtres franks du VIème siècle – pourtant après leur touchante conversion au christianisme orthodoxe ; nous sommes bien loin des images pieuses des Roland, Guillaume d’Orange, Olivier, Turpin etc.

A l’occasion de cette biographie, une autre interrogation pourrait accessoirement naître des liens des Franks Mérovingiens avec l’empire byzantin. Pierre Larousse ne développe pas autrement, mais on aimerait l’avis d’un connaisseur de l’histoire de Byzance, à propos de cette « fourniture de prétendant » pour le royaume d’Aquitaine… qui était pourtant du ressort de l’empire romain d’Occident ?
Accessoirement, on peut se demander ce qu’il advint des richesses reprises à Gontran Bozon après sa condamnation ; ne seraient-elles pas échues au roi Gontran ?
Il est également intéressant de constater que le sacrilège Gontran Bozon ait cherché refuge auprès de l’Évêque de Trêves - c’est à dire au cœur même de la puissance des Franks : Aix-la-Chapelle, qui deviendra la capitale de Charlemagne, n’est qu’à quelques kilomètres, et doit sans doute faire partie du diocèse de Trêves ? Quant à la violation du droit sacré d'asile par le bon roi Gontran, elle se passe de commentaire...

« GONTRAN BOZON, seigneur franc, mort à Andelot en 587.
"Sigebert, roi d'Austrasie, le mit, en 575, à. la tête d'une armée avec laquelle il battit le fils de Chilpéric 1er, Théodebert ; il tua lui-même ce prince pendant le combat. Après la mort de Sigebert, Gontran Bozon devint un des tuteurs de Childebert II. Pour susciter un compétiteur à Gontran, roi de Bourgogne, il se rendit en 579 à Constantinople, en ramena Gondovald-Ballomer, et le fit proclamer roi d'Aquitaine, après la mort de Chilpéric. Toutefois, il ne tarda pas à se rapprocher du roi de Bourgogne et fut l'instigateur de l'assassinat du malheureux Gondovald. Bozon était aussi rapace que courageux. Ayant fait déterrer une de ses parentes pour s'emparer d'une grande quantité d'or et de bijoux qu'on avait mis dans son cercueil, il fut traduit devant un plaid tenu à Belzonac par Childebert II, et s'enfuit en Bourgogne ; mais là, il fut arrêté par ordre de Gontran, qui saisit avec empressement l'occasion de se défaire de Bozon.
« Condamné à la peine de mort au plaid d'Andelot, Bozon se réfugia dans la maison de l'évêque de Trêves, comme dans un lieu d'asile; mais le roi de Bourgogne ordonna qu'on y mît le feu et Gontran Bozon fut percé de traits en essayant de s'enfuir. » (Pierre LAROUSSE)

C’est à Andelot (en Champagne, tout près de Chaumont, dans le département actuel de la Haute Marne) que fut signé la même année 587 (était-ce une coïncidence ?)le traité par lequel Childebert II, Brunehaut et le bon roi Gontran assuraient à leurs leudes la possession viagère de leurs bénéfices – et fixaient les possessions de l’Austrasie et de la Bourgogne en Aquitaine justement.
La forteresse d’Andelot donna plus tard son nom au fief des Pignolet de Montéclair. Elle fut rasée en 1635, quelques années seulement avant la naissance (à Chaumont, en 1666) du célèbre Michel Pignolet de Montéclair qui allait doter l’orchestre d’un instrument qu’il fit découvrir et dont il était virtuose, la contrebasse, jusqu’alors inconnue. Il fut surtout un compositeur bien connu d’opéras, ami de Couperin mais adversaire malheureux (comme théoricien) de l’illustre bourguignon Rameau . C’est dans son opéra « Jephté », représenté en 1732 à l’Académie Royale de Musique (ancêtre de l’Opéra de Paris), qu’il révéla la contre basse par un solo qui lui valut une situation enviée (il était autorisé par contrat à ne jouer qu’au représentations du samedi, jour de grande audience). Cet opéra qui eut un grand succès était par ailleurs le premier opéra français à oser prendre pour sujet un épisode de l’Ancien Testament. Montéclair avait malheureusement demandé le livret de ces cinq actes à l’abbé Pellegrin, qui avait déjà eu maille à partir avec le cardinal de Noailles, archevêque de Paris : il fut rapidement interdit ! Le Cardinal de Noailles était du reste une figure contestée du règne de Louis XIV qui avait eu l’audace de s’attaquer aux Jésuites, et même de refuser la bulle Unigenitus par laquelle ils avaient obtenu du pape de Rome la condamnation du jansénisme, en 1713 – mais Louis-Antoine de Noailles, qui avait eu pourtant l’appui de sept autres grands évêques français dans cette affaire, eut la faiblesse de se soumettre au Régent en 1720, et d’accepter la bulle ; il eut toutefois le courage de refuser au Régent le sacre du futur cardinal Dubois, grand débauché devant l’Éternel.


Pour revenir aux choses sérieuses, je me permets de signaler le texte de la notice que j'ai consacrée à saint GONTRAN, à la date du 28 mars, dans le SYNAXAIRE DES SAINTS DE NOTRE HÉRITAGE, sur notre Site.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Saint Gontran, comme saint Constantin, est une figure qui pose problème à la faible foi de notre époque, qui, oublieuse des fautes du roi David, a de la peine à comprendre pourquoi l'on a porté sur les autels des personnages qui furent aussi de grands pécheurs. S'il est évident que leur rôle en tant que monarques a joué un rôle capital dans leur vénération (leur comportement comme hommes d'Etat ayant été impeccable), ils sont d'autant plus intriguants pour la conscience moderne qu'ils ne représentent pas des cas de canonisation politique: la vénération populaire a continué jusqu'à ce jour pour saint Constantin en terre orthodoxe, et elle a entouré la mémoire du roi Gontran jusqu'au XIXème siècle.

Dans un article d'une page comme celui de Foi transmise et sainte Tradition, il s'agissait de dire ce qui a paru particulièrement admirable et recommandable dans la vie de saint Gontran: respect des serments, esprit de médiation et de conciliation, prière ardente, souci de la discipline canonique, générosité et constance dans l'épreuve. Sur une page, on ne peut retenir que les exempla.

Le détail de ses turpitudes réelles et supposées aurait trouvé sa place dans un récit plus long, pour montrer que les saints ne sont pas forcément des hommes sans défauts.

Naturellement, les saints ne sont pas faits de bois, mais de chair et de sang, comme nous, et contrairement à une certaine imprégnation augustinienne qui rêve du saint séparé dès son enfance du reste des hommes. Il me plaît assez de penser que le roi Gontran, colérique jusqu'à verser le sang, sans cesse aux prises avec sa terrible famille, malheureux en ménage, ait été en même temps un tel modèle de prière, de loyauté, de foi, d'accomplissement de son devoir d'état (on donnait souvent son règne en exemple pour dire que le gouvernement fidèle aux maximes du christianisme est source de prospérité) et de repentir que Dieu l'ait jugé digne d'accomplir des guérisons de son vivant. C'est sans doute parce qu'il n'était pas d'une pièce qu'on l'a mis à l'écart à partir du XIXème siècle. De mon côté, c'est pour cette raison que je l'aime particulièrement.

Reste cependant une question. "L'impulsivité et les erreurs de sa jeunesse", auxquelles l'article fait allusion, de quoi s'agissait-il? Evidemment, personne ne lui a reproché d'avoir occis ce parjure de Gontran Boson; il a même dû se trouver pas mal de gens pour le féliciter d'avoir débarrassé les quatre royaumes d'un personnage certes haut en couleurs, mais tout de même fort dangereux pour la paix publique.

Je suis assez peu enclin à penser que le péché dont il s'est repenti serait un péché de nature sexuelle. Il a peut-être eu un penchant pour la luxure, n'a peut-être pas été fidèle à ses trois reines successives, mais je ne pense pas que c'est cela qu'on lui a reproché à l'époque. Les coutumes matrimoniales étaient en effet complètement différentes de ce qu'elles seraient plus tard.

Il est complètement absurde de juger des moeurs conjugales de ce temps-là à partir de Pierre Larousse.
La phrase sur l'immoralité du roi parce qu'il avait eu trois mariages et des concubines m'a fait sourire... Et c'est là le point sur lequel j'aimerais revenir.

En effet, le VIème siècle ne connaissait pas l'obligation du mariage religieux. La plupart des gens se mariaient donc selon le droit romain ou la coutume d'un peuple germanique ou celtique. Rappelons que, jusqu'au XIème siècle au moins, chacun faisait une professio juris par laquelle il déclarait à quel système juridique il était soumis.
Par conséquent, à l'époque des royaumes barbares (donc, quand l'Occident était encore orthodoxe), les questions matrimoniales étaient régies pour les personnes ayant fait professio en faveur du droit romain par des coutumes qui prétendaient être le Bréviaire d'Alaric dans la péninsule ibérique, la Septimanie et l'Aquitaine et le Code théodosien en Austrasie, Bourgogne, Neustrie, Provence et Italie. Pour les autres droits, il faudrait citer comme principales coutumes la loi des Bavarois, la loi salique, les lois galloises, etc.

A partir du XIIème siècle, quand les Bénédictins se sont mis à récrire les vies des saints, on a transformé en concubinages tous les mariages non conclus à l'église.

La décision de considérer comme concubinage tout mariage non béni par l'Eglise est prise dans l'Empire par Léon VI le Sage (886-912) dans sa Novelle 89 au début du Xème siècle.
En Occident, l'Eglise commence à réformer les moeurs matrimoniales au concile de Soissons en 755.
Le concile de Mayence, en 813, a étendu la prohibition des degrés de parenté bien au-delà de ce que connaissait le droit germanique.
Cela a permis aux hagiographes de requalifier en inceste tous les mariages conclus avant ces prohibitions lorsque les degrés de prohibition étaient moins stricts.
D'où l'absurde légende du "péché de Charlemagne": il avait commis bien des fautes, mais pas l'inceste. La réputation d'incestueux lui a été attachée parce que les mariages conclus dans sa famille ne respectaient pas les prohibitions décidées par la suite à Mayence en 813. Comme, par la suite, la conscience de ces changements s'est perdue, on a donné une autre définition de l'inceste et on a imaginé que Roland était le fils de ses amours coupables avec sa soeur Gisèle. Légende dont l'absurdité est démontrée par le fait que Gisèle est née en 757 et que Roland est mort en 778: sa mère l'aurait donc eu à neuf ans, et ce fameux paladin serait mort au combat à douze ans...

Les hagiographes qui ont écrit postérieurement à la réorganisation du mariage par la législation canonique ont beaucoup insisté sur les prétendus péchés sexuels de saint Gontran. Il me paraît impossible de les suivre, car le mariage religieux n'était pas obligatoire, et que la distinction entre concubinage et mariage était parfois peu claire à l'époque... Il aurait eu bien du mal, lui mort en 593, à se conformer à la législation édictée à Mayence en 813 et à la Novelle 89 de l'empereur Léon VI.

Je ne connais pas d'historien qui mentionne trois répudiations comme le fait Larousse. En ce qui concerne la première épouse, je n'ai pas trouvé trace de sa répudiation. En ce qui concerne la deuxième, Marcatrude, elle fut répudiée après avoir empoisonné le fils que Gontran avait eu de son premier mariage. La troisième le laissa veuf. Je ne vois donc trace que d'une répudiation consécutive à un assassinat.

Ces précisions sont importantes, car saint Gontran est présenté dans la tradition ultérieure comme un pénitent, et c'est ainsi que le présente son office orthodoxe composé par le père Denis Guillaume. Mais de quoi faisait-il pénitence?
Il me semble avoir démontré que le fameux péché que saint Gontran voulut expier pendant la seconde partie de son règne, ce péché dont il voyait la punition dans son absence d'héritier, n'est pas un péché de nature sexuelle. Il semble qu'il s'agissait en fait de cinq condamnations à mort qu'il avait prononcées à cause d'injustes soupçons, et en particulier celle de son cubiculaire Chundon.
En tout cas, il est intéressant de constater que, chez les historiens contemporains de saint Gontran, l'aspect du pénitent n'est pas très souligné. On souligne plutôt sa thaumaturgie, ses fondations religieuses, sa législation canonique. Un peu comme les historiens du règne de saint Constantin n'ont guère attaché d'importance à sa vie privée agitée et n'ont retenu que la transformation complète de l'Empire païen en un Empire chrétien. Quant à la vénération populaire, elle est attestée par plusieurs légendes nées autour de lui, notamment celle qui prétend qu'une belette l'avait guidée vers un trésor. De ce point de vue-là, l'article reste d'une hagiographie sobre par rapport à l'extraordinaire souvenir que ce roi semblait avoir laissé chez ses sujets.
Le repentir de Gontran prend de plus en plus d'importance dans l'hagiographie ultérieure, mais avec un transfert du péché à l'origine de sa pénitence (le meurtre) vers des péchés contre le saint état de mariage interpétés à l'aune d'une législation canonique postérieure.


Pour l'histoire de Gondovald, l'Empire ne l'a pas fourni comme prétendant pour l'Aquitaine. Après une première imposture ratée au temps de Clotaire Ier, Gondovald avait attaché sa fortune à celle de l'Arménien Narsès, commandant les troupes impériales en Italie, et l'avait suivi à Constantinople. Envoyé en ambassade auprès de l'empereur, Gontran Boson retrouve Gondovald (le Franc ne devait pas courir les rues à Constantinople...) et décide de l'utiliser pour son projet. Ce qui est amusant à propos de ceux qui voudraient voir en Gondovald le représentant d'un éventuel nationalisme romain anti-frank, c'est que toute l'usurpation de Gondovald reposait sur sa prétention d'être le fils de Clotaire Ier, et donc un prince frank...
Quel intérêt l'Empire, en guerre avec les Wisigoths pour le contrôle des côtes espagnoles, aurait-il eu à affaiblir le royaume ennemi des Wisigoths?

En ce qui concerne les relations entre les Mérovingiens de l'époque et l'Empire, on peut citer cette lettre de l'empereur Maurice à Childebert, le neveu de Gontran, où l'empereur parle de "l'ancienne concorde des Franks et du peuple romain" et le presse d'intervenir contre les Lombards en Italie, ce qui fut fait en 590. Autre exemple d'une situation où l'Empire comptait sur les Mérovingiens, seule dynastie orthodoxe en Europe occidentale jusqu'au ralliement des Wisigoths en 589, pour combattre d'autres Germains, ariens ceux-là.

Pour l'épisode de l'exécution de Gontran Boson, ce qui est intéressant, c'est que l'on connaît un exemple où il avait empêché l'exécution d'un assassin envoyé contre lui par Frédégonde et qui s'était caché dans une église, et que son respect du droit d'asile était l'une de ses vertus les plus marquantes. Mais je m'étonne de ta formulation "la violation du droit sacré d'asile par le bon roi Gontran": pour toi, la maison privée d'un évêque est assimilable à une église? Cela m'intéresse, car je ne connais pas la législation sur le sujet et je ne sais pas si la maison d'un évêque était assimilée à une église pour le droit d'asile.

En tout cas, rien ne permet de mettre en doute l'orthodoxie doctrinale des rois mérovingiens, à l'exception du fantasque Chilpéric Ier, vite repris en main par ses évêques. On connaît par exemple l'épisode de la lettre envoyée en 557 par le roi Childebert Ier, l'oncle de saint Gontran, au pape Pélage, où il exigeait de celui-ci une profession de foi confirmant que celui-ci restait fidèle au concile de Chalcédoine. La famille a compté beaucoup d'assassins (et aussi pas mal de saints: Clotilde, Cloud, Gontran, Siegbert III, Bathilde), mais elle n'a pas eu la prétention de changer la religion de ses sujets. Et cela a valu aux Mérovingiens, issus d'un des peuples germaniques les plus primitifs, une perennité que n'ont pas eu les Ostrogoths, pourtant beaucoup plus civilisés, mais que leur arianisme a coupé de la population italienne.
Dernière modification par Claude le Liseur le lun. 29 mars 2004 18:42, modifié 1 fois.
eliazar
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Le bon roi GONTRAN

Message par eliazar »

Je te remercie pour ces très intéressantes précisions sur les droits canoniques successifs appliqués au mariage sous les Mérovingiens.

Pierre LAROUSSE était connu pour son républicanisme " de combat" (sa notice sur BONAPARTE, par exemple, donne la date de son couronnement impérial pour date de sa "mort"!) et il est probable qu'il n'a été que trop heureux de pouvoir montrer du doigt en Gontran l'exemple d'un méchant roi de plus, au moins sur le plan des moeurs; sa notice, à l'exception de beaucoup d'autres similaires, ne fait même pas mention de sa qualité de saint fêté par l'Église catholique, ni de la date de cette célébration.

Je vais donc corriger ma propre notice du Synaxaire des Saints de Notre Héritage en fonction de tes renseignements, dont je te remercie. Il va sans dire que je ne mettais pas du tout en doute la foi orthodoxe des Mérovingiens - pas plus que celle de saint Constantin, du reste, même si je pense qu'il est inutile de voiler sous son auréole le fait qu'il ait vécut sa royauté avec une férocité rare - et que par ailleurs il ait attendu assez tard pour se faire baptiser. Mais ceci est une autre histoire, comme disait l'hagiographe bien connu Rudyard Kipling.
Claude le Liseur
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saint Gontran et la Suisse

Message par Claude le Liseur »

L'article de Foi transmise et sainte Tradition, étant destiné à un public français, parlait de l'action de saint Gontran dans les limites actuelles de la France. Mais saint Gontran est surtout un personnage important dans l'Histoire de la Suisse.

Dans un accès d'audace, les éditeurs suisses romands se sont dotés, pour un marché d'un million et demi de personnes, d'une collection semblable aux Que sais-je? des Presses universitaires de France, qui ont déjà de la peine à survivre avec un marché de soixante millions de personnes. Un des volumes de cette collection "Le savoir suisse" est consacré aux Burgondes et saint Gontran y figure en bonne place dans un passage qui appelle des réflexions intéressantes.

Justin Favrod, Les Burgondes. Un royaume oublié au coeur de l'Europe, Collection "Le savoir suisse" n°4, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne 2002, pp. 133 s.:

"La preuve la plus spectaculaire de la force de cette identité burgonde éclate en 561, à la mort de Clotaire. Ce roi, profitant des décès successifs de son frère et de son petit-neveu, avait pu réunir sous sa domination toutes les possessions franques. Selon la mode mérovingienne, les enfants de Clotaire se partagèrent l'Empire. Gontran hérita de l'ancien royaume burgonde dans sa totalité. Avec cette possession lui revinrent quelques autres cités qui n'avaient jamais appartenu aux Burgondes. Parmi celles-ci, les villes d'Arles, de Marseille et le rivage de la Méditerrannée. Ce n'était pas le royaume burgonde réel que ressuscitèrent les Francs, mais le royaume rêvé et désiré par les rois burgondes successifs, qui ne réussirent jamais, malgré les tentatives, à parvenir à la mer.
Gontran se comporta en véritable roi burgonde. Il n'hésita pas à baptiser son fils aîné du nom de Gondebaud. (C'est ce jeune Gondebaud qui fut empoisonné par la deuxième femme de Gontran. -NdL) Sa capitale officielle se trouvait à Orléans en dehors de l'ancien royaume burgonde. Toutefois, il s'établit en fait dans une ancienne cité burgonde, Chalon-sur-Saône. Il y fonda un monastère dédié à saint Marcel. Il y instaura la Louange perpétuelle, tout comme Sigismond (saint roi martyr burgonde fêté le 1er mai - NdL) l'avait fait à St-Maurice d'Agaune. Gontran se fit ensevelir dans ce monastère, de la même façon que Sigismond reposait à Agaune.
Pour pousser encore l'imitation, Gontran donna à l'évêque de Lyon, principale capitale burgonde, la suprématie sur les autres évêques de son royaume, ainsi que le titre de patriarche. (Souligné par moi. -NdL) Le royaume burgonde renaissait sur le plan spirituel.
Vers 565, Gontran créa à l'intérieur du royaume un puissant duché. Le pagus Ultraioranus ou "Pays d'Outre-Jura". Il recouvrait l'antique Sapaudia, le territoire du Valais et parfois même celui de Besançon. Il était destiné à établir un glacis contre les turbulents Alamans et éventuellement contre des incursions venues d'Italie. Ce duché permit de ralentir la progression des Alamans sur le Plateau suisse. Celle-ci fut d'ailleurs pratiquement stoppée au 9ème siècle, fixant dans ses grandes lignes la frontière linguistique entre l'allemand et le français. A quelques aménagements près, elle demeure la même aujourd'hui en Suisse. Par sa taille et ses frontières, ce duché évoquait le royaume secondaire au nord de la Burgondie qu'avait dirigé Godégisel, puis Sigismond. Il devait être davantage peuplé de Burgondes de souche que le reste du royaume.
Par ces apparentes innovations, Gontran reconstituait en réalité le royaume burgonde pour plusieurs siècles. Cette entité perdura pendant des siècles, sous l'autorité d'un roi ou d'un maire du palais."

Ce texte est riche d'enseignements:
- Il montre comment les Burgondes, en à peine 90 ans (443-534), et alors qu'il ne représentait qu'une faible proportion de la population de leur royaume (pas plus de 10% sur les bords du Léman, leur zone principale d'implantation, et probablement guère plus de 4 ou 5% sur l'ensemble de la Burgondie), avait suffisamment marqué les populations locales pour créer un particularisme dont les Mérovingiens durent tenir compte après leur conquête de la Burgondie. Il est vrai que les rois burgondes furent les meilleurs administrateurs parmi tous les rois barbares, et surtout qu'ils ne s'étaient pas installés en Sapaudia comme conquérants, mais comme fédérés de l'Empire romain, et qui payèrent à plusieurs reprises le prix du sang au service de l'Empire contre les Huns.
Aussi étrange que cela puisse paraître, lorsqu'au tenta de donner au XIXème siècle une base historique au particularisme romand au sein de la Confédération, on ne put que se raccrocher aux Burgondes, aboutissant à la situation paradoxale de devoir se réclamer d'un peuple germanique pour se distinguer de la Suisse alémanique. Ce n'était que dans la continuité du Moyen Âge, où même les Gallo-Romains de ces régions se disaient Burgondes.
- Ce texte nous montre les Mérovingiens dotés de plus de sens de l'Etat que ne leur en attribue l'historiographie traditionnelle: au travers de tous les partages successifs de leurs possessions, on les voit soucieux de maintenir l'existence d'une entité "burgonde", pour respecter un particularisme qui devait être assez marqué.
-On ne peut que regretter, pour le bien du christianisme, que le patriarcat créé par saint Gontran n'ait pas perduré. Cela aurait sans doute évité des prétentions universelles ultérieures d'un autre siège occidental, prétentions dont nous connaissons tous les graves conséquences.
-Enfin, nous voyons que c'est à la ténacité de saint Gontran que l'actuelle Suisse romande doit en grande partie son existence, avec l'idée de constituer le Pagus Ultraioranus en duché chargé de la résistance aux Alamans. Je ne dis pas que ce soit dans l'absolu un mieux qu'il y ait une Suisse romande que pas de Suisse romande. Mais, enfin, nous existons, nous sommes ce que nous sommes, et c'est intéressant de savoir que nous le devons en grande partie à saint Gontran. Il est probable que, sans lui, la latinité dans l'ancienne Sapaudia aurait subi le même sort que celle du Norique ou de Pannonie.

Ajoutons encore, dans ce tour d'horizon des rapports de ce monarque avec la Suisse actuelle, que c'est à saint Gontran que l'on doit, vers 584, la construction de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, devenue papiste en 1054 et calviniste en 1536. (Auparavant, la cathédrale de Genève était une église Saint-Victor, à l'emplacement de laquelle fut élevée en 1866, rue Toepffer, l'église orthodoxe russe de l'Exaltation de la Croix, qui est depuis 1959 la cathédrale du diocèse d'Europe occidentale de l'Eglise orthodoxe russe hors-frontières.)
Dernière modification par Claude le Liseur le mar. 30 mars 2004 23:05, modifié 2 fois.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Pour en finir avec le sujet de saint Gontran.

Son nom: "Gunthramn" voulait dire "Corbeau de Combat".

L'immoralité de ses moeurs selon Pierre Larousse: elle repose sur un passage de l'Histoire des Francs de saint Grégoire de Tours, livre IV, chapitre XXV, traduction du latin par le professeur Robert Latouche, pp. 206-207 de l'édition de 1995 aux Belles-Lettres.

"Le bon roi Gontran prit d'abord dans son lit pour concubine Vénérande, servante de quelqu'un de son entourage; il eut d'elle un fils, Gondebaud. Puis il prit en mariage Marcatrude, fille de Magnaire. Il envoya son fils Gondebaud à Orléans, mais Marcatrude, qui était jalouse, chercha à le faire périr après qu'elle eut elle-même un fils. Ayant envoyé, dit-on, un poison, elle le fit verser dans sa boisson. Après qu'il fut mort, elle perdit à son tour par un châtiment de Dieu le fils qu'elle avait eu et encourut la haine du roi; puis répudiée par ce dernier, elle mourut peu de temps après. Après elle Gontran prit Austrigilde surnommée Bobilla, de qui il eut encore deux fils; l'aîné fut nommé Clotaire, le plus jeune Clodomir."

Cette édition ne donne malheureusement pas en regard le texte original latin et je suis forcé de m'en tenir à la traduction du professeur Latouche.
1ère remarque: La notion de concubinage n'a pas dans l'Antiquité le même sens qu'aujourd'hui; cela ne veut pas dire "union libre" ou "union non bénie par l'Eglise" (ce deuxième sens n'apparaît qu'avec la Novelle 89 de l'empereur Léon VI); cela veut dire une forme de vie conjugale autre que le mariage du droit romain.
Je suppose que, suivant un tic fréquent chez les traducteurs, il a traduit par "servante" un ancilla du texte latin, qui veut dire "esclave" ("servante" se disant en latin famula). Cette différence de condition suffit à expliquer pourquoi leur union ne fut pas régularisée par un mariage selon la loi de l'époque: n'oublions pas, par exemple, qu'en droit romain, il ne peut y avoir de mariage légal entre ingénu et affranchie ou esclave, mais seulement contubernium; le droit franc (qui m'est mal connu) ne devait guère être différent, et, de toute façon, saint Grégoire de Tours, qui est un Gallo-Romain, raisonne dans les catégories du droit romain. Même si Gontran avait affranchi Vénérande (comme le laisse supposer le nom que saint Grégoire de Tours donne à la mère de Gondebaud: on imagine mal qu'une esclave se fut appelée "Celle qui doit être respectée"; je vois plutôt là un nom que le roi lui aurait donné après leur union), il ne pouvait sans doute pas l'épouser.
L'Antiquité est pleine de situations similaires: Thémistocle était le fils d'une concubine thrace, esclave de son père; Vespasien vécut en concubinage avec une affranchie après la mort de son épouse. Ces situations ne représentaient aucun jugement de valeur, mais seulement la traduction d'une situation juridique: il y avait des femmes avec lesquelles le mariage était impossible. Cela explique la phrase a priori paradoxale de Grégoire de Tours: "Le bon roi Gontran prit pour concubine..." A vrai dire, le concubinage dans le contexte de l'époque n'exclut même pas la possibilité que Gontran ait eu une union sacramentelle avec Vénérande.
Il suffit de se reporter au Décret de Gratien, Causa 29, quaestio 2, pour savoir les difficultés que l'Eglise a eu à imposer l'idée qu'il pouvait y avoir mariage légal entre libres et esclaves: si le pape Jules (337-52) proclamait déjà que les esclaves pouvaient se marier, il faudra des décisions successives du pape Zacharie (741-52), du concile de Verberie (753) et du concile de Tribur (895) pour confirmer cette première décision, et en plus, comme je l'ai déjà mentionné, le droit canonique n'est parvenu à régir les questions matrimoniales en Occident qu'à la fin du XIème siècle. Et encore...
On notera que le texte de saint Grégoire de Tours ne permet pas d'affirmer que Vénérande ait été répudiée.
Il ne parle de répudiation qu'à propos de la seconde épouse, Marcatrude, à l'origine de la mort de Gondebaud, le fils du premier lit.
En revanche, Pierre Larousse peut bien amuser la galerie avec ses trois répudiations, le texte de Grégoire de Tours, livre V, chapitre XXXV, indique expressément: "A cette époque la reine Austrigilde, femme du roi Gontran, fut emportée par la même maladie" (la dysenterie). Je laisse à Larousse cette curieuse idée d'assimiler la dysenterie à une répudiation.

On voit donc que l'immoralité du roi Gontran se résume à la répudiation de sa deuxième épouse, coupable d'avoir assassiné son fils.


Quant au péché que le roi Gontran voulut expier par ses veilles, ses jeûnes, ses prières et le soin qu'il prit de son neveu (considérant que le Ciel l'avait privé de descendance en raison de ce péché), il s'agirait de cinq crimes décrits par saint Grégoire de Tours: le meurtre de deux frères de Marcatrude "parce qu'ils proféraient contre la reine Austrigilde et se deux enfants beaucoup d'imprécations et de malédictions" (livre V, chapitre XVII); le meurtre des deux médecins de la reine Austrigilde, exigée par celle-ci sur son lit de mort, car elle les avait accusés de l'avoir empoisonnée; et enfin, le meurtre du chambellan Chundon le cubiculaire (livre X, chapitre X), soupçonné de lèse-majesté. On remarquera que tous ces meurtres sont liés à des affaires publiques: les frères de Marcatrude proféraient des malédictions contre la reine Austrigilde, mais leur soeur avait déjà empoisonné le prince Gondebaud et Gontran devait avoir des raisons de se méfier des conséquences des inimitiés de cette famille; le meurtre des médecins d'Austrigilde est aussi lié à un soupçon d'empoisonnement; le meurtre de Chundon n'est même pas à coup sûr ordonné par le roi: "Le roi ayant réclamé qu'on l'appréhende avant qu'il franchisse le seuil saint, on s'empara de lui, on l'attacha à un poteau et on le lapida."
Là encore, ces meurtres, ou plutôt ces condamnations à mort injustes, ne prouvent pas l'immoralité évoquée par Pierre Larousse, mais l'impulsivité, la colère, et, probablement, un caractère rendu soupçonneux par l'empoisonnement de son premier fils.

Comme saint Gontran avait laissé la mémoire d'un roi qui s'était repenti de quelque chose (Grégoire de Tours le mentionne), et que les siècles suivants ont vu bien des condamnations injustes dont personne ne s'est repenti (ne mentionnons que l'inique exécution, en avril 1315 d'Enguerrand de Marigny, qui avait été le lieutenant général du royaume de France au temps du Roi de Fer), il est probable que les hagiographes et historiens ultérieurs ont eu bien de la peine à imaginer que ce roi avait fait pénitence pour ces crimes-là. Le sentiment de moralité s'étant au fil des siècles déplacé au-dessous de la ceinture, et le droit matrimonial du VIème siècle ayant été oublié depuis longtemps, on aura sans doute glosé sur le chapitre de saint Grégoire de Tours où celui-ci parle des trois épouses successives de saint Gontran pour en faire un monstre de débauche...
Dernière modification par Claude le Liseur le mer. 31 mars 2004 1:34, modifié 1 fois.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Encore une petite précision: pour ceux qui ne le sauraient pas, l'Eglise orthodoxe admet le divorce pour plusieurs motifs et admet aussi le remariage religieux. Elle autorise trois mariages religieux au maximum: c'est-à-dire qu'une personne veuve pour la troisième fois ne peut pas se marier une quatrième fois à l'église.

Or, le texte cité de Pierre Larousse use très habilement du mot "répudiation" qui évoque immédiatement en français la répudiation unilatérale par le mari dans le droit musulman, en oubliant que la repudiatio de l'époque était le divorce.

J'ai vérifié dans le manuel de droit canonique de l'archidiacre Jean Floca, tome II, Bucarest 1990, p. 103, que le crime, et en particulier le crime contre le conjoint, est un motif de divorce.
Je ne sais pas ce qu'il en est dans la "moralité républicaine", mais, dans notre droit canonique, saint Gontran aurait vraisemblablement eu le droit de divorcer de sa deuxième épouse, Marcatrude, après l'empoisonnement par celle-ci de son fils du premier lit Gondebaud.

En tout cas, l'Eglise des Gaules reconnaissait la rupture du lien conjugal: "Mais si le proverbe: "Qui ne dit mot consent" peut se justifier, il faut admettre que divorce et polygamie devaient être tolérés par l'Eglise aux VIe et VIIe siècles, car aucun décret des conciles ne les incriminent, sauf le motif de divorce en cas de maladie d'un des deux conjoints (Orléans 533, c. 11) ce qui laisse supposer qu'on admettait les autres motifs. Le divorce devient même rapidement un simple divorce par consentement mutuel: la simple "discordia" suffit et le divorce s'effectue par l'envoi d'un "libellus repudii". On ne voit rien dans les conciles sur la polygamie ni sur le concubinage des laïcs." (Odette Pontal, Histoire des conciles mérovingiens, Le Cerf, Paris 1989, p. 287.)

Le monstre de luxure se dégonfle petit à petit...

Dans un autre contexte, la reine de Géorgie Thamar est aussi une divorcée remariée (et encore, son premier époux n'avait empoisonné personne!). Cette répudiation témoigne sans doute suffisamment de son immoralité aux yeux de Pierre Larousse, mais elle n'en figure pas moins au calendrier du patriarcat de Moscou à la date du 1er mai.

Décidément, la "moralité républicaine" va pouvoir renverser beaucoup de saints des autels!
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Trouvé par hasard sur Internet un site avec une carte du royaume de saint Gontran:

http://gilles.maillet.free.fr/histoire/ ... rgogne.htm

Avec aussi les cartes des royaumes de ses frères.
eliazar
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Message par eliazar »

Cher Claude,

Grand merci pour l'adresse de ce site sur la Bourgogne. Il est très bien fait, et si malheureusement ses cartes ne sont pas toujours très lisibles, ses généalogies sont tout de même bien précieuses.

Je regrette que son texte sur l'histoire ne passe pas en copie!

En connaîtrais-tu un similaire pour la Provence, par hasard ?
Jean Béziat
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Gontran

Message par Jean Béziat »

A destination du lecteur Claude (et d'Eliazar)
Extrait d'un livre que j'ai écrit sur la Gascogne orthodoxe:

Gontran.
Clotaire (+ 561), fils de Clovis, avait eu plusieurs enfants naturels et quatre fils ‘’légitimes’’ : Sigebert, Chilpéric, Caribert et Gontran. Ce dernier portait assez bien son nom (gunthechramn : ‘’corbeau de guerre’’). Par la mort de Caribert (567), Gontran, roi de Burgondie, était devenu le chef de la dynastie. C’était un mélange de violence et d’onction. (...) Il avait la dévotion si démonstrative que le bon peuple lui attribuait des guérisons miraculeuses. En réalité, c’était un tartufe, dont les débordements ne cédaient rien à ceux de ses frères. Mais, selon la mentalité du temps, il croyait que les fondations pieuses et l’amitié des évêques rachetaient ses iniquités. La duplicité formait le fond de son caractère. Mais, en dépit de sa prudence, il cédait à des emportements furieux. Il tua un de ses palatins coupable d’avoir chassé dans une forêt royale sans autorisation (cf. Grég. de T., Hist. Franc. ; X, 10). Il fit torturer des serviteurs pour un cor de chasse perdu ou volé. Lorsque sa femme, Austrechilde, fut à son lit de mort, en 581, elle lui demanda de faire exécuter les deux médecins qui l’avaient soignée sans pouvoir la guérir. Et Gontran ordonna, pieusement, qu’ils fussent décapités. Son seul vrai talent fut de naviguer au plus juste de ses intérêts, entre ses frères et leurs épouses perpétuellement en conflit. (G. Bordonove, ‘’Les Rois qui ont fait la France’’, t. 1 ; 1988 ; p. 204.)
Gontran égorgea de ses propres mains deux frères de son épouse répudiée Marcatrude, sous le prétexte qu’ils maudissaient sa nouvelle femme Austrechilde (Hist. Franc. ; V, 17). Lorsqu’il humilia publiquement l’évêque de Reims Egidius (ami de Venance Fortunat), tout en raillant son demi-frère Gondovald, Gontran se vit confondu par les autres ambassadeurs de Childebert, qui lui reprochèrent ses mensonges et ses complots. Gontran répliqua en faisant jeter sur leurs têtes du purin de cheval, des copeaux pourris, de la paille et du foin tombés en putréfaction, et même de la boue fétide de la ville (Hist. Franc. ; VII, 14). Plus tard, il envoya personnellement un certain Claude tuer à l’arme blanche Eberulf, auteur présumé du meurtre de Chilpéric en 584 (op. cit. ; VII, 29). Puis il fit torturer deux envoyés de Gondovald afin d’en obtenir des aveux plus détaillés (op. cit. ; VII, 32). Après le massacre de Comminges (585), il accusa arbitrairement et faussement le saint évêque marseillais Théodore de l’assassinat de Chilpéric (mais se retracta devant Grégoire de Tours en invoquant un prétendu songe miraculeux. Cf. Hist. Franc. ; VIII, 5).
L’empereur Maurice et Gontran avaient des buts de guerre différents. Tibère et Maurice cherchaient à attirer Austrasiens et Burgondes sur les champs de bataille italiens. Gontran au contraire, que l’Italie n’intéresse plus, voudrait débaucher de l’alliance byzantine son neveu Childebert-II pour entreprendre avec lui une croisade fort profitable contre les Wisigoths. (P. Goubert, op. cit.) La lutte contre l’arianisme wisigothique n’était d’ailleurs pour Gontran qu’un prétexte opportun : en 587, il était en effet sur le point de s’allier aux Ariens de Septimanie contre Reccarède , roi des Wisigoths d’Espagne, qui venait de se convertir à l’Orthodoxie (cf. Goubert, op. cit., pp. 71 et 79 ; Grégoire de Tours, Hist. Franc. ; IX, 16.)
Sa vie conjugale mouvementée et les massacres qu’il orchestra jusqu'à la veille de sa mort (592), n’ont pas empêché Gontran d’être élevé au rang des saints par l’église Catholique-Romaine !...
L’impopularité de Gontran auprès des empereurs de la Nouvelle Rome ne datait pas de Maurice. Sous Tibère déjà (entre 578 et 581), le roi Chilpéric avait envoyé une ambassade visant à une entente (plus ou moins chimérique, il est vrai) de la Neustrie et de l’Austrasie contre Gontran et les Lombards. (Dans le même ordre d’idée, le pape Pélage-II envoya à l’évêque d’Auxerre Aunacharius, en octobre 580, une lettre qui montre que Rome poursuivait le même but que Constantinople : l’unification des rois franks contre l’ennemi commun de l’Eglise). Or, c’est précisément au retour de cette ambassade que se produisit un événement qui allait précipiter le cours des choses...

Qui était Gondovald ?
Né en Gaule, Gondovald était fils naturel de Clotaire 1er (donc demi-frère de Gontran). On ignore la date de sa naissance (vers 550, ou plus probablement avant cette date). Ses ennemis le surnommaient Ballomer (‘’roi supposé’’) et niaient sa filiation royale ; plus tard, ses détracteurs (à commencer par la grande majorité des historiens) raillèrent sa bâtardise . Mais que pouvait signifier une telle calomnie, dans une époque où les rois ‘’légitimes’’, ne pouvant s’adonner à la polygamie sans s’attirer les foudres de Rome, faisaient égorger leurs propres femmes (souvent épousées pour des raisons politiques) lorsque se présentait à eux quelque meilleur parti ?
Gontran ne pouvait attaquer quiconque sur le terrain de l’illégitimité. En effet, il avait eu un fils d’une servante nommée Vénérande. Il épousa ensuite Marcatrude, qui fit empoisonner l’enfant de Vénérande. Gontran la répudia et se maria avec Austrigilde (G. Bordonove, op. cit. ; p. 209). Ayant perdu brutalement deux fils de cette union (Hist. Franc. ; V, 17), il se retrouva sans descendant. Sachant que Gondovald pouvait profiter de cette situation, Gontran préféra donc nier la revendication de son demi-frère, lorsque celui-ci revint de son lointain exil.
Nos seules sources, concernant la vie de Gondovald, demeurent Frédégaire (‘’Chronique’’ ; III, 89) et surtout Grégoire de Tours. Grand ami de Venance Fortunat, il consacra à Gondovald rien moins que l’ensemble du Livre VII de son ‘’Histoire des Francs’’, ainsi que de nombreux chapitres des livres VI, VIII et IX.
Par Grégoire, nous savons ainsi que Gondovald fut élevé avec un soin diligent, avec les boucles des cheveux répandues dans le dos comme c’était la coutume des rois ; instruit dans les belles lettres , il fut présenté par sa mère à Childebert en ces termes : Voici ton neveu fils du roi Clotaire, et comme il est détesté par son père, accueille-le, car c’est ta chair . Celui-ci le prit et le retint chez lui, car il était sans fils. Apprenant la chose, Clotaire fit venir l’enfant auprès de lui. Quand il l’eut vu, Clotaire le fit tondre en disant : Ce n’est pas moi qui l’ai engendré . Après la mort de Clotaire (561), le jeune homme fut recueilli par le roi Charibert. L’ayant fait venir, Sigebert lui coupa à son tour la chevelure et l’envoya à Cologne. S’étant échappé de ce lieu, et ayant laissé pousser ses cheveux de nouveau , Gondovald s’en alla chez Narsès, qui gouvernait alors l’Italie. Là, ayant pris femme, il engendra des fils et se rendit à Constantinople. C’est de là, dit-on, que longtemps après, il fut invité par quelqu’un à venir dans les Gaules, et qu’ayant abordé à Marseille, il fut accueilli par l’évêque Théodore. (Hist. Franc. ; VI, 24.)


L’épopée.

Théodore lui ayant procuré des chevaux, Gondovald rejoignit le duc Mummolus, en Avignon. Le duc austrasien Gontran Boson (celui-là même qui était allé chercher Gondovald à Constantinople), par une traîtrise dont il était coutumier, arrêta alors l’évêque Théodore et le jeta en prison, lui reprochant hypocritement d’avoir introduit un étranger dans les Gaules et voulu ainsi soumettre le royaume frank à l’empereur. Il se produisit alors un fait miraculeux qui dit assez le crédit dont jouissaient Théodore et Gondovald auprès du Seigneur : l’évêque était enfermé dans une cellule et il ne lui était pas permis d’approcher de l’église. Or une nuit, tandis qu’il priait avec ferveur le Seigneur, la cellule brilla d’un éclat extraordinaire si bien que son compagnon qui était son gardien en fut terrifié et pris d’une grande frayeur ; on vit au-dessus de lui un globe d’une prodigieuse luminosité pendant l’espace de deux heures. Le matin venu le compagnon raconta la chose aux autres qui étaient avec lui. Après cela Théodore fut conduit auprès du roi Gontran avec l’évêque Epiphane qui, fuyant les Lombards, demeurait à Marseille, parce que lui aussi aurait trempé dans cette affaire. Ils furent questionnés par le roi, mais on ne trouva aucun grief contre eux. Toutefois le roi ordonna qu’ils restassent en prison ; l’évêque Epiphane y mourut après avoir subi de nombreux supplices. Quant à Gondovald, il se retira dans une île de la mer en attendant les évènements . Puis Gontran Boson partagea avec un duc du roi Gontran les biens de Gondovald, emportant en Auvergne une immense quantité d’argent, d’or et d’autres objets .(Hist. Franc. ; VI, 24.)
C’est à cette époque que Grégoire de Tours relate un nouveau miracle (op. cit. ; VI, 25) : le dimanche 31 janvier 583, alors que dans la ville de Tours la cloche avait été mise en branle pour les matines et que la population se levait pour se rassembler à l’église sous un ciel nuageux et pluvieux, un grand globe de feu tombé du ciel parcourut dans l’air un grand espace en donnant une telle lumière qu’on distinguait tout comme à midi. Il rentra à nouveau dans le nuage et la nuit succéda .
Le duc Desiderius (Didier) de Toulouse venait de confisquer les trésors de Rigonthe, fille de Chilpéric (qui venait d’être assassiné), profitant d’une halte de la princesse aux abords de Toulouse alors qu’elle se préparait à rejoindre les Wisigoths ariens d’Espagne. Il rejoignit ensuite Gondovald, revenu en Avignon auprès de Mummolus, et tous trois pénétrèrent dans le Limousin. Arrivant à Brive, sur la Corrèze, Gondovald fut élevé sur un bouclier, et proclamé roi. Par la suite, la basilique de cette ville, dédiée à saint Martin l’Espagnol (disciple de saint Martin de Tours), devait être incendiée et réduite en cendres par Gontran , qui avait levé une grande armée contre Gondovald (voir plus loin). Gondovald parcourut ensuite les cités situées alentour (Hist. Franc. ; VII, 10). C’est en ce mois d’octobre 583, que de nouveaux prodiges furent observés : alors apparurent sur les ceps des vignes des pousses nouvelles (...), sur les arbres des fleurs. Un grand phare parcourait le ciel avant que la lumière du jour paraisse illuminer au loin le monde. Des rayons apparurent aussi dans le ciel. Au septentrion une colonne de feu qui semblait suspendue au ciel fut visible pendant l’espace de deux heures ; une grande étoile la surmontait. Dans l’Anjou également la terre trembla et beaucoup d’autres signes apparurent ... (op. cit. ; VII, 11.)
Peu après, les cités de Tours et de Poitiers prêtèrent serment à Gontran, sous peine d’être dévastées (l’armée de Gontran avait déjà incendié l’église de Mareuil, qui abritait des reliques de saint Martin).
L’année 584, Gontran réunit une grande armée qu’il dirigea premièrement contre Poitiers (où se trouvaient, rappelons-le, Venance Fortunat et sainte Radegonde) : la cité en effet, certainement sous l’impulsion de son évêque Marovée, venait de rompre son serment. La ville fut saccagée, les églises incendiées, ... : elle se rallia de nouveau à Gontran. Gondovald n’osa s’en approcher, et se rendit à Angoulême ; cette cité l’accueillit favorablement. Tel ne fut pas le cas de Périgueux, dont l’évêque refusa de reconnaître le nouveau roi, lequel partit en réprimandant sévèrement le pontife (op. cit. ; VII, 26). Toulouse, effrayée par l’armée de Gondovald, l’accueillit convenablement ; mais l’évêque Magnulf ayant insulté Gondovald lors d’un repas, Mummolus et Didier le molestèrent passablement, puis l’exilèrent en confisquant ses biens (Grégoire de Tours précise en passant que Magnulf avait des biens propres, chose interdite par les canons). A cette occasion Waddon, l’ancien maire du palais de Rigonthe, rejoignit Gondovald. Sagittaire de Gap, sorte d’évêque-soldat avant la lettre, se joignit aussi au prétendant.
L’armée de Gontran, lancée à la poursuite de Gondovald, gagna les rives de la Dordogne. C‘est alors que deux clercs (l’un d’eux étant un abbé de Cahors), envoyés par Gondovald à ses amis avec une lettre, furent interceptés par Gontran, qui les fit fouetter et emprisonner (op. cit. ; VII, 30).
Gondovald était très pieux. Son long séjour à Constantinople lui avait fait connaître la grande église que l’empereur Justinien (+ 565), en guise d’ ex voto, avait fait élever en l’honneur des saints martyrs Serge et Bacchus. Or l’on racontait en Gaule qu’un roi d’Orient, s’étant fait greffer sur son bras droit un pouce de saint Serge (+304), repoussait ses ennemis par la seule vertu miraculeuse du saint martyr. Gondovald, qui n’était pas un guerrier et ne souhaitait nullement la mort des soldats de l’un ou l’autre camp, se renseigna donc auprès de l’évêque de Bordeaux Bertrand, qui l’avait accueilli à bras ouverts, afin de savoir si un homme dans la ville n’était pas en possession de quelque relique de saint Serge (Il faut préciser que la Gaule d’alors hébergeait de nombreux immigrés d’origine syrienne, surtout des commerçants ; ceux-ci avaient quitté leur pays en partie à cause de leur monophysisme, contre lequel luttaient énergiquement les empereurs depuis Justinien). Homme cupide et dévoyé, Bertrand s’empressa d’envoyer son diacre, avec Mummolus, auprès d’un négociant syrien avec lequel il avait eu auparavant quelques démêlés. Ce négociant se nommait Euphron, et avait transformé sa maison en église. Lors d’un grand incendie où la ville entière s’était embrasée (probablement l’incendie consécutif au séisme pyrénéen de 580), seule la maison de cet Euphrone avait été épargnée. Avec une gaucherie lamentable, Mummolus menaça Euphrone qui, en résistant et en pleurant, se laissa dépouiller de son précieux reliquaire : le diacre ayant découvert, non sans une sainte frayeur, les reliques de saint Serge cachées au sommet du mur adossé à l’autel, Mummolus y repéra l’os d’un doigt et voulut en extraire une partie avec un couteau. Il ne réussit qu’à le briser en trois morceaux, qui s’éparpillèrent loin des regards. Comme les débris restaient introuvables, tout le monde se mit à se prosterner en priant, dans le but de les voir réapparaître. Après l’oraison, on retrouva les trois morceaux. Mummolus en prit un, et s’en alla. Grégoire de Tours ne nous dit pas s’il alla l’offrir à Gondovald : il se borne à constater que la relique ne fut pas favorable, par la suite, à Mummolus... (op. cit. ; VII, 31.)
Pendant ce temps, sur l’impulsion de Gondovald - alors en séjour à Bordeaux - un prêtre de cette ville, Faustien, fut élevé à l’épiscopat en la cité de Dax, en remplacement de Rusticus, déjà évêque d’Aire. Ce remplacement fut par la suite jugé illicite par le ‘’concile’’ de Mâcon, convoqué par Gontran ! Or, la façon dont se déroulèrent les faits montre que l’illégalité canonique n’était pas du côté de Gondovald - loin de là... En effet, suite à la mort de l’évêque de Dax Libère, le comte de cette cité, Nicetius, frère germain de Rusticus (évêque d’Aire), avait arraché à Chilpéric un précepte ordonnant qu’après avoir été tonsuré Rusticus fût affecté à cette cité comme évêque. Mais Gondovald, le sachant, annula les décrets de ce roi, convoqua les évêques et leur demanda de consacrer Faustien, prêtre bordelais qui se présentait comme le meilleur candidat disponible pour une telle charge. Bertrand de Bordeaux, alors métropolitain, souffrait d’une maladie des yeux et demanda à l’évêque saint Pallade de Saintes de le consacrer à sa place avec Oreste, évêque de Bazas (op. cit. ; VII, 31). Gontran conçut une haine manifeste envers saint Pallade. Après le concile de Mâcon (585), le roi burgonde fit destituer Faustien (sans toutefois le déchoir de sa qualité d’évêque, chose que le roi n’avait pas le pouvoir de faire), et fit nommer le comte Nicetius (jusqu’alors laïc) à sa place. De quel côté se trouvait la légitimité à votre avis, cher lecteur ?...
Après cela Gondovald envoya à Gontran deux légats, munis de baguettes consacrées, selon le rituel des Francs, afin que personne ne leur porte atteinte. Ils se confièrent un peu imprudemment à diverses personnes avant la rencontre, si bien que le roi les fit capturer et conduire en sa présence. Ils déclarèrent sous la menace que Gondovald, venant de l’Orient , les avait envoyés pour recouvrer la portion du royaume de Gontran qui lui était due, à défaut de quoi Gondovald marcherait contre lui avec une grande armée : Tous les guerriers les plus puissants de la région qui fait partie des Gaules au-delà de la Dordogne se sont ralliés à lui , confièrent les deux légats. Gondovald, selon eux, avait déclaré : Dieu jugera alors, quand nous serons réunis dans la plaine d’un champ de bataille, si je suis ou non le fils de Clotaire. Enflammé de colère, et nonobstant leurs baguettes consacrées, Gontran les fit attacher à un chevalet et fouetter très durement, si bien que les deux hommes dénoncèrent les récents évènements de Toulouse (le rapt de Rigonthe et l’exil de Magnulf) ; ils en accusèrent même Gondovald à la place de Didier. De même, ils dénoncèrent tous les grands d’Austrasie, sujets de Childebert-II (neveu de Gontran) : c’étaient eux qui avaient en effet favorisé l’ascension de Gondovald. Pris d’une grande frayeur, Gontran fit venir Childebert et ordonna aux deux prisonniers de tout répéter devant lui. Puis il s’engagea solennellement à restituer à son neveu et ennemi toutes les cités qu’il venait de lui prendre, et lui déclara : Tu succèderas donc comme héritier dans tous mon royaume, tous les autres ayant été exhérédés (op. cit. ; VII, 33). Une paix si soudaine entre les deux hommes en dit long sur la panique qui venait de s’emparer de Gontran, à l’annonce de l’ampleur du soulèvement occitan. La situation était grave : elle nécessitait des sacrifices à la hauteur de cette gravité.


Le massacre.
A l’alliance conclue entre Gontran et Childebert s’ajouta la défection de Didier, qui partit s’enfermer dans un castrum de l’Albigeois avec le trésor de Rigonthe. Se voyant désormais en position de faiblesse, Gondovald résolut de se réfugier dans une citadelle imprenable, pouvue d’une source d’eau et de vivres en grande quantité : Lugdunum Convenarum, au pied des Pyrénées, non loin de cette Espagne wisigothe, ennemie de Gontran, et où il pourrait bénéficier du soutien de Léandre de Séville3.
En compagnie de Waddon, du duc Bladaste, du patrice Mummolus et de l’évêque Sagittaire, Gondovald franchit la Garonne et se dirigea vers la cité Convène avec son armée. Ayant envoyé ses deux fils se réfugier en Espagne, Gondovald entra dans la cité au début du Carême. Confiant aux habitants les intentions de Gontran, qui marchait à sa poursuite, il les exhorta à se réfugier dans la ville haute, à l’intérieur des remparts, et à y emmener tout le nécessaire en vue d’un long siège.
Gontran, par une ruse diabolique, adressa un courrier à Gondovald, soi-disant de la part de Brunehaut, faisant croire qu’il abandonnait la poursuite et passait l’hiver à Bordeaux avant de se retirer. Bien entendu, il n’en était rien.
Gondovald, préférant certainement éviter à la population un bain de sang, exhorta celle-ci à ressortir de la citadelle et à prendre le maquis, afin de résister aussi du dehors. L’évêque du lieu, Rufin, peu favorable à Gondovald et sentant surtout tourner le vent, se joignit à la population de la ville basse, puis s’enfuit. Après quoi les portes de la cité furent fermées. A l’intérieur, tout fut réquisitionné. Il y avait là, d’après Grégoire de Tours, assez de blé et de vin pour plusieurs années de siège (s’ils avaient tenu bon, ajoute le chroniqueur ; op. cit. ; VII, 34).
Les troupes de Gontran, ayant appris que Gondovald avait campé de l’autre côté de la Garonne avec soi-disant les trésors de Rigonthe, traversèrent le fleuve avec tant d’empressement que beaucoup périrent noyés. Sur la rive opposée, l’armée trouva des chameaux et des chevaux épuisés, abandonnés à la hâte par l’armée adverse, avec de grandes quantités d’or et d’argent. C’est alors que les ducs de Gontran apprirent que Gondovald s’était réfugié en Comminges. Délaissant le butin, ils se relancèrent à sa poursuite. Sur leur chemin, ils tombèrent sur la basilique de saint Vincent d’Agen (à Pompeiacum, aujourd’hui Pompiey, en Agenais), où ils savaient que se trouvaient de grands trésors accumulés par les habitants en l’honneur du saint martyr (+ v. 282). Le sanctuaire était inviolable. L’armée de Gontran, n’ayant pas réussi à s’y introduire par effraction et à la dépouiller de son or, mit le feu à la basilique. Mais, par la vertu miraculeuse des reliques de Vincent, le pillage ne se fit pas sans mal pour ses auteurs : la vengeance divine en écrasa un grand nombre sur le lieu même, car le plus grand nombre eurent les mains miraculeusement brûlées ; elles répandaient une grande fumée comme il en sort habituellement d’un incendie. Quelques uns, possédés du démon et déchaînés par cet envoûtement, invectivaient le martyr. Plusieurs aussi, se disputant entre eux, se blessèrent de leurs propres traits. Quant au reste de la troupe, ce n’est pas sans une grande peur qu’elle poursuivait sa marche en avant. (op. cit. ; VII, 35.)
La phalange dressa ses tentes dans la campagne entourant Lugdunum Convenarum (encore très urbanisée à cette époque). Tout y fut pillé et dévasté. Certains soldats, par cupidité, s’aventurèrent plus loin : ils furent massacrés par les indigènes .(op. cit. ; VII, 35.) Puis les assiégeants se dirigèrent vers la citadelle. Laissons Grégoire de Tours nous conter cet épisode, ainsi que le discours que fit Gondovald à cette occasion :
Beaucoup aussi montaient sur la colline et s’adressaient souvent à Gondovald en lui lançant des injures et en lui disant : N’es-tu pas le peintre qui du temps du roi Clotaire barbouillait dans les oratoires les murs et les voûtes ? N’es-tu pas celui que les habitants des Gaules désignaient souvent du nom de Ballomer ? N’es-tu pas celui qui a été bien des fois tonsuré et envoyé en exil par les rois des Francs à cause des prétentions que tu émets ? Révèle qui t’a, ô le plus infortuné des hommes, amené dans ces lieux. Qui t’a prêté assez d’audace pour oser aborder les frontières de nos maîtres et rois ? En tout cas si tu as été appelé par quelqu’un, déclare-le clairement. Voici la mort qui s’offre à tes yeux, voici la fosse fatale que tu as longtemps cherchée et dans laquelle tu seras précipité. Nomme un à un tes satellites et énumère ceux qui t’ont invité. Alors lui, en entendant ces paroles, se rapprocha et se tenant au-dessus de la porte, il disait : Que Clotaire, mon père, m’a eu en aversion, c’est un fait qui n’est ignoré de personne ; que j’ai été tonsuré par lui et ensuite par mes frères, c’est aussi une chose évidente pour tout le monde. Et c’est le motif qui m’a fait rejoindre Narsès1, préfet d’Italie ; là j’ai pris une femme et j’ai engendré deux fils. Elle morte, j’ai pris avec moi les enfants et je suis parti pour Constantinople. Accueilli par les empereurs avec la plus grande bienveillance, j’y ai vécu jusqu’à cette époque. Au cours des années précédentes, lorsque Gontran Boson partit pour Constantinople et que dans ma sollicitude je m’enquérais avec diligence des affaires de mes frères, j’appris que notre génération était très réduite et qu’il ne survivait de notre lignée que les rois Childebert et Gontran, c’est-à-dire un frère et le fils d’un de mes frères, car les fils du roi Chilpéric étaient morts avec lui et il restait seulement un petit enfant. Gontran mon frère n’avait pas de fils ; Childebert notre neveu n’était pas un homme fait. C’est alors que Gontran Boson, après m’avoir soigneusement exposé ces choses m’invita en ces termes : Viens parce que tu es invité par tous les grands du royaume du roi Childebert et personne n’a osé rien articuler contre toi. Car nous savons tous que tu es le fils de Clotaire et il n’est resté dans les Gaules personne qui puisse gouverner le royaume si tu n’arrives pas. Quant à moi, après lui avoir donné de nombreux présents, je reçois dans douze lieux saints son serment que je pourrai en sécurité aborder dans ce royaume. Je vins donc à Marseille, et là l’évêque m’accueillit avec une extrême bienveillance ; il avait, en effet, des instructions écrites des grands du royaume de mon neveu. De là je me rendis à Avignon conformément aux désirs du patrice Mummolus. Mais Gontran (Boson), oubliant son serment et sa promesse, emporta mes trésors et en prit possession. Reconnaissez donc maintenant que je suis roi tout comme mon frère Gontran. Cependant si votre esprit est obnubilé par votre grande haine pour nous, que je sois conduit auprès de votre roi et, s’il me reconnaît pour son frère, qu’il fasse ce qu’il voudra. Si vous ne le voulez pas, que du moins il me soit permis de m’en retourner là d’où je suis d’abord venu. Je m’en irai donc et je ne ferai aucun tort à personne. Toutefois pour que vous sachiez que ce que je dis est vrai, interrogez Radegonde de Poitiers et Ingetrude de Tours2. Elles-mêmes vous attesteront que les choses dont je parle sont certaines. Pendant qu’il tenait ces propos, beaucoup accompagnaient ses paroles de huées et de reproches. (Hist. Franc. ; VII, 36)
Le quinzième jour de ce siège venait de luire et Leudegisèle, le duc chargé par Gontran d’assiéger la cité de Comminges, préparait de nouvelles machines pour détruire la ville et ses murailles. Mais l’armée de Gondovald se défendit vaillamment, avec les moyens du bord : envoi de cuves de poix et de graisse enflammées, et surtout jets de pierres. Quand la nuit eut interdit les combats, l’armée de Gontran revint au camp. Le roi d’Aquitaine avait avec lui Chariulf, personnage très riche et puissant qui possédait dans la ville de nombreuses boutiques et des celliers bien garnis, dans lesquels l’armée puisait la plupart de ses ressources. Le duc Bladaste, craignant d’être tué si Leudegisèle triomphait, résolut de s’enfuir. Il mit le feu au palais épiscopal. Profitant du désordre qui suivit et de l’obscurité, il sortit discrètement de la cité. Le matin venu, l’armée ennemie reprit le combat en jetant des troncs et des branches par-dessus le ravin profond situé à l’orient. En vain ...
Laissons de nouveau à Grégoire de Tours le soin de conclure, car l’heure tragique était venue :
Finalement ceux qui attaquaient la ville, voyant qu’ils ne pouvaient aboutir, adressent des messages secrets à Mummolus pour lui dire : Reconnais ton maître et renonce enfin une bonne fois à cette aberration ; quelle est la folie qui t’obsède pour que tu te mettes sous le joug d’un inconnu ? Ta femme a déjà été emprisonnée avec tes filles ; tes fils aussi ont déjà été tués. Où te lances-tu ? Qu’attends-tu sinon de succomber ? (...) Les messagers étant descendus, l’évêque Sagittaire se rend à l’église avec Mummolus, Chariulf et Waddon et là ils se prêtent mutuellement le serment d’abandonner l’alliance de Gondovald et de le livrer à ses ennemis si la promesse relative à leur vie leur est confirmée. Les messagers étant revenus une seconde fois leur promirent la vie sauve. Mummolus déclara alors : Cela suffit, je remettrai cet homme entre vos mains et, reconnaissant le roi comme mon maître, je m’empresserai de me rendre en sa présence. Ceux-là lui promettent alors, s’il exécute ce qu’il a dit, de le prendre en amitié et, s’ils ne peuvent le disculper auprès du roi, de le placer dans une église pour qu’il ne soit pas condamné à perdre la vie. Après avoir fait ces promesses avec accompagnement de serment, ils s’en allèrent. Alors Mummolus se rend avec l’évêque Sagittaire et Waddon auprès de Gondovald et ils lui dirent : Les serments de fidélité que nous t’avons prêtés, toi qui es présent tu les connais. Mais aujourd’hui reçois un conseil salutaire : descends de cette ville et présente-toi à ton frère ainsi que tu as souvent cherché à le faire, car nous venons de nous entretenir avec ces hommes et eux-mêmes ont déclaré que le roi ne veut pas perdre ton appui car il ne reste que peu de survivants de votre génération. Mais lui, devinant leur perfidie, fondit en larmes et répliqua : C’est sur votre invitation que je me suis transporté dans les Gaules. Quant à mes trésors (...), une partie est conservée dans la ville d’Avignon, une autre a été pillée par Gontran Boson. Pour moi, à côté de l’aide de Dieu ayant placé tout mon espoir en vous, je vous ai confié mon dessein, c’est par vous que j’ai toujours souhaité régner. Maintenant ce sera à Dieu que vous aurez à faire si vous m’avez dit quelque chose de mensonger ; que lui-même donc juge ma cause.
Quand il eut dit ces choses, Mummolus répondit : Nous ne te parlons pas d’une manière fallacieuse. Mais voici que des guerriers très vigoureux se tiennent à ta porte, attendant ta venue. Dépose donc maintenant mon baudrier d’or que tu as ceint, pour ne pas avoir l’air de marcher avec jactance ; puis ceins ton épée et restitue-moi la mienne. Or lui répliqua : Ces paroles, je ne les considère pas comme ayant simplement pour but de me reprendre les objets que tu m’as prêtés jusqu’à maintenant charitablement. Mais Mummolus affirma avec serment à l’appui qu’on ne le molesterait pas.
Quand ils eurent passé la porte, Gondovald fut accueilli par Ollon, comte de Bourges, et Boson 4. De son côté, Mummolus qui était rentré dans la ville verrouilla très solidement la porte. Quand celui-là (Gondovald) se vit livré aux mains des ennemis, il leva les mains et les yeux au ciel en disant : Juge éternel et vrai vengeur des innocents, Dieu de qui procède toute justice, qui a en aversion le mensonge, en qui ne réside aucune perfidie ni aucune fourberie méchante, je te recommande ma cause en te suppliant de me venger rapidement de ces gens qui m’ont livré, moi innocent, aux mains des ennemis. Quand il eut dit ces mots, il se signa de la croix du Seigneur et se mit en route avec les hommes susdits. Tandis qu’ils s’éloignaient de la porte, comme autour de la ville toute la vallée est à pic, lui tomba poussé par Ollon qui s’écria alors : Voici devant vous votre Ballomer qui se prétend à la fois frère et fils de roi. Puis ayant brandi sa lance, il voulut le transpercer, mais repoussée par les cercles de la cuirasse, elle ne lui fit aucun mal. Finalement, comme s’étant relevé, il s’efforçait de s’en retourner sur la montagne, Boson ayant lancé une pierre, lui fracassa la tête. Il tomba et mourut. Toute la troupe accourut et après lui avoir enfoncé des lances dans le corps, et lui avoir lié les pieds avec une corde, on le traîna à travers tout le camp de l’armée ; puis lui ayant arraché la chevelure et la barbe, on l’abandonna sans sépulture sur le lieu même où il avait été tué5. Puis la nuit suivante ceux qui étaient les chefs emportèrent en secret tous les trésors qu’ils purent découvrir dans la ville ainsi que les vases sacrés de l’église. Le matin, quand les battants des portes furent ouverts et l’armée lâchée, on passa au fil de l’épée toute la populace qui était enfermée, en massacrant également les prêtres du Seigneur ainsi que ses ministres au pied même des autels des églises. Après qu’on eut tué tout le monde, afin qu’il ne restât personne pour pisser contre le mur 6, on incendia la ville avec les
églises et les autres édifices sans rien y laisser qu’un sol vide.
(Hist. Franc. ; VII, 38.)

Le manche après la cognée : le concile de Gontran (Mâcon ; fin-585).
Après la destruction de Lugdunum Convenarum , Leudegisèle fit demander à Gontran ce qu’il fallait faire de Mummolus, Waddon, Chariulf et Sagittaire. Le roi répondit qu’ils devaient être tués. Mummolus, après l’annonce de la sentence, se battit vaillamment, mais finit transpercé de lances. Un assistant, voyant la frayeur de l’évêque Sagittaire qui venait de contempler la scène, fit mine de lui offrir une échappatoire, lui permettant de fuir dans la forêt couvert d’un capuchon. Dès que le fuyard eut le dos tourné, le soldat brandit son épée et envoya valser tête et capuchon... Ainsi périrent lamentablement les quatre traîtres.
Cette année-là, il y eut une grande famine dans tout le pays.
Les représailles ecclésiastiques ne tardèrent pas : cette même année 585, Gontran fit convoquer un grand concile en la ville de Mâcon, en grande partie dans le but de régler ses comptes avec les évêques ayant soutenu Gondovald. Ainsi, Faustien de Dax fut destitué au profit d’un laïc, le comte Nicet. Les évêques Bertrand de Bordeaux, Oreste de Bazas et saint Pallade de Saintes furent condamnés à verser une pension annuelle de cent sous d’or à Faustien. Saint Ursicin de Cahors (fête le 13/26 décembre) fut le plus sévèrement condamné (pour avoir reçu Gondovald : suspension a divinis pour trois ans).
Ce ‘’brigandage’’ ne porta pas chance à Gontran, qui à cette même époque tomba si gravement malade qu’on le crut arrivé à sa dernière extrémité. Comme le dit Grégoire de Tours, ce devait être un effet de la providence divine, car ce roi se préparait à envoyer un grand nombre d’évêques en exil, à commencer par Théodore de Marseille ; celui-ci, grâce à la maladie royale, put regagner sa ville, où le peuple l’accueillit avec la liesse qu’on imagine.
Au retour du synode, Bertrand de Bordeaux, mourant, voulut faire nommer à sa place son diacre Waldon, qui aurait pris à son tour le nom de Bertrand. Mais Gontran ne l’entendit pas de cette oreille, et fit nommer à ce siège le comte de Saintes, Gondégisil. Peu après, il fit de même avec l’évêque d’Eauze : Laban étant mort en cours d’année, Gontran fit nommer à sa place un laïc du nom de Didier. Grégoire de Tours commente ainsi l’événement : Le roi avait promis et juré qu’il ne recruterait jamais un évêque parmi les laïques ; mais à quoi les coeurs humains ne sont-ils pas entraînés par la faim sacrée de l’or ! (op. cit. ; VIII, 22.)

La vraie question qui se pose, cher Claude, est plutôt la suivante : devons-nous faire de Gondovald un martyr orthodoxe, à l'image de saint Herménégild (même combat) ?
En Christ
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Claude le Liseur
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première réaction

Message par Claude le Liseur »

La vraie question qui se pose, cher Claude, est plutôt la suivante : devons-nous faire de Gondovald un martyr orthodoxe, à l'image de saint Herménégild (même combat) ?

Si vous voulez faire de l'usurpateur Gondovald un saint du paléostylisme, pourquoi pas?

Votre texte sur Gontran contient des références que j'ai aussi données dans mes messages, à propos du meurtre des frères de Marcatrude en particulier.

En attendant de vous donner une réponse plus circonstanciée, un point de votre texte attire mon attention:

Sa vie conjugale mouvementée et les massacres qu’il orchestra jusqu'à la veille de sa mort (592), n’ont pas empêché Gontran d’être élevé au rang des saints par l’église Catholique-Romaine !...


Pour qu'il ait été élevé au rang des saints par l'Eglise catholique romaine, il faudrait qu'il ait fait l'objet d'un acte de canonisation postérieur à 1054 (et monopole papal à partir de la fin du XIIème siècle). Dans son cas, à ma connaissance, il s'agit de ce que les théologiens catholiques romains appellent une canonisation équipollente, c'est-à-dire qu'il a été porté sur les autels par le peuple, et que ce culte a été confirmé par les évêques, dans les décennies qui ont suivi sa mort, alors qu'il n'y avait pas encore (et pour cause) d'Eglise catholique romaine.


Autre chose:

Sous Tibère déjà (entre 578 et 581), le roi Chilpéric avait envoyé une ambassade visant à une entente (plus ou moins chimérique, il est vrai) de la Neustrie et de l’Austrasie contre Gontran et les Lombards.


Comme quoi, on peut avoir voulu inventer une nouvelle religion et entretenir les meilleures relations avec l'empereur Tibère.

Mais que pouvait signifier une telle calomnie, dans une époque où les rois ‘’légitimes’’, ne pouvant s’adonner à la polygamie sans s’attirer les foudres de Rome, faisaient égorger leurs propres femmes (souvent épousées pour des raisons politiques) lorsque se présentait à eux quelque meilleur parti ?

Ils avaient peut-être une solution plus simple avec le divorce, non?
Cela serait intéressant que vous établissiez une liste de ces reines égorgées. Mes connaissances se limitent à Galswinthe étranglée sur ordre de Frédégonde.

(Il faut préciser que la Gaule d’alors hébergeait de nombreux immigrés d’origine syrienne, surtout des commerçants ; ceux-ci avaient quitté leur pays en partie à cause de leur monophysisme, contre lequel luttaient énergiquement les empereurs depuis Justinien).

Cela, c'est la thèse des groupes du style Eglise orthodoxe celtique de Saint-Dolay ou Eglise orthodoxe copte française. En fait, le monophysitisme était encore plus mal vu en Gaule que dans l'Empire. Le concile d'Orléans de 549 avait confirmé la condamnation d'Eutychès et Childebert Ier avait exigé du pape Pélage une confession de foi réaffirmant sa fidélité à Chalcédoine.

Après le concile de Mâcon (585), le roi burgonde fit destituer Faustien (sans toutefois le déchoir de sa qualité d’évêque, chose que le roi n’avait pas le pouvoir de faire), et fit nommer le comte Nicetius (jusqu’alors laïc) à sa place. De quel côté se trouvait la légitimité à votre avis, cher lecteur ?...

Il n'y avait plus de roi burgonde depuis 534, hélas!



Dites, vous nous faites la même biographie pour saint Constantin le Grand? Et pour saint Justinien d'après l'Histoire secrète de Procope?
Dernière modification par Claude le Liseur le ven. 14 mai 2004 0:44, modifié 1 fois.
Claude le Liseur
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réponse circonstanciée (I)

Message par Claude le Liseur »

Et maintenant, la réponse un peu plus circonstanciée.

Sous Tibère déjà (entre 578 et 581), le roi Chilpéric avait envoyé une ambassade visant à une entente (plus ou moins chimérique, il est vrai) de la Neustrie et de l’Austrasie contre Gontran et les Lombards.

Visiblement, en Suisse romande, où nous étions aux contacts des Lombards, nous n'avons pas conservé le même souvenir que vous des rapports entre saint Gontran et les Lombards:

"Grâce à l'active défense militaire du pays par le roi et aux valeureux patrices choisis, les incursions meurtières et répétées des Lombards qui faisaient des apparitions subites, pillaient, incendiaient, puis se retiraient chez eux, ont été réduites à néant. A Sion, où un grand massacre ensanglanta le monastère d'Agaune, les deux patrices envoyés par Gontran finirent par repousser l'armée lombarde à Bex. Quarante soldats lombards seulement parvinrent à s'enfuir en Italie." (Suzanne Scuri Eiram, Saint-Maire d'Autun, page 109.)


Sa vie conjugale mouvementée et les massacres qu’il orchestra jusqu'à la veille de sa mort (592), n’ont pas empêché Gontran d’être élevé au rang des saints par l’église Catholique-Romaine !...

Saint Gontran figure dans les martyrologes qui portent le nom de saint Jérôme, d'Usuard, de Nokter, de Bède et de Wandelbert, dans le martyrologe romain et dans le martyrologe dit de saint Oyend, tous antérieurs à l'existence de l'Eglise catholique romaine. Son anniversaire était célébré à l'église cathédrale de Genève depuis des temps immémoriaux.

Il avait la dévotion si démonstrative que le bon peuple lui attribuait des guérisons miraculeuses.

Un tel miracle est rapporté par la source principale de votre procès posthume à saint Gontran, à savoir saint Grégoire de Tours, qui relate un tel miracle en Hist. Franc. IX, 21, et ajoute: "La chose ne me paraît pas douteuse, car moi-même j'ai souvent entendu des énergumènes qui, sous l'influence de la possession, invoquaient son nom et confessaient leurs propres crimes sous l'action de sa vertu miraculeuse." L'honnêteté commande que vous récriviez votre phrase: "Il avait la dévotion si démonstrative qu'un évêque lui attribuait des guérisons miraculeuses."

en 587, il était en effet sur le point de s’allier aux Ariens de Septimanie contre Reccarède , roi des Wisigoths d’Espagne, qui venait de se convertir à l’Orthodoxie (cf. Goubert, op. cit., pp. 71 et 79 ; Grégoire de Tours, Hist. Franc. ; IX, 16.)

Récit de saint Grégoire de Tours:
"Après cela Reccared envoya une ambassade à Gontran et au roi Childebert pour faire la paix de manière à se montrer uni à eux par le lien de la charité comme il affirmait qu'il l'était par celui de la foi. Mais ils furent renvoyés par le roi Gontran qui leur dit: "Quelle foi peuvent me promettre et quelle confiance doivent m'inspirer ceux qui ont envoyé en captivité ma nièce Ingonde?""

Reconnaissez au moins à saint Gontran des sentiments humains, comme par exemple la méfiance à l'égard de ceux qui avaient fait mourir en exil sa nièce.
Dernière modification par Claude le Liseur le ven. 14 mai 2004 0:57, modifié 1 fois.
Claude le Liseur
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réponse circonstanciée (II)

Message par Claude le Liseur »

Né en Gaule, Gondovald était fils naturel de Clotaire 1er (donc demi-frère de Gontran).

C'est vous qui l'affirmez. Clotaire Ier était moins catégorique: "Ce n'est pas moi qui l'ai engendré." (Hist. Franc. VI, 24.)

Il se produisit alors un fait miraculeux qui dit assez le crédit dont jouissaient Théodore et Gondovald auprès du Seigneur

Pourquoi le miracle à propos de saint Théodore, relaté par saint Grégoire de Tours en Hist. Franc. VI, 24, dit assez, à vos yeux, le crédit dont Gondovald jouissait auprès du Seigneur, tandis que les miracles relatés par le même saint Grégoire de Tours à propos de saint Gontran, en Hist. Franc. IX, 21, ne font à vos yeux qu'illustrer la crédulité populaire?

Gondovald était très pieux.

Et saint Gontran aussi: "Le dit roi, comme nous l'avons souvent dit, était généreux dans ses aumônes et assidu aux veilles et aux jeûnes." (Hist. Franc. IX, 21)

Les représailles ecclésiastiques ne tardèrent pas : cette même année 585, Gontran fit convoquer un grand concile en la ville de Mâcon, en grande partie dans le but de régler ses comptes avec les évêques ayant soutenu Gondovald. Ainsi, Faustien de Dax fut destitué au profit d’un laïc, le comte Nicet. Les évêques Bertrand de Bordeaux, Oreste de Bazas et saint Pallade de Saintes furent condamnés à verser une pension annuelle de cent sous d’or à Faustien. Saint Ursicin de Cahors (fête le 13/26 décembre) fut le plus sévèrement condamné (pour avoir reçu Gondovald : suspension a divinis pour trois ans).
Ce ‘’brigandage’’ ne porta pas chance à Gontran


Ce concile figure dans toutes les collections canoniques gauloises. C'est le 2ème concile de Mâcon qui a instauré le repos dominical obligatoire (canon 1), dont saint Gontran fit une loi de l'Etat, qui a confirmé le droit d'asile des fugitifs dans les églises (canon 8) et dont le Légendaire d'Autun dit qu'il eut de "très sages règlements".
A ce "brigandage" participèrent notamment saint Prétextat, évêque de Rouen, saint Sulpice, évêque de Bourges, et saint Maire, évêque d'Avenches.
On notera aussi que ce concile que vous présentez comme un "brigandage" organisé par saint Gontran prit un canon 14 condamnant les actes injustes des "proches du roi" ( hi, qui latere regis adhaerent).
Spiridon
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Un mot sur la Reine Thamar

Message par Spiridon »

lecteur Claude a écrit : Dans un autre contexte, la reine de Géorgie Thamar est aussi une divorcée remariée (et encore, son premier époux n'avait empoisonné personne!). Cette répudiation témoigne sans doute suffisamment de son immoralité aux yeux de Pierre Larousse, mais elle n'en figure pas moins au calendrier du patriarcat de Moscou à la date du 1er mai.

Décidément, la "moralité républicaine" va pouvoir renverser beaucoup de saints des autels!
Merci à tous les intervenants sur ce fil de Saint Gontran. Le Lecteur Claude mentionne la Reine Thamar parmi les divorcés remariés. Je ne dispose des sources pour l'heure mais je pense que son divorce fut pour une raison canonique. L'histoire a conservé que son premier mari était un homme alcoolique et "immoral", le dernier terme laissant entendre volage.

L'Eglise géorgienne autocéphale depuis 466 et patriarcale depuis 1010 l'a effectivement canonisée. Elle est fêtée le 1er mai. Il faut noter qu'en géorgien, bien qu'étant une femme, elle porte le titre de "Mepe" à savoir "Roi". J'espère que cela ne choque pas nos amies féministes.
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