Exemple d'utilisation du titlo

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Claude le Liseur
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Exemple d'utilisation du titlo

Message par Claude le Liseur »

Dans le fil intitulé "De l'arménien au français via le slavon: badiv, titlo, etc.", voici ce que j'écrivais dans un message du vendredi 27 novembre 2009 à 21h12 (ici: viewtopic.php?f=1&t=2404 ):

Claude le Liseur a écrit :Le hasard d'une navigation sur Internet me fait découvrir qu'il pourrait subsister une influence inattendue de l'arménien même dans la graphie actuelle (cyrillique) du slavon. En effet, on sait qu'en slavon, le mot богъ, sans le titlo, signifie idole, tandis que le même mot бгъ avec le titlo (que je n'arrive naturellement pas à reproduire sur mon traitement de texte - j'enrage!) signifie Dieu (cf. Militsa Tsarenkov, Grammaire slavonne, Monastère de l'icône de la Mère de Dieu de Korssoun, Grassac 1994, p. 8).
Or, d'après le site suivant consacré au grabar (գրաբար =arménien classique) http://www.kepeklian.com/blog/category/armenien/grabar/ , le même système se retrouve en arménien; je reproduis en entier cette très intéressante contribution:

Le badiv est une notation spécifique de l’arménien classique qui ressemble à un trait horizontal placé au-dessus d’un mot ou d’une partie de mot. Il signifie que le mot a été abrévié. Le mot arménien badiv պատիւ se traduit par honneur (pour voir un exemple).

Dans la « Grammatica linguae armeniacae » que H. Petermann publie à Berlin en 1837, on peut lire ceci à la page 5 :

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La traduction du latin est : (Dieu) pour (Dieu), et j’inverse (a) (dieu) pour un dieu fictif.

Nulle part ailleurs je n’avais vu ce badiv inversé. Et Petermann ne cite malheureusement aucun exemple … Alors curiosité ou phantasme ?

De notre point de vue, l'important n'est pas qu'existe ou n'existe pas en arménien classique le badiv inversé de Petermann. Il n'y a pas, à ma connaissance, de titlo inversé en slavon. Ce qui est intéressant, c'est que le mot arménien pour "dieu" écrit avec le badiv signifie "Dieu", de même que le mot slavon pour "dieu" écrit avec le titlo signifie "Dieu". On voit que le badiv arménien et le titlo slavon jouent le rôle de la majuscule française. Je ne peux quand même pas m'empêcher de penser qu'il y a là une influence arménienne sur le slavon, ce qui irait dans le sens du livre du professeur Schramm.

Toutefois, il est possible que le titlo slavon ne découle pas du badiv arménien, mais que tous deux aient leur origine commune dans les nomina sacra rencontrés dans certains papyri grecs chrétiens du IIIe siècle, où Dieu était abrégé en ΘΣ (bon article sur Wikipédia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Nomina_sacra ). Oui, mais voilà, les textes liturgiques en grec ne contiennent pas de telles abréviations (on écrit Θεός, et pas ΘΣ, dans les textes liturgiques), alors que les textes liturgiques en slavon ont toujours le titlo. Si l'usage s'est perdu depuis très longtemps en grec et qu'il existe en slavon, pourquoi serait-il absurde d'y voir une influence arménienne?

Dans le même fil, dans un message du 2 décembre 2009 à 17 heures 03, je précisais:
Claude le Liseur a écrit :J'aurais plutôt traduit le "diis fictitiis" du texte de Petermann (qui est de toute façon un pluriel) par "des idoles" plutôt que "un dieu fictif"... Ce qui nous ramène au coeur du sujet de ce fil, puisque богъ sans titlo, en slavon, veut précisément dire "idole"... Sans vouloir critiquer le moins du monde le site qui m'a fait découvrir le badiv arménien, d'où j'ai tiré l'extrait de la grammaire de Petermann et qui est une mine en arménologie.


Il me restait toutefois, ayant publié dans ledit fil l'exemple du mot arménien avec le badiv (= Dieu) et sans le badiv (= idole), à publier ici la comparaison avec le slavon.
J'ai téléchargé dans mon traitement de texte une police de caractères qui me permet d'écrire correctement en slavon, y compris avec le titlo, mais je n'ai jamais réussi les copier-coller qui m'auraient permis de poster sur le forum ce que je peux écrire dans un document Word.

Pour que chacun puisse faire la comparaison entre l'arménien et le slavon et se rendre compte de l'analogie troublante, je me suis permis de numériser le passage pertinent de la Grammaire slavonne de Madame Militsa Tsarenkov, Editions du Monastère de l'Icône de la Mère de Dieu de Korssoun, Grassac 1994, p. 8. Chacun pourra ainsi juger sur pièce:


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Claude le Liseur
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Re: Exemple d'utilisation du titlo

Message par Claude le Liseur »

Il convient de signaler que la Grammaire slavonne de Mme Militisa Tsarenkov, rédigée directement en français, a été publiée en 1994 par le monastère de l'Icône de la Mère de Dieu de Korssoun, à Grassac (Charente), dans un seul recueil avec une autre grammaire slavonne, celle de K. Kozmine, dont la cinquième édition, publiée à Moscou en 1890 a été traduite pour l'occasion. Les deux grammaires contiennent des listes très utiles de mots écrits sous titlo, celle de M. Kozmine étant la plus systématique (pp. 10-11 et pp. 235-237).

A noter que le traducteur de la grammaire de M. Kozmine, qui a choisi l'anonymat, signale lui-même (p. 365), que la traduction française des citations bibliques qui se trouvaient dans le texte de M. Kozmine est celle de John Nelson Darby, faite sur le texte original hébreu, araméen et grec: "La traduction est celle de la Sainte Bible, version J.N. Darby publiée par "Bibles et Publications Chrétiennes" (Valence), 1984" (p. 365).
C'est sans doute un choix judicieux. Il y aurait beaucoup à dire sur le personnage de Darby, parent de l'amiral Nelson et fondateur d'une dissidence protestante assez radicale qui connut par la suite son heure de gloire grâce à l'empire commercial fondé par une famille darbyste du canton de Vaud, les André. Mais son prodigieux travail de traduction - il traduisait à la fois vers l'anglais, le français et l'allemand - est en général considéré comme étant d'une remarquable fidélité, et j'ai déjà eu l'occasion, sur le présent forum, de rapporter à cet égard l'opinion de feu l'archimandrite Denis Guillaume de bienheureuse mémoire (message du 13 juillet 2004 à 10h55, ici viewtopic.php?f=1&t=804&p=3693 ):
Il me reste à signaler un fait peu connu: le père Denis Guillaume, qui a tout de même traduit en français tous les textes scripturaires lus à l'église (Parémies, Apôtre et Evangéliaire), signale que, de toutes les éditions françaises du Nouveau Testament qu'il a eu entre les mains, la plus fidèle au texte grec est la Darby. C'est une traduction extrêmement littérale de la Bible faite au XIXème siècle par John Nelson Darby, cet ancien ministre anglican devenu le leader des "Frères étroits" ou darbystes. Darby avait fait une traduction complète de la Bible de l'hébreu et du grec vers (excusez du peu) l'anglais, le français et l'allemand! Cette Bible Darby, peu connue du grand public, est tenue en haute estime dans les milieux protestants fondamentalistes. Un ami docteur en études bibliques, calviniste libéral et donc peu suspect de sympathies pour le darbysme, m'a dit, lorsque je lui ai fait part de ce qu'avait écrit le père Denis Guillaume à propos de la qualité de la traduction Darby, que cela ne l'étonnait pas et que c'était en effet une traduction très fidèle au texte.


Il me semble donc que c'était aussi l'opinion du savant, modeste et anonyme traducteur de la grammaire slavonne de K. Kozmine.
Claude le Liseur
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Re: Exemple d'utilisation du titlo

Message par Claude le Liseur »

Le professeur André Vaillant n'était pas un admirateur du titlo:
Divers mots, et certains de façon presque constante, sont écrits en abrégé, surmontés d'une barre, le titlo; on négligerait ce détail paléographique si les éditions modernes des textes vieux-slaves et slavons ne conservaient pas les abréviations des manuscrits. Ces mots représentent en général les termes les plus nobles de la langue religieuse, les nomina sacra. Voici les plus usuels, sous une de leur formes possibles:

[Suit une liste que je n'ai pas les moyens techniques de reproduire ici, n'ayant jamais réussi à reproduire sur le présent forum les caractères cyrilliques anciens - NdL.]

Ces abréviations sont imitées du grec et du latin d'Église. Elles ne sont pas ordinairement gênantes (...) Mais il n'y a aucune raison de les maintenir, puisque le grec et le latin n'en usent plus même dans les textes religieux. Il a été utile de distinguer бЪ et pluriel бози, mais on le fait mieux maintenant par recours à l'emploi de la capitale: Богъ «Dieu» et бози «les dieux». Leur seul intérêt, mais qui ne vaut pas qu'on en encombre les éditions, est pour la critique des textes, pour expliquer les confusions chez les copistes entre des formes comme бго-(бого-) et блго- (благо-) : ce qui souligne leur inconvénient, et non leur utilité.

(André Vaillant, Manuel du vieux slave, tome I, Institut d'études slaves, Paris 1964 [1re édition Paris 1948], pp. 25 s.)
Certes, mais je n'ai jamais vu de texte liturgique slavon - même le psautier que l'on vend à l'usage des fidèles dans les paroisses - où l'on ait renoncé à l'usage du titlo...
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