Voyage au bout de l'enfer

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Claude le Liseur
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Voyage au bout de l'enfer

Message par Claude le Liseur »

J'ai eu l'occasion de regarder à la télévision voici quelques semaines un film un peu oublié de nos jours, mais qui eut son heure de gloire en 1979: Voyage au bout de l'enfer (titre original anglais The Deer Hunter - Le chasseur de daims) de Michael Cimino. Je me permets de signaler ce film (qui est disponible en DVD à l'heure actuelle) parce qu'il est très rare qu'un film d'Hollywood, et surtout un film ayant obtenu l'Oscar du meilleur film en langue anglaise, évoque aussi longuement une problématique que nous avons abordée sur le présent forum.

En effet, le film de Cimino raconte les aventures d'un groupe d'ouvriers sidérurgistes de Pennsylvanie dont trois s'engagent dans le corps expéditionnaire étasunien au Vietnam. Capturés par les communistes du Vietcong, ils feront vraiment un voyage au bout de l'enfer avant de s'évader.

Mais là où le film rejoint un sujet longuement évoqué sur le présent forum orthodoxe francophone, c'est que ce groupe de métallos de Pennsylvanie appartient à un groupe ethnico-religieux bien particulier. En effet, les personnages du film sont d'origine ruthène (ou carpatho-russe, comme on voudra) et de confession orthodoxe. Et le film de Cimino n'est pas conçu comme un film de guerre habituel, mais comme un film qui repose sur l'opposition de deux rites: les rites liturgiques orthodoxes, longuement filmés (la scène du mariage religieux d'un des personnages, avant son départ pour l'armée, dure près de trente minutes), et le jeu infernal de la roulette russe auxquels les prisonniers de guerre seront soumis par les communistes du Vietcong - et auquel un des personnages prendra goût.

Or, la description quasi-ethnologique de la vie de ce petit groupe de Ruthènes d'Amérique est en même temps une sorte de reportage sur les conséquences de l'action de saint Alexis Tóth de Wilkes-Barre (mémoire le 7 mai), personnage dont nous avons évoqué la vie ici le 2 novembre 2003 ( viewtopic.php?t=277 ) et dont une icône est reproduite sur le forum « Iconographie » depuis le 8 mai 2006 (ici: viewtopic.php?t=1870 ).

En effet, alors que la foi orthodoxe avait pratiquement disparu parmi les Carpatho-Ruthènes d'Europe depuis l'union d'Oujgorod en 1646, c'est saint Alexis qui lança un mouvement de retour à l'Orthodoxie parmi les Ruthènes d'Amérique qui devait toucher 25'000 personnes de son vivant. On sait que ces Carpatho-Russes retournés à l'Orthodoxie ont constitué dès le début du XXe siècle la colonne vertébrale de la Métropole russe d'Amérique, et qu'ils constituent encore un part importante des fidèles de l'Église orthodoxe en Amérique (OCA) qui a succédé en 1971 à la Métropole, bien que l'OCA ait accueilli de plus en plus de convertis.
Une trentaine d'années plus tard, en 1937-1938, alors que la Métropole traversait une crise interne de longue durée et que le patriarcat de Constantinople commençait à s'implanter dans les Amériques, un autre groupe de Ruthènes retourna à l'Orthodoxie, cette fois-ci en constituant un diocèse carpatho-russe autonome au sein du patriarcat de Constantinople, qui existe toujours et dont le siège est à Johnstown en Pennsylvanie. Ce diocèse carpatho-russe du patriarcat œcuménique est lui aussi devenu largement anglophone et ouvert aux convertis.
Enfin, il existe aussi des Ruthènes d'Amérique qui sont restés fidèles à l'Église orthodoxe russe hors frontières. En majorité, ils sont arrivés sur le continent américain après 1945, en provenance de l'ancienne Ruthénie subcarpathique (Podkarpatská Rus en tchèque) qui constituait l'une des quatre composantes territoriales de la Tchécoslovaquie de 1918-1938 et qui fut cédée à l'Union soviétique après avoir été occupée par la Hongrie de l'amiral Horthy - non sans avoir constitué un État indépendant pendant une journée en 1939. Feu le métropolite Laur, né Basile Škurla (1928-2008), était l'un de ces Ruthènes de l'Église russe hors frontières.

À l'heure actuelle, les Carpatho-Russes d'Europe, depuis les annexions soviétiques de 1940 et de 1944-1945, sont en grande majorité concentrés dans l'oblast de Transcarpathie (Закарпатська область ) de la république d'Ukraine (indépendante depuis 1991), mais il y a toujours des minorités ruthènes en Roumanie, en Slovaquie, en Hongrie et en Pologne, et une diaspora en Serbie (Voïvodine) et en Tchéquie. Tous orthodoxes avant 1646, tous uniates après que leurs maîtres Habsbourg leur eussent imposé l'union d'Oujgorod, ils seraient aujourd'hui orthodoxes pour un tiers et uniates pour deux tiers, à la suite de mouvements très compliqués et en sens contraires au cours du XXe siècle: mouvement de retour vers l'Orthodoxie en Tchécoslovaquie dans les années 1918-1938; suppression forcée de l'Église uniate par le pouvoir communiste en Union soviétique, en Roumanie et en Tchécoslovaquie -mais non en Pologne, en Yougoslavie et en Hongrie - dans les années 1946-1949; retour d'une partie des anciens uniates vers l'uniatisme après que l'Église uniate a été à nouveau autorisée, dès 1969 en Tchécoslovaquie (par les communistes eux-mêmes), puis en 1988-1990 (dans le cadre de l'écroulement du communisme) en Union soviétique et en Roumanie.
Qui plus est, il est très difficile de déterminer l'appartenance ethnique, ou culturelle, ou nationale, de ces populations carpathiques irrémédiablement partagées entre uniates et orthodoxes.
Les Ukrainiens les considèrent généralement comme étant d’ethnie ukrainienne, et c’est la position que l’on trouve par exemple dans le principal manuel d’apprentissage de la langue ukrainienne à l’usage des francophones : « Cependant une partie de la population ukrainienne de la Transcarpatie et de la région de Priachiv (en Slovaquie) se proclame « Ruthène » (Roussyne) prétendant d’avoir une langue littéraire autre que l’ukrainien. Leur nombre est insignifiant. » (Victor Koptilov, Parlons ukrainien, L’Harmattan, Paris 1995, p. 37.) Il existe pourtant en Ukraine même, dans l’oblast de Transcarpathie, des groupes de nationalistes ruthènes qui se distinguent par le fait que ceux d’entre eux qui sont orthodoxes sont restés fidèles au patriarcat de Moscou dans une région où la grande majorité de la population orthodoxe a rejoint les autocéphalistes ukrainiens.
Dans le nord de la Roumanie, j’ai eu moi-même l’occasion de rencontrer ces populations. Sur le plan ecclésiastique, les villages ruthènes du nord du département roumain du Maramureş sont regroupés en un vicariat orthodoxe ukrainien du patriarcat de Bucarest, dont le siège est à Sighet, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Ukraine. Contrairement aux paroisses roumaines de la région, ces paroisses ont gardé l’ancien calendrier, pour pouvoir fêter Noël en même temps que les paroisses ukrainiennes de l’autre côté de la frontière. Sur le plan civil aussi, cette minorité, qui ne doit guère dépasser les quarante mille personnes, est bien organisée, puisque l’enseignement est assuré en ukrainien, qu’il y a un lycée public de langue ukrainienne à Sighet et que la Constitution roumaine lui attribue un siège de député à la Chambre. Mais, chose intéressante, si l’État roumain considère cette population slavophone comme une minorité ukrainienne, les Roumains de la région les appellent tous « Ruthènes » et ces Slaves eux-mêmes semblent considérer qu’ils se divisent entre Ruthènes (à l’ouest) et Houtsoules (à l’est, plutôt dans le département de Suceava). Les Houtsoules sont cette population rendue célèbre à travers le monde par le film de Serge Paradjanov Les chevaux de feu (titre original ukrainien Тіні забутих предків – Les ombres des ancêtres oubliés). Ainsi, Poienile de sub Munte se considère comme un village houtsoule, et non ruthène, alors que la plupart des Roumains de la région considèrent ses habitants comme des Ruthènes. À son tour, l’ethnologue français Jean Cuisenier se déclare incapable de déterminer l’appartenance linguistique réelle des Houtsoules – il signale que la transcription française ancienne était Houtzoules et orthographie leur ethnonyme Uţul, à la roumaine - : « Éléments slaves et éléments roumains paraissent aussi nombreux dans la langue de ce peuple, en sorte qu’on se demande si la population n’était pas très anciennement bilingue. Des bergers roumains se seraient-ils donc mêlés à une population préexistante de langue slave ? Ou bien, au contraire, des groupes ukrainiens se seraient-ils infiltrés au milieu d’une population roumaine plus anciennement établie ? » (Jean Cuisenier, Mémoire des Carpathes, Plon, Paris 2000, p. 456). Cette question ne se pose pas à propos des « vrais » Ruthènes dont le vocabulaire est nettement slave. Ajoutons que, lorsque j’ai pu visiter en 2003 le monastère ukrainien de Rona de Sus ( http://ronadesus.uv.ro/ ) – belle église en bois, comme c’est souvent le cas dans ces montagnes -, sous la juridiction du patriarcat de Roumanie, car du côté roumain de la frontière, il me fut expliqué que les offices y étaient parfois célébrés en slavon, et parfois en ukrainien. Je peux d’ailleurs confirmer que la population de Rona de Sus avait gardé sa langue, que je n’ai toutefois pas pu identifier comme étant de l’ukrainien ou comme une autre langue apparentée, faute de connaître l’ukrainien.

On aboutit ainsi au paradoxe que ces populations ruthènes ou carpatho-russes, dont l’identité en Europe est bien difficile à définir et qui sont à peu près totalement ignorées en tant que groupe culturel distinct (leur grand défenseur, le prêtre orthodoxe anglais André (Andrew) Philips, les appelle le « peuple de nulle part », « people from nowhere », http://orthodoxengland.org.uk/oecarrus.htm ), sont au contraire très bien organisées aux Etats-Unis où elles disposent même d’un diocèse qui porte le nom de ce peuple supposé ne pas exister !

Et c’est là où nous retournons au film de Cimino : l’existence de ces populations de Ruthénie subcarpatique est tellement ignorée en Europe occidentale que, depuis deux décennies, l’excellent Guide des films de la collection Bouquins chez Robert Laffont persiste à nous expliquer que Voyage au bout de l’enfer raconte les aventures d’un groupe de « prolétaires d’origine balte » ! Il y a pourtant bien peu d’orthodoxes parmi les Baltes, et je crois que tous les États-Unis ne comptent qu’une paroisse orthodoxe estonienne (si tant est que les Estoniens finno-ougriens puissent être assimilés à des Baltes... ), alors que le seul diocèse carpatho-russe de Johnstown comptait en 2002 75 paroisses dans 12 États des Etats-Unis et 1 paroisse dans la province canadienne de l’Ontario (cf. Ημερολόγιον του Οίκουμενικου Πατριαρχείου 2003 – Annuaire du patriarcat œcuménique 2003, Thessalonique 2002, pp. 829-833). Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce diocèse carpatho-russe (c’est bien le terme qui était utilisé dans cet annuaire en langue grec : il s’agissait des Καρπαθορώσσοι «sous le trône œcuménique ») compte pas moins de 37 paroisses dans le seul État de Pennsylvanie, où l’OCA est aussi très présente à travers des paroisses d’origine ruthène et le monastère de South Canaan. Ceci correspond bien à la concentration des immigrés carpatho-russes de la fin du XIXe siècle dans le secteur de l’extraction du charbon dans les Appalaches et de la sidérurgie en Pennsylvanie.
Je doute fort que ce monde lié au charbon et à l’acier ait mieux tenu le coup dans cette partie des Etats-Unis qu’il l’a fait en Europe occidentale. En roulant entre le Luxembourg et la Moselle, combien j’en ai vus, de ces vestiges poignants d’un passé lié à l’acier et qui a inspiré à Bernard Lavilliers une de ses plus belles chansons, Les Mains d’or. « Acier rouge et mains d’or… » Et comme je me souviens, chez nous, de la lutte de la fonderie Boillat de Reconvilier.
Ainsi, le film de Cimino est en partie la description, intéressante, d’une minorité ethnique, dont l'existence serait niée en Europe et est en tout cas reconnue dans l’exil américain, de forte pratique religieuse orthodoxe (dans le cas du film) ou uniate, liée à l’industrie sidérurgique de Pennsylvanie. Mais, bien sûr, le cinéaste a pris quelques libertés avec la réalité : si les rites orthodoxes du mariage et des funérailles sont filmés avec exactitude, le quartier où habitent les protagonistes avant leur départ pour la guerre, censé se trouver en Pennsylvanie, est reconstitué à partir de différents lieux de l’Ohio, l’église où se déroule une grande partie de l’action du film est en fait la cathédrale Saint-Théodose de Cleveland (Ohio) ( http://sttheodosius.org/ ), aujourd’hui rattachée à l’OCA et entièrement anglophone, et les scènes de chasse au daim dans les Appalaches ont en fait été tournées dans l’État de Washington, à des milliers de kilomètres de là. Mais la liberté de l’artiste n’enlève rien au fait que le film de Cimino, avec celui de Paradjanov, est à peu près le seul document dont nous pouvons disposer facilement sur ce peuple oublié.
Jean-Mi
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Message par Jean-Mi »

je me souviens de ce film - j'avais emprunté la cassette à un copain, en pensant à une adaptation du livre de Louis-Ferdinand Céline, sans lire le compte-rendu du journal! Un film très prenant.
Cimino aurait dû étendre le drame en y présentant le "Can bô" Boudarel, ça aurait rajouté une touche parisienne à cet enfer..

saint Alexis Toth, sa bio' & iconographie, retravaillée cette année :
http://stmaterne.blogspot.com/2008/05/s ... nseur.html

le genre de grand saint qui fait tache dans les projets de notre épiscopat...

j'ai ici une homélie pascale du métropolite carpatho-russe aux USA :
http://stmaterne.blogspot.com/2007/04/m ... intes.html
un métropolite qui participe aux marches pro-vie & anti-avortement (encore une raison pour être détesté de nos oecuménistes); de tout ce que j'ai pu lire de lui ou sur lui via un de ses diacres avec qui je converse depuis 3 ans, il me semble d'une autre trempe que "ceux que vous savez," mais je peux me tromper bien entendu.

merci en tout cas pour ce richissime aperçu sur ce peuple oublié de tous - il a aussi montré qu'il est rare, dans l'opulence, de garder la Foi quand tout autour on invite à la renier ou à "l'adoucir" - au mépris des paroles du Christ sur l'affadissement du sel.

belle journée
Axios
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Message par Axios »

super je me réjouis de revoir ce fim (du moins la première partie) sous une autre perspective grâce aux precisions de L.Claude. merci
Gloire à Dieu
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Mi a écrit :je me souviens de ce film - j'avais emprunté la cassette à un copain, en pensant à une adaptation du livre de Louis-Ferdinand Céline, sans lire le compte-rendu du journal! Un film très prenant.
Cimino aurait dû étendre le drame en y présentant le "Can bô" Boudarel, ça aurait rajouté une touche parisienne à cet enfer..
Je vous remercie, ainsi qu'Axios, d'avoir lu mon message à propos du film de Cimino qui présente un peuple qui me fascine pour la même raison que me fascinent les Roumains des Carpates: cette civilisation où le bois remplace la pierre, où le végétal remplace le minéral.

Quand j'ai lu ce message que vous avez posté le 4 juin dernier, avec la référence à Boudarel, je me suis mis à réfléchir.
J'ai d'abord pensé qu'un Boudarel étasunien, ce n'est pas possible. Pour pousser la haine de soi-même à ce point-là, il faut être Européen - et en particulier francophone. C'est vrai que je ne peux pas imaginer un Anglo-Saxon torturer ses compatriotes au nom du marxisme, de la décolonisation et du bonheur de l'humanité.
Et puis, mes pensées ont pris un autre chemin. Je me suis dit: au fond, le film de Cimino raconte l'aventure d'un petit groupe de citoyens des Etats-Unis qui ont gardé des traces d'une langue et d'une culture minoritaires, qui n'ont pas la religion de tout le monde dans leur pays et qui sont par ailleurs d'un patriotisme très affirmé. Et, tout à coup, je me suis dit qu'il y a bien, si on passe du contexte étasunien de la guerre du Vietnam au contexte français de la guerre d'Indochine, une population en France qui a gardé des traces d'une langue et d'une culture minoritaires, qui n'a pas la religion de tout le monde et qui a une réputation de patriotisme affirmé. Il s'agit naturellement des Alsaciens, puisque l'Elsàsserditsch reste encore, à ce jour, parlé par 50% de la population de l'Alsace et que 14% environ de protestants y représentent une proportion environ dix fois supérieure à celle du reste de la France. Et je me suis tout à coup souvenu qu'il existe bien un film français qui raconte les mésaventures d'un Alsacien dans la guerre d'Indochine, et que ce film, c'est La 317e Section, de Pierre Schoendoerffer, un des plus beaux films de guerre du cinéma européen, tourné en 1964, dix ans après les événements, et racontant la fin de l'Empire français en Asie à travers le calvaire d'une section de soldats qui doit se replier à travers la jungle. Dans ce film, Bruno Cremer joue le rôle de l'adjudant Willsdorf, Alsacien, naguère incorporé de force dans la Wehrmacht pendant l'annexion de fait de 1940-1945.
Or, il existe un autre très beau film de Pierre Schoendoerffer, Le Crabe-Tambour (1977), qui romance la vie du commandant Pierre Guillaume (1925-2002), dit le Crabe-Tambour, un officier de marine qui, après la mort de son frère tué au combat en Algérie, s'engagea dans l'armée de terre en Algérie et fut un des officiers putschistes au moment du putsch d'Alger en 1961. Le film de Schoendoerffer, en grande partie tourné sur un navire de la marine de guerre française, le Jauréguiberry, raconte l'histoire du commandant de ce navire (interprété par Jean Rochefort), chargé d'escorter une flotte de bateaux de pêche français sur les bancs de Terre-Neuve, et qui, se sachant irrémédiablement condamné par un cancer, veut entrer en contact avant de mourir avec le Crabe-Tambour, qu'il avait trahi au moment du putsch de 1961 et dont il sait qu'il est devenu commandant d'un chalutier après avoir été chassé de l'armée. Or, dans le film, Schoendoerffer a voulu faire un lien avec La 317e Section. C'est ainsi que le Crabe-Tambour du film s'appelle Willsdorff, qu'on apprend qu'il est le frère de l'adjudant Willsdorff de La 317e Section et qu'il est de confession luthérienne (alors que le Crabe-Tambour de la réalité, le commandant Guillaume, était de confession catholique romaine). Là où le film rejoint la réalité, c'est que le Crabe-Tambour du film décide aussi de quitter la marine pour l'armée de terre après la mort de son frère au combat en Algérie. Cela nous vaut donc dans le film une scène de funérailles luthériennes dans un village alsacien.
Et là, je me suis tout à coup dit que la scène des funérailles luthériennes du Crabe-Tambour de Schoendoerffer (1977) étaient l'exact équivalent, pour les pays de langue française, de la scène des funérailles orthodoxes du Deer Hunter (Voyage au bout de l'enfer) de Cimino (1979): dans les deux cas, une minorité religieuse et linguistique intégrée à la nation dont elle fait partie célèbre selon son propre rit les funérailles d'un soldat mort dans une guerre coloniale.
Merci donc à Jean-Mi de m'avoir inspiré ces réflexions.
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