Au retour d'un week-end en Occitanie, je vois que le débat a beaucoup progressé et je me permets d'ajouter quelques remarques
cum grano salis.
Eliazar, vous écrivez que plusieurs provinces françaises avaient créé leur identité sans ou contre la couronne de France, et vous citez entre autres la Bretagne; mais alors, les Chouans et Cadoudal, ils ne se battaient pas pour la Couronne?
Vous avez une vision de l'Histoire d'une France colonisatrice des braves Lorrains ou Alsaciens qui est difficile à avaler pour quelqu'un comme moi dont les ancêtres, paysans alsaciens de pure souche avec un nom tout ce qu'il y a de plus germanique, ont quitté l'Alsace en 1871, abandonnant tout derrière eux,
parce qu'ils voulaient rester français... Vous comprendrez que j'ai un peu de peine à souscrire à votre vision des choses....
Quant à la persécution religieuse de la Révolution française attribuée aux "Français", peut-être prenez-vous le cas du comté de Nice pour une généralité... C'est dans les provinces bien françaises du Lyonnais et de la Vendée que l'on a le plus souffert pour la foi... Les 180'000 morts de la Vendée l'attestent...
Il est un peu facile de mettre la persécution des protestants sur le dos du pouvoir royal bien sûr "français" et centralisateur, comme si cette persécution n'avait pas eu le soutien de 90% de la population non-protestante, y compris dans vos chères provinces non-françaises... C'est bien le Parlement de Toulouse qui a condamné Calas à mort en 1762, et c'est bien de braves Languedociens (que l'on croirait exempts de ce genre de torts à lire vos textes) qui se sont livrés à des massacres de protestants à Nîmes en 1815 sans que Paris y soit pour rien là-dedans.
Bien sûr, nos visions de l'Histoire sont irréconciliables, mais je pense qu'il fallait peut-être apporter un autre point de vue que le vôtre.
Je suis étonné de votre description si violente de la corruption du clergé catholique romain au XVIIIème siècle. Si ces évêques avaient été si corrompus que vous l'affirmez, pourquoi un seul sur 140 (Talleyrand!) a accepté la Constitution civile du clergé et pourquoi les autres ont-ils préféré la déposition et la persécution?
Il me semble quand même que la France est une réalité depuis 843, même si les frontières ont varié, et d'ailleurs pas tant que cela...
De toute façon, mes remarques sur le statut de régnicole attribué par l'Ancien régime aux Suisses, Liégeois et Piémontais n'avait pas pour but d'engager une polémique avec vous, mais simplement de montrer qu'on avait encore avant 1789 un tant soit peu conscience d'une réalité occultée aujourd'hui: la parenté culturelle des Français (dont je veux bien exclure les Niçois si cela peut vous faire plaisir, mais dont je me vois mal exclure mes ancêtres alsaciens !

), des Canadiens-Français, des Wallons et des Romands. Sans vouloir inventer une version francophone du pangermanisme, je regrette que les quatre peuples francophones n'aient pas plus de souvenir de leur origine commune et n'essaient pas de plus coopérer dans le domaine technique, scientifique et économique.
Votre remarque sur les Pieds-Noirs m'étonne dans la mesure où je n'ai jamais rencontré un seul Pied-Noir qui ne soit pas capable de se débrouiller en arabe dialectal algérien... C'était plutôt l'arabe littéraire qui leur restait étranger, du moins à ce qu'il me semble...
Pour une fois, je suis en désaccord avec Jean-Louis Palierne en ce qui concerne le français en Afrique: le maintien du français comme langue officielle dans les Etats nés de la décolonisation française ou belge était lié à des raisons d'opportunité (manuels scolaires en français, souvent adaptés au pays comme le manuel
Mamadou et Bineta, manuel de français mis au point pour l'AOF); c'est aujourd'hui un héritage historique dont on voit mal l'avenir. Les élites africaines - seules à parler le français dans des pays où cette langue, officielle sur le papier, est ignorée de la quasi-totalité de la population - sont aujourd'hui largement formées dans les universités des Etats-Unis. Pour un Sénégalais, par exemple, dont le pays a une langue nationale comprise partout, le wolof, et qui possède l'anglais, langue de l'ouverture sur le monde, on voit mal l'utilité du français. Le français recule partout en Afrique, comme le montre l'exemple du Rwanda qui a adopté l'anglais comme langue officielle en 1997. La francophonie des actuels présidents de Madagascar et de la RDC est aussi très relative...
Pour la France elle-même, l'estimation officielle est de 54 millions de francophones, y compris de langue seconde (
Le français dans tous ses états, Champs-Flammarion, Paris 2000, p. 85); comme le pays était réputé compter 60 millions d'habitants à cette date et que je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de Basques et de Bretons unilingues, on peut supposer que l'essentiel des 6 millions de résidents qui ne parlent pas le français est issu de l'immigration africaine et maghrébine, ce qui fait un fort pourcentage de non-francophones dans ces populations en France; on peut donc supposer que le pourcentage de francophones doit être très faible en Afrique (5% pour l'Afrique noire selon les estimations).
De même, Eliazar parle de la connaissance du français par les élites au Vietnam. C'était peut-être vrai en 1950; mais aujourd'hui on parle de 10'000 à 70'000 personnes connaissant le français, ce qui fait un pourcentage bien faible des élites pour une nation de 75 millions d'âmes...
Il me paraît évident que l'Orthodoxie ne devrait utiliser en Afrique noire que les langues africaines. Si l'on répugne à faire cet effort de traduction, alors je ne vois pas pourquoi utiliser le français de préférence au grec (qui, après tout, est la langue du noyau de nos coreligionnaires dans ces contrées) ou à l'arabe (qui est bien utilisé par les musulmans noirs - alors, pourquoi pas par les orthodoxes noirs?).
Il y a quelques mois, à Athènes, au moment des obsèques du métropolite Timothée (Kondomerkos) d'Afrique centrale, j'ai eu l'occasion de rencontrer des orthodoxes noirs du Congo démocratique (ex-Zaïre) qui possédaient le grec et faisaient leurs études de théologie à l'Université d'Athènes. Là encore, quel besoin du français, surtout si on favorisait la traduction de la liturgie en lingala et dans d'autres langues?
De même, je ne comprends pas pourquoi la paroisse orthodoxe de l'île Maurice devrait fonctionner en français, alors que la langue officielle est l'anglais et que la langue commune de la population est le créole, le français n'étant que la langue maternelle de quelque 4% de la population.
Je connais un très bon livre en grec sur la mission du père Côme de Saint-Grégoire (1942-1989) au Zaïre: Démètre Aslanidis,
O Ierapostolis tou Zaïr, Monastère de Saint-Grégoire 1991, 2ème édition Thessalonique 1996.
Mais le livre anglais sur le même sujet est mieux présenté: Demetrios Aslanidis et Moine Damascene Grigoriatis,
Apostle to Zaire, Uncut Mountain Press, Thessalonique et London (Ontario) 2001. Il s'agit en fait de la traduction anglaise en un seul volume de deux ouvrages grecs (celui que j'ai cité et un autre).
Cette mission utilisait le swahili comme langue liturgique.
En ce qui concerne les paroisses orthodoxes dans les DOM-TOM et en Haïti, l'annuaire 2003 du patriarcat de Constantinople, page 956, indique deux paroisses canoniques dans les anciennes colonies françaises de la Caraïbe sous la juridiction du métropolite Athénagore de Panama, exarque du patriarche oecuménique pour l'Amérique centrale:
- en Haïti, une paroisse Saint-Jean-Baptiste à Pétionville, avec le prêtre Barnabé Euginst et le hiérodiacre Jean Cadet. Je crois que c'est dans cette mission que des jeunes de l'
Orthodox Church in America viennent donner des cours d'anglais pour aider les fidèles à devenir de parfaits bilingues créole-anglais.
- à la Martinique, une communauté en formation, à Fort-de-France, avec le père Lazare Philojane.
En outre, deux étudiants orthodoxes haïtiens font leur théologie en Grèce.
Il existe aussi en Haïti une mission de l'Eglise russe hors frontières, sous la conduite du père Gregory Williams, avec une paroisse Saint-Augustin. Commencer une mission orthodoxe sous le vocable d'Augustin d'Hippone, cela promet...